ANALYSES

Rafael Correa : nouveau chef de file de la gauche radicale latino-américaine ?

Interview
19 février 2013
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky
Comment s’est déroulée la campagne électorale en Equateur ? Quels ont été les thèmes abordés lors de cette campagne ?

La campagne n’était pas le point le plus important dans la mesure où il n’y avait pratiquement pas d’enjeu. Il y avait beaucoup de candidats (dix-sept) mais en fait, tous les sondages confirmaient que l’écart était tel entre le Président Rafael Correa et tous ses concurrents que la victoire du président sortant était quasiment acquise. C’est vrai qu’il y a eu ci et là quelques incidents, notamment la mort, considérée comme accidentelle, d’un militant pendant la campagne électorale.
La campagne en elle-même à bénéficier d’une observation électorale. Plusieurs dizaines de personnes ont été envoyées par l’Union des Nations d’Amérique du Sud pour garantir et vérifier si ces élections se passaient dans des conditions convenables. Il n’y a pas eu, là non plus, de critiques ou de remarques particulières de la part de ces observateurs de l’UNASUR.
En ce qui concerne les thèmes de campagne, il y a eu une surenchère sociale assez curieuse entre le président sortant et son principal concurrent Guillermo Lasso, un banquier, qui est arrivé deuxième avec 21 % des suffrages (Rafael Correa ayant gagné avec presque 57 % des votes). Cela concernait une prestation sociale qui est accordée aux Equatoriens les plus pauvres. Monsieur Lasso ayant proposé dans son programme de porter cette aide à 50 dollars, la mesure a été immédiatement adoptée pendant la campagne électorale par le candidat Correa, en tant que président sortant. Ce fut l’élément le plus surprenant de cette campagne électorale qui, au final, a opposé un président qui s’est battu sur son bilan à un opposant principal, sur sa droite, qui essayait de faire de la surenchère en matière sociale. Sur sa gauche, le principal opposant était un de ses anciens ministres qui dénonçait le socialisme de Correa comme étant un « socialisme de mots » et non pas de réalité. Il bénéficiait du soutien de la communauté indigène organisée de l’Equateur et a obtenu 6 % des voix.

Quelle est la personnalité du Président Correa ? Comment est-il perçu dans l’opinion publique ? Quelles sont les clés de son succès ?

Concernant la perception du président, ce qui retient l’attention, c’est le caractère quelque peu superficiel de l’élection qui a été mis en avant à l’extérieur de l’Equateur. Les électeurs équatoriens ne se sont pas prononcés sur le côté effectivement un peu excessif dans son expression du Président Correa mais sur ses réalisations concrètes. C’est son bilan qui lui a permis de gagner les élections et non pas le fait qu’il ait une grande liberté de langage dans ses discours ou qu’il dise ses quatre vérités à tout le monde, y compris à des chefs d’Etat étrangers. C’est le bilan qui est essentiel pour expliquer la confirmation de son élection précédente.

Réélu haut la main, Rafael Correa pourrait-il incarné le nouveau chef de file de la gauche radicale latino-américaine ?

Il faut bien distinguer le discours assez radical du Président Correa des réalités. Il utilise beaucoup le mot « révolution » et l’expression « socialisme du 21ème siècle », mais quand on regarde ce qu’il fait en réalité, on s’aperçoit qu’il modernise l’Equateur. Il s’est attaché à ce que l’Etat fonctionne, à ce que les impôts soient payés par les Equatoriens et à ce que l’argent issu des impôts directs ou des taxes payées sur le pétrole (l’Equateur étant un grand exportateur de pétrole) soit affecté à des investissements publics et à des programmes sociaux. Alors est-ce cela « faire la révolution » ou être socialiste ? Selon lui, c’est le cas. Quelques-uns de ses opposants sur sa droite considèrent que c’est du communisme alors que sur sa gauche, on estime qu’il y a tromperie sur le vocabulaire. Si on cherche des comparaisons, son socialisme se rapproche beaucoup, non pas dans l’expression mais dans la réalisation, de ce qui s’est passé en Espagne au moment de la transition démocratique en 1982 avec le changement introduit par Felipe Gonzalez. C’est donc un gouvernement modernisateur dont le chef d’Etat tient des discours qui se disent révolutionnaires et socialistes.

Rafael Correa est-il susceptible de jouer un rôle important en Amérique latine ?

En Amérique latine, il fait partie des chefs d’Etat qui, depuis une dizaine d’années, ont des politiques sociales actives et qui représentent donc une nouvelle génération d’hommes politiques en rupture avec les partis, qu’ils soient de droite ou de gauche, qui avaient gouverné jusqu’ici ces pays. Il appartient au groupe de la « nouvelle gauche » d’Amérique latine, dont on parle souvent, qui associe le respect des élections à des politiques sociales actives et qui surtout, et c’est ce qui est souvent critiqué à l’étranger, a une politique nationaliste. Ces gouvernements-là ne suivent pas le modèle soviétique d’il y a trente ou quarante ans mais ils n’hésitent pas à s’opposer à des entreprises étrangères voire à les nationaliser. L’Equateur de Rafael Correa se trouve dans le même groupe que le Brésil de Dilma Rousseff, l’Uruguay, l’Argentine et le Venezuela, bien que leurs politiques soient différentes.
Il y a aussi un autre élément dans sa politique qui le distingue un peu des autres : l’écologie. Il défend le projet Yasuni-ITT sur la non-exploitation du pétrole qui se trouve dans le sous-sol d’une réserve de la forêt amazonienne qui est particulièrement riche en biodiversité. Il a proposé à la communauté internationale de l’aider à préserver ce site en lui demandant de prendre en charge la moitié de son financement, l’autre moitié restant à la charge du gouvernement équatorien. Pour cela, il a fait transiter cette demande par le biais des Nations Unies, dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le développement, demande qui a débouché sur l’ouverture d’un compte pour cette région. Le président Correa s’est ainsi créé une image internationale qui dépasse, et de loin, l’Amérique latine.
Sur la même thématique