ANALYSES

Quels étaient les enjeux de l’élection présidentielle qui vient de se dérouler au Libéria ?

Interview
10 novembre 2011
Les enjeux de l’élection présidentielle qui vient de se dérouler au Libéria résidaient dans l’évolution vers la démocratie d’un pays qui a connu des drames et des conflits extrêmement violents, notamment à l’époque de Charles Taylor. Ellen Johnson-Sirleaf, nouveau prix Nobel de la paix, a bien sûr toutes les chances d’être élue, mais l’on peut déplorer les mauvaises conditions dans lesquelles se sont déroulées ces élections, puisque ses opposants se sont rétractés, y compris au second tour, ce qui a donc permis son élection, mais a tué le débat. Pourtant, ce débat aurait été très important pour la construction de la démocratie. Car il faut savoir que si Ellen Johnson-Sirleaf a évidemment une aura positive, acquise notamment grâce à son prix Nobel et à son passé de grand experte à la Banque mondiale ainsi qu’au soutien dont elle bénéficie de la part de États-Unis, le Libéria reste encore fortement déchiré par la rivalité entre Afro-Américains et Natifs. Elle est donc apparue comme faisant partie du clan américain et afro-américain, et c’est pourquoi un vrai débat démocratique aurait dû se tenir, pour permettre aussi d’éviter les violences.

Le conflit qui existe entre les Afro-Américains et les Natifs qui se considèrent comme « indigènes », reste fondamental dans les déchirures du Libéria. Ce sujet a donc largement dominé la campagne. Mais celle-ci s’est aussi fondée sur la reconstruction d’un pays, sur son développement économique, ainsi que sur sa légitimité par rapport à la communauté internationale. Et dans ce cas précis, effectivement, Ellen Johnson-Sirleaf jouissait indiscutablement de plus d’ampleur que ses concurrents. Chacun en était conscient, ce qui explique notamment le ralliement à sa cause de l’un des candidats, très proche de Charles Taylor.

Un autre point demeure fort crucial, qui concerne la situation économique du pays depuis la fin de la guerre. Bien évidemment et fort heureusement, elle s’est nettement améliorée, notamment grâce aux importants appuis de la communauté internationale, et plus particulièrement des États-Unis. Dans cette économie en renouveau, des dynamiques existent aussi depuis longtemps, notamment par les pavillons de complaisance du Libéria et les zones franches.

Ceci étant, il faut savoir que ce pays a été profondément détruit par la guerre. La situation n’est pas la même que celle du Mozambique d’après-guerre, ni même que celle du Rwanda post-génocide, où une réelle reconstruction de l’État s’opérait, avec une amélioration des soins médicaux et un retour des enfants dans les établissements scolaires. Au Libéria, la situation est toute autre, et la reconstruction est bien plus difficile à opérer. Pour comprendre cela, il nous faut nous souvenir des années de règne de Charles Taylor, pendant lesquelles les enfants étaient socialisés dans la violence et parfois poussés à assassiner des membres de leur famille.

La resocialisation demeure donc encore une tâche très ardue. Même les efforts du ballon d’Or 1995, George Weah, lui aussi candidat à l’élection présidentielle, qui tente de réintégrer les enfants du Libéria par le sport, semblent vains, tant ce pays a intégralement été déstructuré par la violence. L’école ne permet pas non plus d’accomplir cette mission, car bien souvent, ces laissés-pour-compte sont prêts à se vendre comme mercenaires à n’importe quel chef de guerre. Totalement déscolarisés, certains de ces jeunes se sont retrouvés à combattre auprès des forces de Laurent Gbagbo, lors du conflit qui l’a farouchement opposé à Alassane Ouattara.