ANALYSES

Syrie/Turquie : vers une escalade des tensions ?

Interview
4 octobre 2012
Pourquoi la guerre en Syrie a-t-elle débordée sur le territoire turc ?
Il faut se remettre dans le contexte de la frontière syro-turque : la situation y est extrêmement instable. Il ne s’agit sans doute pas d’une provocation délibérée de l’armée syrienne. Les combats font rage, une partie de la frontière syrienne est tenue par les rebelles syriens et l’armée régulière est donc en combat permanent. Il y a eu là un tir de mortier, visiblement mal calculé, qui a débordé la ligne frontalière et s’est abattu sur un village turc. Humainement, c’est évidemment condamnable et dramatique mais il n’est en même temps pas étonnant que ce genre de bavure se produise au vu de la volatilité qui règne à la frontière entre les deux pays, dans un climat de tensions extrêmes où les positions de la Turquie sont devenues, au cours des derniers mois, extrêmement fermes vis-à-vis du régime syrien.

Quel historique peut-on dresser des relations entre les deux pays ?
La situation est quelque peu compliquée : pendant des décennies et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les rapports entre les deux pays étaient exécrables. On sait par exemple que le régime syrien a abrité pendant longtemps le principal leader des indépendantistes kurdes de Turquie, Abdullah Öcalan. Il a fallu un déploiement de l’armée turque à la frontière à l’automne 1998 pour que le régime syrien, à l’époque dirigé par le père de Bachar el-Assad, Hafez el-Assad, expulse ce leader kurde. Il est intéressant de noter qu’à partir du moment où Öcalan a été expulsé, il y a eu assez rapidement des prises de contact plutôt constructives entre les responsables politiques des deux Etats. S’en est suivi à partir de 2002-2003 un réel et spectaculaire rapprochement entre les deux pays : des rencontres de très haut niveau ont été organisées, de nombreux accords économiques ont été signés, les visas ont été supprimés. Il y a même eu à deux reprises des rencontres communes de conseils des ministres. Évidemment, depuis le début de la révolte en Syrie au mois de mars 2011, il y a eu une dégradation incontestable des relations. Dans un premier temps, les Turcs ont distribué des conseils et formulé des demandes à Bachar el-Assad de démocratiser son régime. Cela a duré six mois mais au cours de l’été 2011, un basculement s’est opéré : les Turcs se sont sentis comme floués par Bachar el-Assad. Il y a donc eu un raidissement et depuis l’été 2011, les deux régimes se livrent à un bras de fer. On sait qu’une partie de la direction de ceux qui se nomment l’ALS s’est abritée en Turquie et que des opposants, notamment les membres du CNS, ont leurs quartiers ouverts dans ce pays.

Comment la situation est-elle susceptible d’évoluer ?
La réaction a été extrêmement vive de la part du Premier ministre turc. Il y a eu quelques tirs de mortiers turcs contre des « objectifs syriens », ont relayé les agences de presse turques sans qu’on ne sache très exactement ce que sont ces objectifs. Et le parlement turc s’est réuni d’urgence ce jeudi pour autoriser formellement l’armée à conduire des opérations en Syrie. Cette situation ne va sans doute pas néanmoins dégénérer. Il y aura peut-être éventuellement quelques opérations militaires turques mais très limitées et c’est d’ailleurs souhaitable : s’il y avait des opérations de grande ampleur, la situation, déjà tendue, ne serait plus contrôlable. Personne à ce jour n’a intérêt à ce que la situation dégénère totalement : ni les Turcs eux-mêmes parce qu’ils sont en première ligne, ni l’OTAN dont fait partie la Turquie, ni l’ONU qui essaie de faire voter une résolution où se pose encore une fois la question de l’opposition de la Russie et de la Chine, ni enfin les Syriens, qui ont présenté leurs excuses et condoléances hier très rapidement. Tout cela restera donc sans doute dans un espace contrôlé. Au-delà d’un moment de tension extrêmement fort qui va perdurer encore quelques heures, je crois que personne ne veut aller de l’avant et envisager une opération militaire de grande ampleur en Syrie. Les conditions politiques ne sont pas réunies pour ce faire.