ANALYSES

Visite de Shinzo Abe en Europe pour renforcer les liens stratégiques

Tribune
30 avril 2014
L’objectif de cette visite est double : il s’agit d’approfondir les liens économiques mais aussi sécuritaires avec l’Union européenne, en particulier avec certains Etats dont la France où Shinzo Abe s’entretiendra lundi 5 mai au matin avec le président François Hollande.

Sur le volet économique, les progrès dans les négociations bilatérale, entamées les 15-19 avril de de l’année dernière, sur l’accord de partenariat économique UE-Japon (ou EPA pour Japan-EU Economic Partnership Agreement) – un vaste accord de libre-échange représentant, s’il aboutissait, quelques 40 % du commerce mondial –, devraient être un sujet majeur des rencontres entre le Premier ministre japonais et les dirigeants européens. Le Japon a demandé à l’UE d’abolir les droits de douane sur des produits industriels comme l’automobile, tandis que l’UE exhorte le Japon à éliminer les droits de douane sur les produits agricoles transformés tels que le fromage. Des écarts importants subsistent encore entre les positions des deux parties.

Aussi, il participera au sommet Union Européenne-Japon programmé le 7 mai, à Bruxelles. Des fonctionnaires de chaque pays indiquent que les négociations avancent et un accord pourrait être trouvé avant celui sur le TPP – le Partenariat Trans-Pacifique, un accord de libre-échange que Japonais et Américains ne sont pas parvenus à conclure malgré la récente visite du président Barack Obama au Japon->http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article9554] –, la visite d’Abe pouvant « [donner un coup de pouce diplomatique important pour parvenir à un accord ».

Mais le volet sécuritaire est également important. Alors que la visite d’Obama a souligné l’engagement de Washington à protéger l’allié japonais en cas de conflit militaire, affirmant en particulier que les îles Senkaku (objets d’un différend territorial avec Pékin) entrent dans le cadre du traité de sécurité nippo-américain de 1960, le voyage d’Abe en Europe vise aussi à élargir les liens de sécurité de Tokyo avec d’autres Etats.

En affirmant que l’annexion unilatérale par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée a violé les lois internationales, le Japon essaiera notamment de gagner la reconnaissance par l’Union européenne que les actions provocatrices répétées de la Chine autour des îles Senkaku (Diaoyu en chinois) en mer de Chine orientale et ailleurs ne peuvent être tolérées par la communauté internationale. Selon le texte du projet de déclaration qui sera dévoilé à l’issue du sommet UE-Japon et qu’a obtenu le Japan Times, Shinzo Abe et les dirigeants européens réaffirmeront que les différends « doivent être résolus de manière pacifique et selon la loi internationale et non par la force ou la coercition ». Selon le projet de déclaration, les « dirigeants appelleront à assurer la liberté de navigation dans et au-dessus des mers », dans ce qui apparaît comme une critique contre la déclaration unilatérale chinoise en novembre dernier de créer une zone d’identification de défense couvrant notamment l’espace aérien japonais au-dessus des îles Senkaku. Les dirigeants se féliciteront aussi d’un rôle accru du Japon pour promouvoir la paix et la sécurité mondiales, selon le Japan Times.

La veille, le 6 mai, Shinzo Abe livrera un discours sur la politique de sécurité japonaise au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, afin d’expliquer aux Européens sa politique de « contribution proactive à la paix » qui nécessite, selon le premier ministre japonais, la réinterprétation de la Constitution de 1946 pour permettre au Japon d’exercer son droit à l’autodéfense collective.

L’assassinat de 10 travailleurs japonais pendant une prise d’otages lors de l’attaque du complexe gazier algérien d’In Aménas en janvier 2013 a sensibilisé le Japon à un environnement sécuritaire au sens large de plus en plus incertain et qui exige l’élargissement des partenaires sécuritaires.
« Bien sûr les Etats-Unis ont été et demeurent l’acteur le plus important pour la sécurité dans le monde, mais l’Europe et le Japon peuvent et doivent jouer un rôle également dans ce domaine », déclarait récemment à l’Agence France Presse Takehiro Kano, le directeur du département de politique de sécurité nationale à la chancellerie japonaise. Le Japon, ajoutait-il, ‘souhaite un rôle accru de l’Europe en Asie en matière de sécurité, tout comme le Japon désire jouer un plus grand rôle aux côtés de l’Europe au-delà de l’Asie’. Parmi les mesures concrètes, UE et Japon annonceront le lancement d’un dialogue pour promouvoir la sécurité dans le cyberespace et l’espace, notamment en discutant de l’élaboration de normes internationales pour réduire les débris spatiaux créés par les tirs d’armes antisatellites, les collisions spatiales et d’autres causes. D’autres mesures pourraient voir le jour en matière d’industrie de défense avec certains Etats européens.

Or, une plus grande coopération en matière de défense est facilitée par l’assouplissement en avril par l’administration japonaise des règles d’exportation d’armements japonais à l’étranger. Ce tournant majeur pour l’industrie de défense « va permettre le développement et la production d’armes en partenariat avec les Etats-Unis et des pays européens, ainsi que l’exportation d’équipements militaires à des fins pacifiques et humanitaires, comme dans le cas de missions de maintien de la paix de l’ONU. » Tokyo a déjà signé un accord avec Londres sur des tenues NBC (nucléaire, bactériologique, chimique) dans le cadre d’un partenariat stratégique avec le Royaume-Uni.

Partenariat stratégique avec Paris

Un tel partenariat stratégique existe aussi avec la France et la relation bilatérale ne cesse de s’accroître. « Depuis le 150ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et le Japon en 2008, le dialogue stratégique franco-japonais a été rehaussé au niveau ministériel en janvier 2012 », souligne le Quai d’Orsay->http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/japon/]. La visite du président de la République François Hollande au Japon en juin 2013 a donné un nouvel élan à ce « [partenariat d’exception ».

Conformément à ce qui avait été décidé en juin 2013, une réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays s’est tenue le 9 janvier 2014 à Paris et a souligné l’importance de la coopération entre la France et le Japon notamment au regard des « Nouvelles lignes directrices du programme de défense nationale » (par lesquelles Tokyo établit ses priorités en matière militaire). Les deux ministres français, Jean Yves Le Drian pour la défense et Laurent Fabius pour les affaires étrangères ont d’ailleurs à cette occasion approuvé la politique japonaise de « contribution proactive à la paix ».

Les quatre ministres avaient exprimé leurs points de convergence sur de nombreux dossiers comme « sur la situation dans la Corne de l’Afrique, la lutte contre la piraterie maritime, ainsi que, sur un plan plus général, la lutte contre le terrorisme ».

Lors de cette même rencontre début janvier 2014, le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian avait annoncé la création de deux instances (forums) de dialogue France-Japon, l’une sur la coopération dans le domaine de la recherche sur les nanotechnologies, la robotique et la cyber-défense, l’autre sur la coopération industrielle (hélicoptères de nouvelle génération, drones sous-marins, propulsion sous-marine).
Mais l’essor des relations bilatérales portera aussi sur la technologie nucléaire (civile). En matière nucléaire, Japon et la France se mettront formellement d’accord pour promouvoir la recherche conjointe sur un réacteur à neutrons rapides, le réacteur nucléaire de nouvelle génération, lundi lors de la visite du Premier ministre japonais en France, selon le quotidien conservateur Yomiuri Shimbun .

Depuis six mois, des discussions sont déjà en cours entre le français Thales et les japonais MHI et FHI, souligne un spécialiste européen pour l’AFP. Des avancées pourraient être annoncées dans ces domaines.

Enfin, Tokyo réfléchit à un accord de soutien logistique mutuel ACSA (Acquisition and Cross-Servicing Agreement) avec des Etats européens. Il en a déjà avec les Etats-Unis et l’Australie. Si ces différents projets aboutissaient, le Japon signifierait que l’Europe et la France deviennent des partenaires économiques et sécuritaires majeurs : une bonne nouvelle pour l’influence de l’Europe en Asie et donc dans le monde.
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