ANALYSES

Italie : quelle issue à la crise politique ?

Interview
23 avril 2013
Pouvez-vous expliquer le processus de l’élection du Président en Italie ?

L’Italie n’est pas une république présidentielle comme la France, c’est une république parlementaire. Le rôle du Président de la République y est celui d’un garant de l’unité nationale. Son pouvoir principal est celui de pouvoir dissoudre le parlement, ainsi que d’attribuer la tâche de former le gouvernement à la personne qui a soit gagné les élections, soit qui dispose d’une majorité au Parlement. C’est ensuite celui-ci qui vote la confiance au gouvernement. L’équerre du processus décisionnel italien est le gouvernement, plutôt que le Président de la République.
Ce dernier n’est pas élu directement par les citoyens, mais par des « grands électeurs », qui sont les députés, les sénateurs, ainsi que trois représentants par région. Ce qui donne un total de 1007 grands électeurs. D’habitude la coalition qui gouverne peut élire « son » Président de la République dès le quatrième scrutin (qui a lieu à la majorité absolue). Mais les élections des 24 et 25 février 2013 n’ont donné de majorité claire à aucun parti. Certes, le Parti démocrate en était sorti avec une majorité relative, mais cette majorité n’était pas suffisante pour permettre au centre gauche d’élire son propre Président de la République. De plus, étant donné le faible score électoral du Parti, qui n’avait recueilli que 25% des votes, nombre d’observateurs faisaient remarquer qu’il lui était préférable de chercher une large convergence pour trouver un Président qui puisse être celui de tous les Italiens.
Toujours dans ce contexte, Pierluigi Bersani, le leader du Parti Démocrate, a cherché à former un gouvernement, sachant que sans majorité parlementaire, il était obligé de trouver un allié. Cet allié pouvait être soit le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, soit Silvio Berlusconi et le Peuple de la Liberté. Ceci entraîne des choix radicalement différents : le Mouvement 5 étoiles dispose d’une base parlementaire assez marquée à gauche et une bonne partie de son électorat sont des déçus du centre-gauche italien. Pierluigi Bersani a choisi cette option, aussi car son électoral est littéralement allergique à toute perspective d’alliance avec S. Berlusconi, et a donc cherché à s’allier avec Beppe Grillo…. Mais celui-ci refuse tout accord avec les partis politiques qu’il rend responsables des difficultés économiques et politiques du pays….ce qui a donné lieu à deux mois de négociations infructueuses

L’échec de Romano Prodi a entraîné des démissions au sein de son parti : M. Bersani, la présidente du parti Rosy Bindi… Comment expliquer cette implosion du Parti démocrate ?

Alors que P. L. Bersani affirmait encore il y a une semaine qu’il refusait tout accord avec Berlusconi, il a soudainement candidaté Franco Marini, un ancien président du Sénat, au poste de Président de la République, dans le cadre d’un accord global avec Berlusconi qui aurait permis la formation d’un gouvernement de coalition par la suite. Cet accord, rejeté en masse par l’électorat du centre-gauche, a provoqué une émeute parmi les députés du parti. Face à l’impasse, et dans un effort pour ressouder ses rangs, Bersani a décidé finalement de proposer Romano Prodi comme Président de la République.
Romano Prodi est un peu le père fondateur du centre-gauche italien. C’est comme si les gaullistes avaient candidaté le Général De Gaulle. Surtout, Prodi personnifie le rejet du berlusconisme, et symbolise la non-possibilité de tout accord avec le groupe du Cavaliere. Mais, la vie politique italienne étant tortueuse, alors que les députés démocrates avaient accueilli l’annonce de sa candidature par des ovations, un cinquième d’entre eux ont « trahi » la consigne de vote dans le secret de l’urne, ce qui a provoqué une véritable déflagration de la gauche italienne et la démission de la totalité des dirigeants du parti.
Plongés dans une impasse sans fin, les leaders politiques italiens se sont rendus au palais du Quirinale, le siège de la Présidence de la République, demandant à G. Napolitano, 88 ans, d’accepter une reconduction. Respecté par les Italiens, il était difficile pour tous les partis de « trahir » sa candidature, et c’est ainsi qu’il a été élu.

Du coup, rien ne change. Quelles conclusions peut-on en tirer sur le fonctionnement de la démocratie en Italie?

Cette prorogation pose problème : d’un côté, on a résolu la question de l’élection d’un Président de la République, mais de l’autre, il faut analyser les résultats du scrutin de février 2013. Si les électeurs ont voté massivement pour le mouvement 5 étoiles et ont provoqué une « hémorragie » des votes, tant pour le Parti démocrate que pour le parti berlusconien, c’est pour exprimer une très grande envie de changement. Or, on se retrouve quelques mois après ces élections avec un Président de la République de 88 ans, qui est le même qu’avant février. Il n’y a toujours pas de gouvernement, mais on soupçonne un accord entre le parti démocrate et le parti berlusconien pour former à nouveau un gouvernement d’union nationale en ligne directe de ce qui était fait avec Mario Monti.
Du coup, effectivement, rien ne change. La conclusion à tirer, c’est que l’Italie va mal, comme au début des années 90 et que sans un radical renouveau de « l’offre politique », le pays est destiné au déclin. En même temps, du point de vue formel, l’Italie est un régime de démocratie représentative parlementaire où aucune majorité claire ne s’est dégagée des urnes. Un accord était nécessaire, et les prises de position de Beppe Grillo, qui crie au coup d’Etat, laissent songeurs.