ANALYSES

Primaires en Italie : quel avenir politique pour le pays ?

Interview
3 décembre 2012
Réponse de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Dans quel contexte ont eu lieu les élections primaires de la gauche italienne ? Ont-elles été un succès ?
Le contexte économique est très difficile. L’Italie est un pays en récession (on évalue la contraction du PIB à 2,4% pour l’année 2012) et où le retour à la croissance n’est pas prévu avant 2014. Ce manque de croissance est en partie dû à d’imposantes mesures d’austérité votées par S. Berlusconi, puis par M. Monti (presque 130 milliards de réduction de dépense publique et augmentation d’impôts votés en deux ans). Concernant le contexte politique du pays, le constat n’est pas meilleur. Une longue série de scandales de corruption, qui ont impliqué la totalité des partis politiques, alimente le populisme. D’après les sondages, aujourd’hui, au moins 50% des Italiens se disent désintéressés, voir dégoûtés par la politique, et ne donnent aucun crédit aux élites politiques italiennes.
Dans ce contexte assez dégradé économiquement et politiquement, organiser une consultation populaire pour choisir le leader du centre-gauche représentait un challenge de taille. Le Parti Démocrate est le parti pivot de cette alliance de centre-gauche (qui comprend les post-communistes de « Gauche, Ecologie et Liberté –SEL– et d’autres formations mineures), et est l’héritier à la fois de la tradition du parti communiste (PCI) et de la tradition des démocrates-chrétiens de gauche. Malgré le contexte de rejet du politique, le Parti démocrate est parvenu à amener plus de 3 millions d’électeurs aux urnes. Le ballotage entre le secrétaire Bersani et le jeune Renzi a passionné l’Italie et le débat télévisé entre les deux candidats au second tour a été extrêmement suivi. Nous avons donc eu des candidats qui ont su impliquer les citoyens et qui ont su offrir deux visions différentes du centre-gauche et de l’avenir de la gauche italienne, deux projets politiques. En cela, ces primaires ont été un succès.

Pierluigi Bersani a été élu au second tour des primaires avec environ 60% des voix. Peut-on pour autant dès aujourd’hui affirmer qu’il sera le prochain Président du conseil italien ?
Pierluigi Bersani, qui a remporté ce scrutin, est un homme d’expérience. Ministre du gouvernement de Romano Prodi, il est le leader du Parti Démocrate depuis 2009. C’est une personnalité qui est reconnue par tout le monde comme étant honnête. Son profil politique est celui d’un social-démocrate vieille école, assez rassurant. Au niveau européen, il est assez proche à la fois de François Hollande et des leaders du SPD allemand.
Malgré des sondages flatteurs pour le Parti Démocrate, il est impossible d’affirmer aujourd’hui que Pierluigi Bersani sera le prochain Président du conseil italien. Les élections législatives devraient avoir lieu le 10 mars 2013, or le principal problème aujourd’hui est que nous ne savons pas encore selon quelle loi électorale l’Italie votera. Si le vote se faisait sous la loi électorale actuelle, il y aurait 99% de chance que Pierluigi Bersani soit nommé Président du conseil. Néanmoins, le centre-gauche ne possède pas la majorité au Parlement ; les partis du centre et de droite, et S. Berlusconi notamment, pourraient être tentés de modifier la loi afin de disposer d’une minorité de blocage. Aussi, le Président de la République et la Cour Constitutionnelle font pression sur les partis politiques pour sa modification, à cause de son « prix à la majorité », en termes de sièges au parlement, considéré excessif, et du mode de sélection des députés (choisis par les partis politiques et non par les citoyens, ce qui a donné lieu à un certain nombre de dérives).
Pierluigi Bersani devra aussi montrer qu’il est capable d’élargir le périmètre électoral de la gauche italienne, historiquement minoritaire. Son profil actuel est assez marqué à gauche et pourra difficilement attirer des « déçus » du centre-droit. Le leader du parti Démocrate souhaite en effet élargir son camp, afin de ne pas être isolé dans son alliance avec les post-communistes de SEL, qui affichent un profil très contestataire en matière de politique européenne et étrangère, mais aussi économique. Une alliance post-électorale avec les centristes de l’UDC semble possible et même souhaitée par Bersani pour s’affranchir de SEL, mais elle remettrait au centre du jeu Mario Monti.

Vers quoi se dirige-t-on pour la campagne électorale à venir ?
Une partie de l’opinion publique italienne, mais aussi un grand nombre des « pouvoirs forts » du pays (l’église, le patronat), ainsi que la presque totalité des leaders internationaux et des acteurs des marchés financiers, souhaitent une continuité de l’expérience Monti, qui a redoré le blason italien sur la scène internationale. Du coup, il est très difficile de faire des prévisions sur l’avenir politique italien. Monti jouera certainement un rôle, en tant que premier ministre, président de la République ou ministre de l’Economie et des Finances, selon un nombre de variables important qui va de la loi électorale, au jeu d’alliances entre partis, au résultat électoral lui-même.
La situation économique et politique fortement dégradée n’exclue pas la répétition en Italie d’un scénario à la « Grecque ». Le vote contestataire et une partie des personnes qui annoncent aujourd’hui leur abstention pourraient confluer en faveur du « Mouvement 5 étoiles », fondé par l’humoriste Beppe Grillo, qui préconise entre autre un référendum sur le maintien du pays au sein de la zone euro. Ce mouvement est crédité de 18 à 20% dans les sondages, contre 30% pour le Parti Démocrate, mais pourrait davantage capter que M. Bersani l’envie de changement des Italiens, dans un scénario semblable à celui de 1994 qui avait été marqué par le premier succès de S. Berlusconi face à une gauche incapable de sentir les courants d’opinion de la société italienne. Aussi, un renforcement des mouvements anti-euro en Italie confirmerait que le clivage politique dominant en Europe n’est plus celui entre la gauche et la droite, mais celui entre les pros et les anti-système, là où l’Euro et l’Union Européenne sont deux éléments clés de l’appartenance à celui-ci.
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