ANALYSES

La réélection contestée de Vladimir Poutine fragilise-t-elle le mandat à venir, à la fois sur les questions internes et internationales ?

Interview
6 mars 2012
Le point de vue de Arnaud Dubien
Aujourd’hui, on a l’impression que Vladimir Poutine effectue le mandat de trop et qu’il y a une érosion du pouvoir avant même qu’il ne revienne formellement au Kremlin en mai prochain. Il y a également une érosion de sa popularité qui s’inscrit dans le prolongement des faibles résultats enregistrés par son parti Russie Unie en décembre. On entre clairement dans une nouvelle phase politique qui ne ressemblera pas aux années 2004 – 2008, placées sous le signe de la « verticale du pouvoir » et de la « démocratie souveraine » (le tout copieusement arrosé de gazo-roubles), auxquelles l’entourage du président et le président lui-même souhaitaient revenir. Cette nouvelle phase sera plus incertaine. Elle rappellera sans doute la fin des années 90 ou plus probablement le début des années 2000, c’est-à-dire une période où Poutine est certes le président mais au cours de laquelle il doit composer avec d’autres élites et d’autres forces sociales.
La question aujourd’hui réside principalement dans le degré d’ouverture du système russe. Vladimir Poutine, de par sa nature, n’incline pas vraiment vers une libéralisation et une démocratisation. Dans son esprit, la démocratie est incompatible avec la grandeur du pays. Mais il est conscient qu’il ne peut pas ignorer ce qu’il se passe dans la rue, bien que les manifestants représentent des forces sociales très minoritaires et peu représentatives de la société en général. Elles n’en restent pas moins les forces vives du pays, composées de jeunes diplômés capables de porter la modernisation de la Russie. Les ignorer est impossible, d’où les premiers signaux qui ont été envoyés dès le mois de décembre, avec le retour au principe d’élection des gouverneurs de régions et l’annonce faite hier sur le possible réexamen de l’affaire Khodorkovsky.
Vladimir Poutine revient au Kremlin pour six ans, dans un contexte très différent de celui qu’il avait imaginé à la fin de l’été alors qu’il effectuait son étrange permutation avec Dmitri Medvedev, épisode qui constitue à mon avis la racine du problème. Cette épisode théâtralisé a été très mal vécu par les Russes, y compris par ceux qui n’étaient à priori pas favorables à l’opposition et qui ne sont pas allés manifester. Une majorité y a vu une humiliation et un abaissement de la Russie, considérant qu’il n’est pas digne d’un grand pays de se passer le pouvoir de la sorte. Poutine est donc en situation complexe. Il est certes toujours l’homme politique le plus populaire mais cela par défaut, faute d’alternative crédible. L’un des enjeux des semaines et des mois qui viennent sera la reconstruction d’une opposition crédible avec l’apparition d’une possible alternative à Vladimir Poutine. Il est temps désormais d’imaginer l’après Poutine, voir même une Russie sans Poutine, et certains dans les cercles de pouvoir commencent à le faire.
En ce qui concerne la politique étrangère, on ne doit pas s’attendre de mon point de vue à de grands bouleversements, même si sur certains dossiers et dans certaines régions (CEI et Moyen Orient), il est probable que la rhétorique russe sera un peu plus dure. Nous avons vu que la constitution d’une Union eurasienne était la priorité diplomatique de Vladimir Poutine, il y a consacré un article en octobre. On a aussi bien compris que les affaires libyenne puis syrienne étaient des sujets de divergence avec l’Occident. Sur ces dossiers-là, la position de la Russie risque de devenir un peu plus ferme que sous l’aire Medvedev. Pour le reste, je ne pense pas qu’il faille s’attendre à des évolutions majeures.
Ce qui risque de changer, ce sont les perceptions de la Russie à l’étranger. Dans une certaine mesure, elles ont déjà changées. En politique étrangère, les symboles comptent parfois autant que la substance d’une politique, et le retour de Poutine au Kremlin en est un important. Pour les Européens, et en particulier pour les Etats qui cherchent à renforcer leurs relations et à convaincre les autres pays européens de la nécessité d’un partenariat stratégique avec la Russie, le retour de Poutine complique singulièrement la tâche. Il est évident que Medvedev incarnait une Russie un peu différente de celle de Poutine et il sera plus difficile par exemple à la France de convaincre Bruxelles qu’il faut aller plus loin avec Moscou.
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