ANALYSES

Brésil : une Coupe du Monde sous tension… sociale

Tribune
16 mai 2014
Par João de Oliveira, Docteur en Cinéma et Audiovisuel de l’Université de Paris III Sorbonne-Nouvelle
Malgré l’amélioration considérable de la situation sociale et économique du Brésil, la presse étrangère (et les chaînes françaises ne font pas exception) se focalisent sur la sécurité et la violence. Violence qui a connu un regain d’intérêt et qui méritent quelques éclaircissements et précisions.

Contrairement à ce qui a été relayé par la majorité de la presse étrangère, des manifestations, qui n’avaient initialement rien à voir avec la Coupe du Monde, ont été initialement organisées en Mai et Juin 2013 par le Mouvement Passe Libre (MPL) suite à la hausse de 20 centimes de real (l’équivalent de 6 centimes d’euros) du prix du ticket de transport en commun. Formé par les jeunes étudiants de gauche, le mouvement cherchait à dénoncer les tarifs abusifs des transports par rapport à la qualité du service fourni. Au départ, les manifestations étaient restreintes aux grandes capitales des états et n’ont pas reçu le soutien des médias. Ce n’est que plus tard, lorsque les grands groupes de presse nationaux comme étrangers présents pour la couverture de la Coupe des confédérations
ont vu dans les manifestations une opportunité de déstabiliser le gouvernement, que le mouvement s’est nationalisé et a acquis un caractère anti-gouvernemental et « anti-Coupe du Monde ». À partir de ce moment/tournant, l’objectif politique initial a été évacué au profit de revendications plus diffuses avec des manifestants divisés en trois groupes.

Le groupe le plus à gauche rassemblait les manifestants qui protestaient contre l’augmentation du prix des transports collectifs et contre l’atteinte à la souveraineté du pays par la FIFA qui, à travers la Loi Générale de la Coupe du Monde, essaye de changer les lois du pays et d’imposer les siennes, contraires à certains droits démocratiques et sociaux de la population. Ensuite, ils manifestaient contre le coût exorbitant des réformes et de la construction de nouveaux stades financés à plus de 85% par des fonds publics et le fait que cela n’avait pas empêché l’augmentation considérable du prix des billets – dont les moins chers, selon les matches, pouvaient atteindre 25% voire 30% du SMIC local -, responsable direct de l’éloignement des stades des véritables supporters. Finalement, ils s’élevaient contre le déplacement d’environ 150 000 personnes des abords de certains stades, ainsi que la fermeture de milliers de petits commerces de proximité.

Ce groupe, qui critiquait aussi la corruption endémique des membres du Congrès brésilien, soutient l’idée d’un plébiscite populaire qui puisse attribuer au peuple la décision de mener la réforme politique et constitutionnelle que la présidente Dilma Roussef aimerait bien mettre en pratique lors d’un possible deuxième mandat. Un projet qui, pour l’instant, rencontre une vive résistance dans l’opposition conservatrice – qui n’aimerait pas perdre ses privilèges – et même dans une partie de la gauche.

Les membres du deuxième groupe de manifestants, constitué d’opposants au gouvernement de gauche au pouvoir, critiquaient le détournement d’argent et le coût exorbitant de la rénovation des stades comparé aux investissements dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports publics. Ils exigeaient, à juste titre, des hôpitaux, des écoles et des transports conçus avec le même niveau d’exigence que celui de la FIFA concernant le confort dans les stades. Curieusement, la plus grande partie de ces manifestants, dont certains ont été embrigadés ou manipulés par une opposition avide de pouvoir, n’étaient pas dépendants des services publics. Ils fréquentent, comme l’immense majorité des classes moyennes, des écoles et des hôpitaux privés, ce qui n’enlève rien à leur légitimité, même si leur objectif était plutôt de discréditer le gouvernement et de faire campagne contre la Coupe du Monde.

Ce deuxième groupe de manifestants était constitué de l’opposition habituelle, mais aussi des membres d’une gauche sectaire et déçue par les transformations du Parti des Travailleurs depuis son arrivée au pouvoir. Ils condamnent son embourgeoisement et son libéralisme, ainsi que ses alliances avec des partis de droite au nom d’un pacte de gouvernabilité qui le paralyse et l’empêche de réaliser les réformes nécessaires au développement du pays et à la réduction, de façon définitive, des inégalités sociales. Nul ne doute que les trois gouvernements du Parti des Travailleurs ont apporté des améliorations significatives à la population pauvre et misérable du Brésil, quand bien même ils l’auraient fait, en grande partie, par une politique de l’assistanat et non par le changement et le renversement radical et total de la situation inégalitaire. La politique de l’assistanat, non suivie par une politique qui s’attaque à la racine du problème, résout le problème ponctuellement et partiellement, jamais définitivement, outre le fait que ces politiques peuvent être perçues comme populistes, sophistiques.

Pendant les deux mandats du président Lula, le SMIC a connu une hausse considérable. Néanmoins, il continue à être l’un des plus faibles au monde, tandis que le coût de la vie dans les grandes villes brésiliennes est parfois supérieur à celui des principales villes des pays développés. La très faible valeur du SMIC est l’une des grandes responsables de l’énorme inégalité sociale du pays. Ainsi, comparé à d’autres gouvernements du passé, le Parti des Travailleurs a accompli beaucoup, mais comparé à ce qu’il pourrait faire il est encore redevable.

Le troisième groupe de manifestants est le plus dangereux, donc celui à surveiller pendant la Coupe du Monde. Plus émeutiers et para-fascistes, ces véritables anarchistes participent aux manifestations afin de créer de l’instabilité politique et susciter le chaos à travers la dissémination de la peur et de la violence. Ils portent le nom de ‘Black Blocks’ et se présentent habillés de noir et invariablement masqués. Même s’il est difficile de définir leur idéologie, ils s’identifient, avec des objectifs différents, à un mouvement hétérogène créé par l’opposition de gauche avec des objectifs sociaux bien précis, mais qui est également soutenu par la droite dans la mesure où il s’oppose au gouvernement, et intitulé ‘Não vai ter Copa’ (« Il n’y aura pas de Coupe du Monde »). Ses principaux objectifs sont la déprédation du patrimoine public, la destruction du système politique, économique et social en vigueur. Paradoxalement, ils rencontrent des soutiens au sein d’une partie de la gauche dans l’opposition qui essaye de politiser le mouvement en essayant de reconnaître des mérites dans ses propositions diffuses dont l’objectif principal demeure la négation du politique.

Il importe de souligner que malgré l’idéologie diffuse, dissimulée derrière la violence gratuite, les ‘Black Blocks’ émergent comme un sentiment de révolte sociale et comme un contrepoint aux réactions des polices militaires qui, au début des manifestations, agissaient avec la violence irrationnelle, disproportionnée et habituelle d’une institution dont les pratiques rappellent celles de la dictature civile-militaire et constituent un danger permanent pour la démocratie brésilienne.

Mais que les touristes et la FIFA dorment tranquilles. Le gouvernement de Dilma Roussef et ses ministres sont en train de mettre en place un programme anti-manifestation capable de faire rougir Vladimir Poutine. Les policiers seront autorisés, comme s’ils en avaient besoin, à agir avec violence face à la violence. Le Parti des Travailleurs qui, pendant des années, a été à l’avant-garde de la grande majorité des manifestations et a élu une présidente victime de la torture, essaye, aujourd’hui, de concilier préservation de l’ordre et répression des manifestants. Les forces armées, dont personne au Brésil n’ignore la tradition de torture et de répression, seront sur appel durant toute la durée de la Coupe du Monde, si jamais la société en a besoin, si jamais la violence des polices militaires n’est pas assez pour contenir les manifestants.

Quant au respect des délais et à l’organisation, que les Cassandres soient optimistes. Il est fort probable que les stades ne seront prêts que quelques minutes avant le coup d’envoi des matches d’ouverture et que les files d’attente dans les aéroports et stations de métro seront interminables, mais tout cela se passera dans une ambiance de fête et de véritable symbiose entre les supporters étrangers et l’accueillante et chaleureuse population brésilienne qui, passionnée de football, est plus qu’en faveur de la compétition. Au contraire, la majorité souhaite que le pays réussisse son pari à l’extérieur et à l’intérieur des terrains. Malgré les problèmes qui surgiront probablement, le pays a tout pour organiser une belle fête. Néanmoins, une chose est sure, la population, qui aimerait bien voir le même engagement et le même dévouement dans l’amélioration des services publics de la part des gouvernements, est de plus en plus consciente de ses droits grâce aux nouveaux médias indépendants qui relayent une information moins tendancieuse et moins compromise par des intérêts économiques et idéologiques. Cette population est prête à exiger des écoles, des hôpitaux et des transports publics modèle FIFA avec l’engagement qu’il faut.

In fine, il ne faudrait pas oublier les enjeux politiques à peine dissimulés derrière la réussite ou l’échec de l’événement et de l’équipe nationale, tellement le sport est associé au pouvoir et récupéré par les hommes politiques du pays. Si tout se passe bien et si, en prime, la ‘Seleção’ remporte le tournoi, la présidente Dilma Roussef est presque assurée de remporter son deuxième mandat. Autrement c’est l’opposition, privé de pouvoir depuis 12 ans, qui pourrait l’emporter. Les jeux sont faits dans le pays du football où tous les quatre ans la patrie, comme on le dit habituellement au Brésil, se met aux crampons.

* Une Journée de conférences est organisée le samedi 17 mai (de 9h à 20h),
sur les 50 ans du coup d’État militaire au Brésil :
« La dictature brésilienne (1964-1985) – 21 ans d’une ‘page malheureuse de notre histoire’ : essence, forme, rémanences… »
Lieu : Théâtre de l’Opprimé – 78 rue du Charolais, 75012 Paris

Sur la même thématique