ANALYSES

Qu’est-ce que Boko Haram ? Va-t-on vers une guerre ethnique au Nigéria ?

Interview
9 janvier 2012
Le point de vue de Philippe Hugon
Boko Haram est une secte religieuse constituée après le 11 septembre 2001, qui se réfère aux talibans d’Afghanistan et se veut anti-occidentale, favorable au développement du djihadisme et à l’instauration de la charia. Elle a évolué avec le temps, et a commis un certain nombre d’attentats. Il y a plus de deux ans, une très forte répression de la part des autorités nigérianes a causé 800 morts, parmi lesquelles le chef de Boko Haram. Depuis, un renouveau s’est opéré, qui se constate notamment dans les manifestations qui ont cours depuis Noël. Une recrudescence du mouvement s’opère, et plusieurs éléments nouveaux apparaissent : il est aujourd’hui avéré qu’il est religieusement intégriste et qu’il entretient des liens avec les shebabs de Somalie pour sa formation et également avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). On accuse, sans doute à raison, un certain nombre d’hommes politiques d’instrumentaliser ce mouvement pour des questions de politique interne au Nigéria, ce qui mène le pays vers une situation délicate. L’État d’urgence a été instauré, Boko Haram a réclamé que les chrétiens quittent le Nord du Nigéria et que la charia soit instaurée – douze États du Nord l’ont fait, mais certains ont refusé, notamment ceux du plateau de Jos. Nous sommes donc actuellement au plein cœur d’un important cycle de violences, de représailles, de volonté de réponse de la part des chrétiens, et de répression très forte, bien que prévisible, de la part des autorités nigérianes.
Je ne pense pas qu’une guerre ethnique soit envisageable dans le pays. Nous sommes là bien loin de la situation qu’a connu le Biafra il y a de cela plusieurs années, et qui, à l’époque, avait été soutenu par des puissances étrangères. Actuellement, il existe certes un risque d’extension de la violence, et des représailles pourraient avoir lieu entre les chrétiens et les musulmans, notamment dans l’État du plateau. Les violences telles qu’elles ont cours notamment dans le delta du Niger pourraient également s’étendre. Mais le Nigéria est avant tout un État fédéral, qui est parvenu à trouver des règles de partage de la rente pétrolière et à en instaurer d’autres, évolutives, vis-à-vis de son chef de l’État ; je ne pense donc pas que Boko Haram jouisse d’un important soutien de la part de la population musulmane du Nord du pays.
Les conflits à dimension religieuse ne vont pas disparaître, mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit souvent plutôt de questions de droit. Le plus inquiétant demeure selon moi le développement des réseaux criminels, éventuellement mafieux et terroristes liés à AQMI dans la région (Niger, Mali, Sud de l’Algérie). Le développement du terrorisme est selon moi le seul réel danger à affronter. Le spectre de la guerre civile ne devrait pas avoir une telle résonnance. Par contre, il est vrai que le Nigéria doit faire face à une multitude de problèmes, parmi lesquels la grève générale qui a actuellement cours, due à la hausse du prix de l’essence, et qui pose au chef de l’État Goodluck Jonathan un considérable problème de légitimité.
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