ANALYSES

Alors que toutes les troupes américaines sont sur le point de se retirer, qu’en est-il de la situation en Irak ? Quel bilan pour les Etats-Unis ?

Interview
15 décembre 2011
Le point de vue de Karim Pakzad
À mes yeux, la chute de Saddam Hussein reste le seul point positif de l’invasion américaine en Irak. Elle était par ailleurs apparue inéluctable dès lors que la décision avait été prise d’envahir le pays. L’armée irakienne et le régime dans son ensemble, affaibli et désorganisé, ne pouvaient résister contre la puissance militaire américaine engagée sur le terrain. Mais la véritable justification de la guerre était ailleurs. Pour Washington, l’Irak constituait un danger pour la sécurité de la région et même des Etats-Unis par le développement des armes de destruction massive. Des arguments mensongers, qui ont durablement terni l’image et la crédibilité des Etats-Unis, encore plus minée par leur décision d’intervenir militairement sans accord du Conseil de sécurité de l’ONU, à qui elle a porté un coup sévère, de même qu’au droit international.

George W. Bush et ses idéologues néoconservateurs ont très vite développé l’idée selon laquelle l’Irak pourrait être le point de départ de la démocratisation du « Grand Moyen-Orient », comprenant les pays du Maghreb jusqu’en Afghanistan. Face aux difficultés rencontrées en Irak, ce projet a très vite été abandonné.

Les Etats-Unis quittent l’Irak « avec honneur et la tête haute », selon Barack Obama. Mais le bilan de l’engagement américain dans le pays est amer et coûteux : 800 milliards de dollars dépensés, près de 4500 soldats américains tués ainsi que 20.000 soldats et 100.000 civils irakiens.

Après une première période de deux ans où Paul Brumer, le « proconsul américain » s’est comporté comme le maître de Bagdad, les Etats-Unis se sont trouvés contraints de tenir compte de la réalité communautaire et confessionnelle de l’Irak. Par la suite, les Irakiens ont progressivement repris en main leur destin. La volonté et l’engagement de la haute autorité chiite, notamment du grand ayatollah Ali Sistani, y ont joué un rôle important.

La chute du régime de Saddam Hussein, qui représentait la minorité sunnite agissant au détriment de la majorité de la population irakienne, et l’adoption d’un système électoral fondé sur le principe « un homme, une voie », ne pouvait qu’aboutir à l’émergence d’un pouvoir chiite, qui représente près de 60% de la population. Allié des Kurdes persécutés par Saddam Hussein, l’Etat irakien a retrouvé un semblant de stabilité et de cohérence. Le retour des Sunnites dans la vie politique après les élections de 2009 a favorisé cette tendance. Mais, dans le système mis en place, le pouvoir est partagé sur des critères communautaires. Les Chiites, majoritaires, dirigent le gouvernement et détiennent l’essentiel du pouvoir. Les Kurdes détiennent la présidence de la République. Par ailleurs, dans le cadre d’un système fédéral qu’ils ont voulu et obtenu dans la nouvelle Constitution irakienne, les Kurdes bénéficient d’une indépendance de facto dans leur province du nord avec l’existence d’un président (Massoud Barzani), d’un premier ministre (actuellement Saleh Barham de l’UPK) et d’un parlement élus. Havre de tranquillité et de paix alors que le terrorisme secoue les autres provinces irakiennes, les Kurdes ont connu un développement économique qui fait désormais de cette région, jadis la plus pauvre, la plus développée et la plus dynamique du pays. Quant aux sunnites, une grande partie d’entre eux ont accepté le changement et ont réintégré la vie politique. Ils détiennent la présidence du Parlement et quelques ministères.

Le système mis en place reste cependant fragile. Si Al-Qaïda est très affaiblie, des groupes liés à l’ancien parti Baas et des résidus de groupes islamistes sunnites apparus sous l’occupation américaine sévissent encore. L’Irak n’est toujours pas parvenu à adopter une loi sur le pétrole, objet de convoitise entre les Kurdes et les Chiites. Les Kurdes ont signé des contrats dans le domaine de l’exploitation du pétrole de la province de Kirkuk, sans l’aval du pouvoir central. Le sort de cette province pétrolière à majorité kurde et revendiquée par ces derniers comme leur capitale historique n’est pas réglé. D’où des tensions épisodiques entre les Kurdes et les autres communautés, y compris avec leurs alliés chiites.

Loin de servir de point d’appui aux Etats-Unis pour démocratiser la région ou renforcer leur présence dans cette partie du monde, l’intervention américaine a d’abord éliminé l’un des ennemis les plus implacables de la République islamique d’Iran. Ce pays est incontestablement le grand bénéficiaire de la chute de Saddam Hussein. L’Iran est héritier de la Perse, alors que les Chiites irakiens sont arabes, et la rivalité historique entre les Iraniens et les Arabes est légendaire. Il est néanmoins vrai que l’Iran jouit d’une grande influence auprès de la plupart des partis chiites irakiens qu’il a accueilli et soutenu pendant plus de deux décennies sur son territoire. Minoritaires dans le monde musulman, il existe également une solidarité entre les Chiites qui dépasse l’appartenance ethnique. C’est un facteur que l’on ne peut ignorer dans le nouvel équilibre de la région.

Cette proximité entre les Chiites irakiens et l’Iran inquiète plus d’un pays arabe. L’Arabie saoudite la regarde d’un œil méfiant. En retour, le Premier ministre Nouri al-Maliki, en personne, a dénoncé à plusieurs reprises l’attitude de l’Arabie saoudite en Irak. Ce n’était pas un hasard si Ryad était en faveur de la poursuite de la présence américaine en Irak. L’Irak est toujours membre de la Ligue arabe, mais le pays n’est pas défini dans la nouvelle constitution comme étant un pays arabe au même titre qu’il l’était avant la chute de Saddam Hussein. L’identité kurde de l’Irak est aussi prise en compte et c’est un Kurde qui préside l’Irak.

L’attitude de l’Irak vis-à-vis de la situation en Syrie est révélatrice de la nouvelle donne dans la région. Résistant à la pression de la Ligue arabe et à Washington, l’Irak a refusé de demander le départ du président syrien Bachar al-Assad et n’est pas associé aux sanctions prises à l’encontre de Damas par les pays arabes. La diplomatie irakienne est donc sur la même ligne que celle de l’Iran vis-à-vis de la Syrie. En privé, les responsables irakiens soulignent le soutien du père de Bachar al-Assad, Hafez al-Assad, aux Kurdes et aux Chiites pourchassés par Saddam Hussein et réfugiés à Damas. Aussi iconoclastes qu’elles apparaissent, ce type de relations joue un rôle important dans le comportement des responsables politiques dans cette partie du monde. Il y a aussi une autre raison qui détermine l’attitude des dirigeants irakiens vis-à-vis de Damas. La chute de Bachar al-Assad se traduira automatiquement par l’ascension au pouvoir des Sunnites qui risquerait de provoquer à nouveau un conflit entre les Chiites et les Sunnites en Irak. Le désaccord avec les Etats-Unis sur la Syrie, exprimé publiquement en présence de Barak Obama, est significatif de la volonté de Bagdad de montrer que ce pays a retrouvé sa souveraineté.

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