ANALYSES

Hollande au Brésil : France-Rousseff, dernière étape d’une longue saga en affinités sélectives

Tribune
11 décembre 2013
Rien là de bien nouveau sous le soleil brésilien bien qu’il tape fort en ce quasi été austral. Une sorte de rituel bilatéral a été instauré entre les deux Etats depuis les années 1970. Le général président Geisel et Valéry Giscard d’Estaing avaient ouvert en quelque sorte, il y a déjà 37 ans, le bal de ces cœurs croisés transatlantiques. Le 26 avril 1976, le dictateur brésilien effectuait la première visite officielle jamais effectuée par un chef d’Etat de son pays en France. VGE lui avait rendu la politesse au mois d’octobre 1978. Les va-et-vient présidentiels ne se sont depuis lors jamais arrêtés. José Sarney, François Mitterrand, Fernando Henrique Cardoso, Jacques Chirac, Inacio Lula da Silva et Nicolas Sarkozy se sont rencontrés parfois plusieurs fois la même année. Dilma Rousseff et François Hollande se sont vus et ont pu dialoguer à deux reprises en 2012, à Rio et à Paris. 2013 ne pouvait s’achever sans tête à tête, au risque de rompre un symbole magique et bien utile de bonne relation.

Le 12 décembre, pourrait sans doute permettre de mesurer l’état de ces affinités mutuellement affichées. Elles sont fortes si l’on s’en tient à ce qui est exprimé dans ces diverses occasions, quels que soient les visiteurs et les saisons. Jean Sauvagnargues, ministre des affaires étrangères de Valéry Giscard d’Estaing, en avait fixé en 1976 le contexte avec des mots répétés de façon similaire depuis lors : « Dans ce continent de l’avenir qu’est l’Amérique latine, le Brésil est l’Etat de l’avenir », avait-il déclaré. François Mitterrand en 1985 avait repris la formule : « Le Brésil a montré qu’il était un pays d’une vitalité exceptionnelle. Huitième puissance du monde il a besoin de compter ses amis. Je vous le déclare la France contribuera à (son) développement. » Et Nicolas Sarkozy avait repris, en écho, le fil de ce discours en décembre 2008. « Qui peut imaginer aujourd’hui », avait-t-il déclaré à Rio, « résoudre les problèmes du monde, sans des pays comme la Chine, l’Inde et bien sûr le Brésil » (..) Nous avons besoin du Brésil. »
Un pont a été en quelque sorte projeté entre les deux pays. Il va bientôt être inauguré. Cet arche d’alliance a en effet trouvé à se matérialiser, sur l’Oyapock, fleuve frontalier qui sépare, et finalement unit, la France et le Brésil, la Guyane et l’Amapa. Ce pont est tout naturellement et traditionnellement inclus dans les agapes communes. Il en est l’âme et le porteur au sens le plus littéral du terme. Pour autant, les flux qu’il surplombe d’une belle hauteur sont d’un débit variable et parfois aléatoire. Les dérèglements du climat international et le désordre du monde en sont la cause. La coopération, bien que régulièrement chantée, peine à prendre forme. Les émotions et les références intellectuelles et artistiques, incontournables dans ce genre d’évènements bilatéraux, fussent-ils célébrés du haut d’un pont, glissent sur le fil d’un réel à deux versants. Leurs eaux ne coulent naturellement pas du même côté. Elles prennent les nageurs à contrepied.

Qu’attend la France de sa relation avec le Brésil ? Qu’espère le Brésil de son rapport bilatéral avec la France ? Il n’est pas évident que les flux d’intérêt croisé soient en prise, ou du moins, répondent à la même tension électrique. Le Brésil est selon la formule consacrée une puissance émergente, en quête de fondations pérennes. La France est une puissance en rattrapage depuis la seconde guerre mondiale. Leurs mouvements se croisent plus qu’ils ne se complètent. Ils ont pu ces dernières années entrer en frottement, souvent ou parfois. Et de la même manière converger, souvent et parfois, sans la raison cohérente qui seule permettrait de générer une dynamique mutuellement profitable. Le tableau de bord de ce parcours commun ressemble beaucoup au jeu de l’oie, avec ses bonifications et ses cases puits.

Les deux pays ont condamné l’intervention militaire conduite par les Etats-Unis en Irak. C’était cela en 2003. Ils ont paraphé un accord stratégique en 2008. La France affiche publiquement son soutien à un élargissement du Conseil de sécurité incluant le Brésil dans ses membres permanents. Paris a accepté le transfert de sa technologie militaire sous-marine au Brésil qui lui a commandé quatre sous-marins classiques et un submersible à propulsion nucléaire. Le climat des affaires est assez bon. Le Brésil est le principal point de chute latino-américain de grandes entreprises françaises, en particulier dans l’automobile, l’hôtellerie et le commerce. Tout, pour autant, n’a pas été pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le Brésil n’a toujours pas compris comment et pourquoi la France en 2010 n’avait pas manifesté d’enthousiasme particulier à propos de la médiation turco-brésilienne concernant le dossier nucléaire iranien. Les interventions militaires françaises en Afrique n’ont pas été comprises, c’est le moins que l’on puisse dire, par les Brésiliens, qu’il s’agisse de celle engagée en Côte d’Ivoire, comme de celles de Libye ou du Mali. On peut, si l’on veut faire le tour des choses, ajouter quelques dossiers économiques et commerciaux épineux. A savoir, les questions agricoles qui opposent des intérêts antagonistes. Ils retardent durablement la signature d’un accord Union européenne-Mercosul. Ils aiguisent les conflits entre producteurs de viande et de volaille. De grands contrats apparemment favorables aux industriels français sont par ailleurs en attente indéfinie, comme ceux du TGV Rio-Saint-Paul et celui du chasseur bombardier F-X2. Enfin, une grande entreprise française est mêlée aux retombées d’appels d’offre concernant la fourniture de matériel ferroviaire, qui selon certains témoignages n’en étaient pas.

L’ambassadeur français vient tout juste de présenter ses lettres de créance. Il a immédiatement balisé le terrain et signalé que la visite du président français « allait permettre une relance du partenariat stratégique ». Le mot « relance » est bien choisi et qualifie bien un partenariat qui flotte dans un costume trop ambitieux. De Valéry Giscard d’Estaing à François Hollande, la France voit dans le Brésil un pays d’opportunités pour ses investisseurs et son commerce. Pas moins, mais sans doute pas plus. Le Brésil est en quête de reconnaissance internationale et entend d’une autre oreille la portée de l’accord stratégique signé avec la France en décembre 2008. Il est donc permis au minimum de s’interroger tant les logiques nationales respectives au jour d’aujourd’hui sont divergentes, même si des rapprochements tactiques restent de l’ordre du possible. La France qui se conforme de plus en plus aux normes européennes et occidentales a perdu l’originalité qui en faisait l’attrait diplomatique, politique comme économique. Le Brésil, en bon émergent, approfondit en revanche une culture de la différence et de la contestation, gaullienne en quelque sorte. Les espaces de convergence entre la France et le Brésil sont bien moindres aujourd’hui qu’ils auraient pu l’être ne serait-ce qu’il y a dix ans.

L’amitié sans nul doute et sans effort particulier va être ranimée et confirmée. Le football sera mis à contribution, maintenant que la France est qualifiée pour la coupe du monde 2014. Les sujets qui séparent vont être, en revanche, prudemment réservés à l’intimité des tête-à-tête. Itamaraty, le ministère brésilien des Affaires étrangères vient de rappeler à propos de la Centrafrique que le Brésil était toujours aussi réservé sur les interventions militaires extérieures aux continents victimes de crises et privilégiait les solutions régionales. A Brasilia, donc, la coopération universitaire sera au menu des communicateurs. Et la diplomatie économique, chère au ministre des Affaires étrangères français, comme à certains de ses collègues européens, va sans doute à Saint-Paul, métropole économique du pays, occuper une place de choix. Le président de la société aéronautique Dassault figure en bonne place dans la suite du président français. Il sera sans doute aussi question de satellites, de pétrole et de nucléaire civil.