ANALYSES

Que signifie la disposition prise par les autorités égyptiennes de dissoudre l’Assemblée constituante ? Peut-on parler d’un coup d’État larvé ?

Interview
18 juin 2012
Le point de vue de Didier Billion
Il faut tout d’abord remettre cette décision dans son contexte : l’Égypte est toujours, et probablement encore pour de nombreuses semaines, dans un processus révolutionnaire. Il n’y a en effet pas eu à proprement parler de révolution en Égypte. Pour preuve, le Conseil suprême des forces armées détient encore l’essentiel des décisions. Mais nous sommes dans un processus révolutionnaire du fait que, depuis des mois, il y a une incapacité des responsables politiques égyptiens à stabiliser la situation : ainsi, la dissolution, le 10 avril, par un tribunal administratif de la commission chargée de rédiger la nouvelle constitution ; ainsi, la préparation des élections présidentielles où un certain nombre de candidats ont été invalidés au dernier moment et n’ont pas pu se présenter. Lors du premier tour, ceux dont tous les sondages considéraient qu’ils ne pourraient pas atteindre le deuxième tour y sont finalement parvenus. Le cadre est en outre assez paradoxal aujourd’hui : il y a des élections présidentielles mais en l’absence de Constitution, on ne connait même pas les prérogatives du futur président. Ces quelques exemples indiquent suffisamment qu’il y a une sorte de bouillonnement politique et une incapacité à stabiliser les rapports de forces.

Ensuite, une sorte de bras de fer est en train de se nouer entre l’institution militaire et les Frères musulmans au travers des deux candidats du deuxième tour. A ce jour personne ne peut savoir comment cette crise, cet affrontement, va se dénouer.


Enfin, la dissolution de l’Assemblée législative la semaine dernière nous montre, une nouvelle fois, que la situation n’est pas stabilisée. Cette décision est très lourde de conséquence car les élections législatives s’étaient déroulées de façon tout à fait acceptable du point de vue de l’exercice des droits démocratiques.


C’est probablement une sorte de coup d’État larvé. Les conditions de l’élection de cette chambre n’étaient pas parfaites mais tout le monde les avaient acceptées, ainsi que le résultat proclamé. Comment se fait-il que, quelques mois plus tard, une décision de dissolution, entre les deux tours des présidentielles de surcroît, soit prononcée ?


Le moment choisi avive évidemment toutes les tensions politiques, ce qui est très dangereux. On sait par ailleurs que l’armée s’est déployée dans un certain nombre de points stratégiques autour des bâtiments officiels depuis quelques jours, tout cela ne va donc pas dans le bon sens. Ce bras de fer triangulaire engagé entre les Frères musulmans, les forces démocratiques (certes très minoritaires) et l’armée, n’est pas porteur d’un grand optimisme pour les jours ou les semaines à venir en Égypte.
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