ANALYSES

Que va changer l’élection de Mohamed Morsi à la présidence égyptienne ?

Interview
26 juin 2012
Réponse de Didier Billon, directeur des publications de l’IRIS
Au niveau de la politique intérieure, cela ne suscitera pas de bouleversements majeurs, pour une raison très simple : Mohamed Morsi a été proclamé président après des journées de tractations. S’il y a eu tant de tractations, c’est que les Frères musulmans et l’institution militaire incarnée par le CSFA (Conseil suprême des forces armées) ont passé un compromis. Aucune de ces deux forces politiques qui structurent aujourd’hui la vie politique en Egypte ne dépassera la ligne rouge, chacune sait jusqu’où ne pas aller. Quel est le contenu exact de ce compromis, nul ne le sait. Les militaires ont sans doute obtenu la garantie, en tout cas à court terme, que les Frères musulmans ne viendraient pas se mêler des investissements économiques détenus par l’armée ni de son budget dont personne ne contrôle exactement l’importance. Deuxièmement, les militaires ne seront pas inquiétés en ce qui concerne les aspects judiciaires les concernant en rapport notamment avec la répression qu’ils ont pu mener à l’encontre des manifestants.

L’avantage pour les Frères musulmans est qu’ils pourront continuer à développer leur parti, et leur force militante. Ils pourront également se présenter aux élections législatives qui vont se tenir prochainement puisque le Parlement a été dissous. La situation est donc paradoxale : au-delà de la proclamation de son élection, le nouveau président égyptien n’a pas de prérogatives définies puisqu’il n’y a pour le moment ni Constitution, ni Parlement.

Au niveau de la politique extérieure et régionale, il ne devrait pas y avoir de modifications importantes, et ce fondamentalement pour les mêmes raisons. Certains ont pu formuler l’inquiétude d’une dénonciation du traité de paix signé en 1979 avec Israël mais il n’en est pas question. L’armée égyptienne tient trop à maintenir le cadre de ce traité. C’est pour elle une des conditions majeures pour continuer à recevoir l’aide massive des Etats Unis, soit 1,3 milliard de dollars par an qui vont dans les caisses de l’armée. La seule chose qui puisse changer serait une aide accrue en direction du Hamas palestinien qui dirige la bande de Gaza et dont les relations avec les Frères musulmans égyptiens sont très étroites. Mais le rapport de force est tel que les Frères musulmans ne modifieront pas l’équation stratégique du rapport de l’Egypte à Israël.

Il n’y aura également ni rupture ni tensions avec les Etats-Unis, du moins avec l’administration Obama qui a compris qu’il était inutile et contre-productif de s’opposer à l’émergence des forces politiques se réclamant de l’islam. Par ailleurs, le compromis passé entre le parti et l’armée garantit une forme de stabilité que les Etats-Unis souhaitent conserver.

Le véritable problème égyptien à l’heure actuelle est économique. La situation est absolument catastrophique. Certains experts considèrent que l’Egypte est à la veille d’une banqueroute généralisée, ce qui pose la question de l’aide économique internationale. De par sa population, 80 millions d’habitants dont plus de la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté, mais aussi de par sa position géographique et son histoire, l’Egypte est un pays pivot dans le monde arabe. Son effondrement économique aurait de lourdes conséquences dans la région. C’est à ce niveau que les Américains comme les Européens auront à faire un gros effort de négociation sur l’aide et les questions économiques. Il y a là un besoin urgent dont peu de monde parle. Il s’agit pourtant du grand défi à relever, au-delà de la stabilisation de la sphère politique égyptienne.
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