ANALYSES

Changement climatique : vers des engagements américain et chinois ?

Tribune
6 juin 2014
En effet, les Etats-Unis, qui ont toujours eu une posture d’obstruction des négociations en l’absence d’engagements des émergents (Pékin est le premier émetteur de gaz à effet de serre devant Washington depuis 2006), sont en train d’envoyer un ensemble de signaux positifs depuis quelques jours. Libéré depuis sa réélection en 2012 et bloqué, malgré les initiatives de sa diplomatie, sur le dossier israélo-palestinien, Barack Obama semble désormais vouloir porter ses efforts sur le dossier du changement climatique. La conjoncture économique plus favorable liée en partie à l’essor des hydrocarbures de schiste et la survenance d’aléas climatiques majeurs (1) ont rendu l’opinion plus sensible au sujet et renforcé la conviction du président qu’il existait peut être une opportunité pour faire évoluer la position américaine sur le sujet.

L’autre élément à ne pas négliger est l’évolution des militaires américains qui se sont véritablement emparés du sujet depuis quelques années. Les dernières productions du Pentagone (2) ou du Center for Naval Analyses (3)font la part belle aux enjeux sécuritaires liés au changement climatique, considéré comme un multiplicateur de menaces depuis 2007. Si ce retournement ne fait pas l’affaire d’un parti républicain, d’obédience plutôt climatosceptique et auparavant soutenu par le Pentagone sur ce sujet, cet intérêt des militaires pour le changement climatique est une aubaine pour les partisans d’un engagement américain sur la régulation des émissions de GES. Dans son récent discours prononcé à l’Académie militaire de West Point, le 28 mai 2014, pointant les enjeux de sécurité liés au changement climatique (« flux de réfugiés et catastrophes naturelles, conflits pour l’eau et l’alimentation »), Barack Obama a fait part de son intention « de s’assurer que l’Amérique soit en première ligne pour soutenir l’élaboration d’un cadre global pour préserver la planète ». « Nous ne pouvons demander aux autres nations de prendre des engagements pour combattre le changement climatique si une partie non négligeable de nos dirigeants politiques continue de nier le phénomène », a-t-il ajouté. Cette volonté d’exemplarité s’est illustrée quelques jours plus tard via une déclaration que l’Union européenne attendait depuis bien longtemps : l’annonce d’un projet de réglementation prévoyant la réduction de 30%, par rapport à leur niveau de 2005, des émissions de GES des centrales américaines d’ici à 2030. Cela s’effectuerait par décret afin de contourner l’obstacle que constitue le Congrès (le Sénat bloque le projet de loi sur le réchauffement climatique depuis 2010).

Fait notable, l’annonce volontariste du président américain a eu un léger écho en Chine où un conseiller gouvernemental, He Jiankun, a déclaré, le 4 juin 2014 que le gouvernement soucieux de lutter contre la pollution, envisageait « deux moyens pour contrôler contre ses émissions de CO2 dans le prochain plan quinquennal, en intensité carbone et par leur limitation stricte » (4). Il s’agit de la première déclaration d’un fonctionnaire de haut rang envisageant une limitation des émissions en tant que telle, l’amélioration de l’intensité carbone (rapport du PIB aux émissions) ne correspondant pas automatiquement à une baisse de ces dernières. Si Jiankun s’est empressé par la suite de réduire la portée de ses propos, arguant qu’il ne représentait pas la position du gouvernement mais donnait son avis personnel, il s’agit malgré tout d’un fait nouveau.

La France, qui s’est portée volontaire pour accueillir et présider la conférence en 2015, aura la lourde responsabilité de mener les débats et de donner l’impulsion nécessaire à la signature d’un nouvel accord globalement contraignant. Le futur texte devra intégrer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble des Etats, contrairement au Protocole de Kyoto qui n’en prévoyait que pour les pays industrialisés et développés. Laurent Fabius s’est toutefois investi sur le sujet, inaugurant une série de conférences au Quai d’Orsay par un rendez-vous consacré aux négociations climatiques, et s’empressant de mobiliser, comme d’autres avant lui, les présentateurs météo afin de réfléchir aux pistes et méthodes de sensibilisation du grand public aux enjeux du « dérèglement climatique », expression qui a désormais la préférence du ministre des Affaires étrangères.

Si l’on peut considérer favorablement ce faisceau d’éléments dans la perspective des conférences à venir en 2014 à Lima et en 2015 à Paris, il faut toutefois rester prudent. La bonne volonté américaine affichée ne suffit pas, et la bataille annoncée entre Obama et le secteur charbonnier, dont dépendent nombre d’Etats tel le Wyoming (5), promet d’être ardue. Les élections de mi-mandat en 2014 en seront un bon indicateur. De même, la Chine reste encore très réservée sur sa propension à s’investir dans un système de régulation international. La tâche s’annonce donc délicate, les réticences des actuels exemptés (Chine, Inde, Brésil) qui arguent de leur droit au développement et à la croissance, et celles des récents dénonciateurs (Canada, Russie, Japon), prétextant l’attitude des pays émergents et le coût d’atteinte de leurs objectifs, étant connues et identifiés.

Le principal risque d’échec de la conférence reste ainsi l’incapacité à s’entendre sur ce que chacun qualifiera de contreparties indispensables à son engagement à participer à l’effort collectif de régulation et de réduction des émissions mais aussi de financements des nécessaires mesures d’adaptation à mettre en place. Le défaut d’un seul partenaire d’envergure, Chine et Etats-Unis en tête, pourrait être l’opportunité pour certains de se désengager, provoquant ainsi des désistements en cascade, scénario que la présidence française aura à charge d’empêcher.

(1) Les catastrophes naturelles auraient couté, selon la Maison Blanche, 100 milliards de dollars à l’économie en 2012.
(2) Quadriennal Defense Review, mars 2014.
(3) National Security and the Accelerating Risks of Climate Change, mai 2014.
(4) “China to limit carbon emissions for first time, climate adviser claims”, Adam Vaughan and Tania Branigan, TheGuardian.uk, 3 juin 2014.
(5) Responsable de 40% de la production nationale de charbon, cet Etat a en plus la particularité d’être un swing state, soit sans réelle tradition de vote républicain ou démocrate.
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