ANALYSES

Un an après le début des mouvements de protestation en Syrie, pourquoi Bachar Al-Assad est-il toujours en place ?

Interview
15 mars 2012
Plusieurs raisons se conjuguent. La première, et peut être la plus importante, est que, contrairement à ce que beaucoup prétendent, le rapport de force est plus complexe qu’il n’y paraît. Le peuple ne s’est pas levé unanimement contre le régime syrien. En réalité, on constate après un an de contestation, parfois violentes, qu’aucun des camps en présence n’est parvenu à imposer sa volonté et ses exigences à l’autre. Le pouvoir, malgré l’utilisation massive de la répression, n’a à ce jour pas réussi à faire rentrer le mouvement de contestation dans le rang. A contrario, le mouvement de contestation, qui est en réalité politiquement extrêmement divisé, n’a pas non plus réussi à imposer ses revendications, parmi lesquelles le départ de Bachar Al-Assad. Nous avons une sorte de statu quo extrêmement dur et violent, tragique parfois, mais qui est l’expression de la situation. Cela s’explique par le fait que le régime possède encore le soutien d’une base sociale qu’il ne faut pas minimiser. Elle se compose des minorités chrétiennes, alaouites et éventuellement kurdes qui préfèrent rester dans une forme de statu quo plutôt que de plonger dans le chaos ou de voir les islamistes sunnites radicaux prendre le pouvoir. N’oublions pas non plus qu’une partie de la base sociale de Bachar Al-Assad se compose de la bourgeoisie sunnite qui, depuis une dizaine d’années, a profité de l’ouverture économique du pays. Tout cela constitue un socle de population qui jusqu’à ce jour ne s’est pas désolidarisé du régime et continue à le soutenir.
Par ailleurs, n’oublions pas que l’armée syrienne, dont certains avaient prédit la dislocation, n’a connu en réalité que peu de désertions. Elle se compose d’à peu près 300 000 hommes parmi lesquels 40 000 auraient désertés, mais seulement la moitié pour rejoindre les rangs de la rébellion. Les autres sont rentrés chez eux et ne sont pas dans une logique d’affrontement avec le régime. Au maximum, seul une vingtaine de milliers de déserteurs tente de façon un peu désespérée de se battre les armes à la main contre le régime.
Le deuxième élément réside donc dans l’asymétrie militaire. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les insurgés et l’Armée libre syrienne (ALS) n’ont à ce jour que peu d’armement lourd, certainement parce qu’ils n’ont pas eu suffisamment d’aide extérieure. Que ce soit juste ou pas, cela reste un fait. Homs en est l’illustration parfaite et l’armée syrienne qui est restée fidèle au président Bachar a pilonné la ville pendant des jours et des nuits alors qu’en face, les insurgés ne possédaient qu’un armement léger. Cette asymétrie militaire permet au régime, et c’est sa tactique depuis quelques jours, de reprendre les villes insurgées les unes après les autres et de les « nettoyer ». On a vu cela à Homs depuis dix jours et on voit cela aujourd’hui avec la chute de la ville d’Idlib, vers la frontière turque. Je pense que dans les jours à venir il y aura d’autres villes, plus petites, qui résisteront moins longtemps. Il me semble que nous sommes à un tournant politique de la situation, et que le régime syrien est en train graduellement de reprendre la main dans des conditions terribles.
Enfin le troisième niveau est évidemment la question internationale. L’ONU, à cause du refus sino-russe de voter au Conseil de sécurité une résolution ayant comme préalable le départ de Bachar Al-Assad et le changement de régime, se trouvent dans l’incapacité de peser réellement sur la situation, telle qu’elle avait pu le faire en Libye. La Syrie et la Libye sont deux cas totalement différents, et tous ceux qui s’étaient illusionnés sur la capacité de refaire en Syrie ce qui avait été possible en Libye se sont totalement trompés. En outre, La Russie et la Chine considèrent qu’elles ont été flouées par l’application pour le moins extensive de la Résolution 1973 à propos de la Libye et ne sont pas prêtes à rééditer la même situation une deuxième fois. Le régime de Bachar Al Assad a parfaitement saisi la signification de l’immobilisme de ladite communauté internationale et il en profite. Incontestablement, il fait de la politique et sait évaluer les contradictions internationales.
La conjugaison de ces trois éléments nous permet de comprendre pourquoi, après un an de contestation, ce régime n’est pas totalement isolé, ni au niveau interne ni au niveau international. Je crois même pouvoir considérer aujourd’hui, avec toute la prudence nécessaire, qu’il est en train de reprendre graduellement la main, en cela favorisé par la grande division qui règne au sein d’une partie de l’opposition incarnée dans le CNS.