ANALYSES

Présidentielles chiliennes, gagnées par Michelle Bachelet, candidate d’opposition : une alternance électorale en traitement médiatique minimal

Tribune
17 décembre 2013
Par Jean Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS
Les circonstances médiatiques étaient il est vrai peu favorables. Le voyage effectué au Brésil par le président français a lui aussi souffert des priorités imposées par le journalisme instantané, l’œil rivé sur un quotidien privilégiant le spectaculaire et l’émotionnel. Les morts de Bangui, et leur image, le désespoir des populations centrafricaines offraient de meilleures perspectives d’audience. Et il y avait surtout et préparé de longue date les reportages qui attendaient sur étagère le décès de Nelson Mandela. La longueur du deuil et les à côté de cérémonies mondialement consensuelles retransmises en continu par les télévisions d’Afrique du sud, permettaient de prolonger en direct larmes et bons sentiments. La bataille de femmes opposant au Chili Michelle Bachelet à Evelyn Matthei a bien retenu quelque peu l’attention ici ou là, mais sans plus. Elle ne faisait manifestement pas le poids en dépit de son profil anecdotique et pittoresque, face à Bangui et surtout à Mandela-Madiba.

Le temps a fait son œuvre et a joué également un rôle correcteur. Le Chili a fait l’actualité en 1970 après la victoire de Salvador Allende. L’arrivée à Santiago d’un Front Populaire au pouvoir croisait la montée en puissance en France de l’union de la gauche. Le coup d’Etat de Pinochet et de ses collègues militaires trois ans plus tard, le suicide dramatique du Chef de l’Etat dans une résidence bombardée, avait rappelé et prolongé les souvenirs et les solidarités de la guerre d’Espagne qui commençaient à s’effacer. L’arrivée de réfugiés chiliens par milliers aux quatre coins de l’hexagone avait entretenu l’intérêt. Les municipales françaises de 1977 et 1983 avaient été l’occasion de guerres picrocholines. Les rues et boulevards baptisés Salvador Allende par des majorités de gauche reprenaient leurs noms antérieurs après la victoire d’équipes de droite. Le référendum de 1988, le non majoritaire des Chiliens aux réformes institutionnelles de Pinochet, suivi de son départ et du rétablissement de la démocratie en 1989 avaient perpétué les curiosités. La victoire d’un socialiste Ricardo Lagos en 2000, son discours symbolique à la fenêtre du Palais de la Moneda, comme le faisait Salvador Allende, avaient marqué les esprits. La candidature en 2005 de Michelle Bachelet, doublement victime d’une dictature qui avait tué son père et l’avait contrainte à l’exil avait perpétué le lien. En 2013, 1970, 1973 et 1989 sont pour beaucoup de Français des dates anonymes, parmi d’autres. Le 11 septembre 1973 a été éclipsé par celui de 2001, porté par le rouleau compresseur des medias nord-américains.

A gauche, les horizons de la France se sont rapprochés. Ils sont européens, et au pire ou au mieux méditerranéens et africains. Qui plus est l’heure n’est plus aux chambardements qu’ils soient idéologiques ou législatifs. Zapata, Farabundo Marti, Sandino, Fidel Castro, le Sous-commandant Marcos, sont oubliés ou refoulés. Evo Morales inquiète, Hugo Chavez et Nicolas Maduro sont renvoyés au Musée Grévin des idées romantiques. L’Amérique latine n’est plus une référence. Seuls les plus militants regardent par là. Mais leurs yeux sont tournés vers la Bolivie, l’Equateur ou le Venezuela. Le Chili avec son alliance à prise multiple, sa « Nouvelle majorité », rassemblant communistes, socialistes, radicaux et démocrates-chrétiens, n’est de leur point de vue révolutionnairement pas présentable. Un Chili qui a tourné le dos à ses voisins depuis longtemps et a fait le choix de l’ouverture économique tous azimuts. Alternance ou pas, Santiago entend bien préserver ses choix diplomatiques et commerciaux qui ne sont pas ceux des pays de l’ALBA (Alliance bolivarienne des Amériques).

Pour autant, ignorance des medias ou pas, désintérêt des progressistes français ou pas, oubli français du Chili ou pas, une expérience politique originale est sortie des urnes chiliennes le 15 décembre 2013. Le propos adressé au peuple chilien dès le soir de sa victoire par la candidate élue, Michelle Bachelet, signale la quête d’une voie qui finalement est aussi celle que cherchent aux quatre coins du globe les majorités déçues par les ruptures politiques, qu’elles soient révolutionnaires ou libérales. « Nous avons une économie assainie, une démocratie stable, des citoyens conscients de leurs droits », a-t-elle déclaré à la foule rassemblée devant son local de campagne. « Pourtant » a-t-elle poursuivi, « nous devons relever un défi qui nous impose d’aller vers un nouveau destin, (…) celui de transformations fondamentales (…) pour répondre à la voix des citoyens qui ont pris la rue ces dernières années, (…) les jeunes, les peuples indigènes, les femmes, les retraités (…). Nous devons élaborer une nouvelle Constitution, un nouveau pacte social, instrument de la nouvelle relation entre institutions et citoyenneté (…). Nous devons réconcilier tous les Chiliens avec la démocratie, (..) la force du vote, et la justice des lois. »

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