ANALYSES

Dépenses militaires américaines depuis la fin de la Guerre froide : toujours un statut de leader malgré une diminution

Tribune
14 mars 2014
Par Anaïs Chagankerian, assistante de recherche à l’IRIS
Bien que les données de 2013 ne soient pas encore disponibles, il est prévu que les dépenses militaires américaines continuent d’être réduites dans les années à venir du fait du retrait des forces américaines d’Afghanistan ainsi que la loi de contrôle budgétaire exigeant une réduction des dépenses publiques sur la période 2012-2021. Le 24 février 2014, le Pentagone a ainsi déclaré que les coupes budgétaires des États-Unis allaient entraîner la réduction de la taille de l’armée américaine à des niveaux similaires à ceux de l’époque précédant la Seconde Guerre mondiale. Ces réductions interviennent alors que la Chine et la Russie, elles, connaissent une augmentation de leurs dépenses militaires importante, tout comme d’autres pays d’Asie, d’Europe de l’est, du Moyen-Orient, d’Afrique du nord et d’Amérique latine. Bien qu’il soit possible d’interpréter que le monde est en train de connaître le début d’un changement dans l’équilibre de ses dépenses militaires entre Ouest et Est, l’avance impressionnante des États-Unis empêche toute conclusion hâtive.

Pour comprendre les dynamiques de l’évolution des dépenses américaines et son impact sur l’évolution des dépenses mondiales, plusieurs facteurs aussi bien internes qu’externes sont pris en compte. Les dépenses militaires américaines au cours des dernières décennies ont évolué selon les modifications de la configuration géopolitique mondiale, la nature des nouvelles menaces affectant les États-Unis ainsi que la crise économique. La fin de la Guerre froide a entrainé plusieurs années de réduction des dépenses militaires américaines jusqu’en 1997 où l’administration de Bill Clinton a mis en place une nouvelle stratégie de sécurité nationale menant à une augmentation progressive des dépenses militaires, accélérée à partir de 2001 après l’attaque du World Trade Center à New York et le début des conflits en Irak et en Afghanistan. A partir de 2010, la politique de retrait d’Obama a entraîné une baisse des dépenses militaires américaines, qui devrait se prolonger dans les années à venir du fait de la réduction prévue des dépenses publiques due à la loi de contrôle budgétaire de 2011.

La chute du mur de Berlin en 1989 et les signaux indiquant la débilitation de l’Union soviétique ont marqué le début d’une nouvelle ère interprétée comme celle de l’apaisement par les dirigeants américains. Malgré la prudence affichée par ceux-ci face à un début de décennie marqué par de nombreuses crises et risques variés ainsi que la guerre du Golfe, la fin des confrontations Est-Ouest a obligé les États-Unis à réduire leurs dépenses militaires, l’envergure du dispositif de défense américain n’étant plus justifiable. Cette nouvelle stratégie militaire américaine s’est davantage concrétisée en 1993, année qui a marqué la transition entre républicains et démocrates avec l’arrivée de Bill Clinton à la présidence. Le dossier de la défense a ainsi été mis au second plan en faveur d’une revitalisation de l’économie, ce qui a entraîné une baisse des dépenses militaires américaines importante.

L’année 1997 a marqué la fin de cette politique de réduction des dépenses. Le second mandat de Bill Clinton a été caractérisé par la mise en place d’une nouvelle stratégie de sécurité nationale mettant l’accent sur la nécessité de renforcer le leadership militaire américain et de promouvoir une politique d’ engagement à l’échelle mondiale. Les États-Unis ont ainsi voulu favoriser leur domination militaire mondiale en agissant à l’étranger pour dissuader les agressions, promouvoir la résolution des conflits, l’ouverture des marchés étrangers et renforcer la démocratie. Le but était d’imposer un leadership hors de ses frontières afin d’assurer sa sécurité domestique au travers d’un renforcement militaire à l’échelle nationale. C’est ainsi qu’à partir de 1998-1999 les dépenses militaires américaines ont connu une nouvelle croissance. En 2001, avec l’arrivée au pouvoir du républicain George W. Bush et la mise en place de sa « guerre contre la terreur » en réponse aux attentats du 11 septembre, la croissance des dépenses militaires américaines s’est accélérée. La guerre en Afghanistan, commencée en 2001, ainsi que la guerre en Irak, commencée en 2003, ont donc contribué à l’augmentation des dépenses militaires des États-Unis. A partir de 2010, avec le début du retrait d’Irak sous Obama, un nouveau cycle de réduction des dépenses a été entamé.



Figure 1 Evolution des dépenses militaires américaines entre 1988 et 2012 en milliards de dollars US constants 2011

Selon les données du Stockholm International Peace Research Institute , les dépenses militaires américaines sont passées de 527 milliards de dollars (1) en 1990 à 378 milliards de dollars en 1998, année aux dépenses militaires les plus faibles de la décennie, soit une baisse d’environ 28%. Ces dépenses militaires ont connu une baisse à partir de 1989 (année où elles s’élevaient à 551 milliards de dollars) mais ont connu une hausse entre 1991 et 1992, durant la dernière année du mandat de Georges Bush père, passant de 463 milliards de dollars en 1991 à 489 milliards de dollars en 1992. C’est à partir de 1993 et l’arrivée au pouvoir de Bill Clinton que la baisse des dépenses militaires américaines s’est poursuivie, durant toute la durée de son premier mandat. Avec la mise en place de la nouvelle stratégie de sécurité nationale du Ministère de la défense américain en 1997, entre 1998 et 2001, les dépenses militaires américaines ont connu un taux de croissance annuel moyen de 1,6 %. Entre 2001 et 2010, cette hausse s’est accélérée pour atteindre un taux de croissance annuel moyen de 6,8 %. Durant les deux premières années du premier mandat d’Obama, les dépenses militaires américaines ont continué d’augmenter pour atteindre le sommet de 720 milliards de dollars en 2010. Avec la fin de la guerre en Irak, ces dépenses ont ensuite baissé pour atteindre 668 milliards de dollars en 2012. En pourcentage du PIB, les dépenses militaires américaines sont passées de 5,3 % en 1990 à 3,1 % en 1998. Entre 1999 et 2001, bien que ces dépenses aient augmenté, leur part en fonction du PIB est restée stable à 3,0 %. Celle-ci a atteint 4,8 % en 2010 pour se réduire à 4,4 % en 2012. Ainsi, bien que les dépenses militaires américaines aient été supérieures en 2010 au niveau des dernières années de la Guerre froide, leur part en fonction du PIB n’a jamais rattrapé les niveaux de la Guerre froide.



Figure 2 Evolution des dépenses militaires américaines entre 1988 et 2012 en % du PIB

Malgré tout et à l’échelle mondiale, les États-Unis ont durant toute la période étudiée été le pays aux dépenses militaires les plus importantes. En 1990, les États-Unis étaient le pays aux plus grandes dépenses militaires, suivis de l’URSS, de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni. Bien qu’étant en deuxième position après les États-Unis en 1990, les dépenses de l’URSS ne représentaient que 55 % des dépenses américaines. Les dépenses militaires soviétiques représentaient cependant 12 ,3 % du PIB soviétique alors que celles des États-Unis représentaient 5,3 % du leur. En 2012, le principal concurrent des États-Unis en termes de dépenses militaires était la Chine, suivie de la Russie, du Royaume-Uni et du Japon. En 2012, les dépenses chinoises ne représentaient cependant que 24 % des dépenses américaines, bien que cet écart se réduise légèrement chaque année. Les dépenses américaines et russes représentaient la même part de leurs PIB respectifs en 2012, soit 4,4 %. Ainsi, en 2012 et en dépit de ce nouveau cycle de réductions budgétaires, les États-Unis ont dépensé plus que la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, le Japon, la France, l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Allemagne, l’Italie et le Brésil confondus.

Figure 3 Comparaison de l’évolution des dépenses militaires des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, entre 1988 et 2012, en milliards de dollars US constants 2011

(1) Tous les chiffres présents dans cette note sont en dollars américains constants 2011.
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