ANALYSES

Pour une réintégration rapide de l’Iran sur la scène internationale

Tribune
10 décembre 2013
Rien ne sera probablement linéaire et peut-être y aura-t-il des moments de stagnation, de tension, voire de retours en arrière partiels. Il n’empêche, la portée politique de l’événement est considérable et ouvre des perspectives qu’il convient de tenter de délimiter, même si nous n’en connaissons pas tous les paramètres.

Au-delà du contenu même de l’accord intérimaire, désormais largement connu, il y a sa dynamique potentielle, c’est-à-dire sa signification politique et la perspective de la réintégration de l’Iran sur la scène régionale et internationale. Pour de multiples raisons, cette réintégration va, en effet, peser lourd.

Une histoire et une géographie avantageuses

L’Iran est, tout d’abord, l’un des seuls pays de la région qui possède une histoire multiséculaire et une tradition d’État tout aussi ancienne – ce qui, au passage, permet de comprendre la qualité et l’opiniâtreté de son corps diplomatique –, un État peuplé de 76 millions d’individus qui pèse objectivement au centre d’un environnement géopolitique d’une extrême importance pour l’équilibre du monde.

Sa position géographique se double de considérables richesses en matières premières : second exportateur mondial potentiel de pétrole, disposant des troisièmes plus grandes réserves de gaz naturel, l’Iran constitue, en outre, la voie la plus directe et la plus économique pour exporter les hydrocarbures de la mer Caspienne vers les marchés occidentaux.

Le pays est de plus en plus sollicité par l’avidité en ressources énergétiques des pays émergents asiatiques, ce qui constitue pour Téhéran un considérable levier pour faire monter les enchères économiques et politiques, les puissances occidentales étant, pour leur part, particulièrement attentives au renchérissement du prix des matières premières dont leurs économies sont structurellement dépendantes.

Les leçons du passé

Un autre paramètre pour saisir la place de l’Iran dans le jeu des rapports de force régionaux réside dans la rupture de l’alliance stratégique entre Téhéran et Washington en 1979, qui constitue alors un événement d’une considérable importance. Il est d’ailleurs paradoxal que nombre d’experts n’aient pas mieux saisi la profonde portée anti-impérialiste, en l’occurrence anti-américaine, qui pourtant rend, en large partie, compte du cours de la révolution iranienne.

La prise d’otages au sein de l’ambassade des États-Unis, la volonté affirmée du régime islamique, durant les premiers mois de son existence, d’exporter la révolution, les attentats contre les forces françaises et américaines et les prises d’otages au Liban vont se conjuguer pour systématiquement associer le nouveau régime au terrorisme islamique.

La guerre de 1980-1988, initiée par Saddam Hussein, activement soutenue par une majeure partie des puissances occidentales et la quasi-totalité des régimes arabes, est ainsi l’expression de la volonté d’en finir avec le régime de Téhéran. Ce conflit marquera profondément la réflexion des dirigeants iraniens : plus jamais ils n’accepteront de laisser leur territoire bombardé par des armes de destruction massive, en l’occurrence chimiques – sans d’ailleurs qu’à l’époque ladite communauté internationale n’ait émis de protestations – sans se donner les moyens de s’en prémunir ou d’y riposter.

L’Iran ne détermine pas sa politique extérieure en fonction de la religion

Depuis quelques années, une expression visant à stigmatiser le ‘croissant chiite’ a émergé, initialement promue par les chefs d’État jordanien et égyptien, dont on connai(ssai)t le peu d’indépendance à l’égard de Washington. Cette vision fantasmée présuppose la volonté expansionniste iranienne et la disposition des communautés chiites de la région à faire allégeance à Téhéran. La réalité est pourtant fort différente.

Non, l’Iran ne détermine pas sa politique extérieure en fonction de critères religieux, sinon comment pourrait-on, par exemple, comprendre le soutien apporté à l’Arménie chrétienne contre l’Azerbaïdjan majoritairement chiite dans le conflit du Haut-Karabagh, toujours non réglé ?

Certes, l’Iran a profité de la chute du régime taliban puis de celui de Saddam Hussein, deux de ses ennemis rédhibitoires paradoxalement tombés sous les coups de l’administration Bush, et cherche à promouvoir une politique d’influence régionale conforme à ses intérêts nationaux. Rien n’est plus sûr. Mais le rêve d’exportation de la révolution iranienne a cessé depuis 1980, au moment précis de l’invasion du pays par l’Irak, quand toutes les énergies se concentrèrent sur la défense de la patrie.

Sortir du paradigme ‘grand Satan’ vs ‘axe du Mal’

C’est à la lecture de ces quelques rapides remarques qu’il convient de réexaminer nos relations avec ce pays et de déconstruire les mythes qui les accompagnent trop souvent. Il importe de saisir qu’au vu des multiples paramètres évoqués, l’Iran possède un fort potentiel de stabilisation et de fluidification des relations régionales.

C’est pourquoi il faut enfin sortir du paradigme ‘grand Satan’ versus ‘axe du Mal’ et tout faire pour faciliter sa réintégration. C’est pourquoi il est également nécessaire que soient examinées et discutées dans les meilleurs délais les positions de Téhéran sur des dossiers aussi complexes que ceux de la Syrie, de l’Irak ou de l’Afghanistan, dont chacun comprend aisément qu’ils ne pourront réellement se dénouer sans la participation active des dirigeants iraniens.

Comprenons que les forces politiques qui, de façon plus ou moins nette, se sont prononcées contre ou ont émis de fortes réserves sur l’accord du 24 novembre ont toutes intérêt au maintien du statu quo régional. Pour des raisons éventuellement différentes, les monarchies de la péninsule arabique, au premier rang desquelles l’Arabie saoudite, l’État d’Israël, les néo-conservateurs dans leur déclinaison états-unienne ou française, les conservateurs et radicaux iraniens partisans de la confrontation avec les puissances occidentales, saisissent parfaitement que la réintégration de l’Iran dans le jeu régional et international va bousculer les rapports de force et remettre en cause leur rente de situation économique, stratégique, sécuritaire et idéologique.

Ces forces politiques sont arc-boutées sur les bénéfices qu’elles tiraient de l’ostracisation de l’Iran et comprennent que la période qui s’ouvre risque de les affaiblir. C’est pourquoi elles vont essayer de tout faire pour que le processus initié ne puisse aller à son terme.

Pour un ordre régional plus juste, plus équilibré et plus sûr

Nous l’avons dit, nous sommes au début d’un processus au cours duquel l’enjeu principal est la reconnaissance du rôle incontournable de la République islamique dans la sécurité régionale.

Plus de 34 ans de tensions et d’affrontement ne peuvent, certes, pas s’effacer d’un revers de main, il faut donc rester vigilant sur l’application des termes de l’accord par les deux parties et submerger toutes les forces qui s’y opposent.

Il en va de la perspective de construire un ordre régional plus juste, plus équilibré et plus sûr.

Article publié en partenariat avec Le + du Nouvel Obs
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