ANALYSES

Face au chaos en Centrafrique la France est-elle à nouveau le pompier ou le gendarme de l’Afrique francophone ?

Tribune
9 décembre 2013
Un bref rappel historique est nécessaire. La Centrafrique est depuis son indépendance un petit pays enclavé parmi les plus pauvres du monde, ravagé par des crises et des coups d’Etat ; sur les 8 chefs d’Etat qu’elle a connus, seul Ange Patassé est arrivé au pouvoir par les urnes en 1993. Outre le faible contrôle d’un territoire qui, pour moins de 5 millions d’habitants, est grand comme celui de la France (7 habitants au km2), la faillite de l’Etat centrafricain dans ses fonctions régaliennes (absence d’armée opérationnelle) et celles des référents ethno-régionaux se substituant à la construction d’un vouloir vivre collectif national sont autant de facteurs de vulnérabilité extrême. Les richesses du sous-sol (diamant, uranium, pétrole, or) et du sol (coton, bois) sont des enjeux importants pour les acteurs centrafricains mais également sud-africains ou chinois. Ces richesses alimentent la contrebande à partir de frontières poreuses et sont, notamment pour le diamant, des moyens de financement de divers groupe rebelles.



La Séléka s’est constituée en août 2012 en regroupant plusieurs mouvances dissidentes venant du Nord et est composée essentiellement de Musulmans. Elle était descendue jusqu’aux portes de Bangui en décembre et avait participé aux accords de Libreville de janvier 2013. Le 23 mars 2013, François Bozizé a été chassé par la force de la Séléka et par Michel Djotodia, un des chefs rebelles qui s’est autoproclamé chef d’Etat le 25 mars, tout en maintenant en place le premier ministre Nicolas Tiangaye. Seule l’Afrique du Sud avait soutenu alors le président Bozizé. Le Tchad et le Soudan ont favorisé l’arrivée au pouvoir de Djotodia. La France a considéré que le conflit était interne à la Centrafrique et qu’elle ne devait pas intervenir sauf pour protéger les 1500 ressortissants français et assurer la sécurité de Bangui et le contrôle de l’aéroport, poumon économique du pays.



Depuis la prise du pouvoir par les armes, la situation est devenue dramatique avec plus de 400.000 déplacés et 70.000 réfugiés, la moitié de la population en forte insécurité alimentaire et de nombreuses violations des droits de l’Homme (recrutement d’enfants-soldats, viols, meurtres). Les exactions des rebelles de l’ancienne Séléka ont conduit à des groupes d’auto-défense chrétiens (anti-balaka) et les affrontements ont pris une dimension ethno-régionale et religieuse malgré le rôle d’apaisement des différents responsables religieux. Les éléments d’une guerre civile voire d’une situation pré-génocidaire, selon les propos de Laurent Fabius, sont présents. Ces éléments étaient présentés dans le rapport d’International Crisis Group de juin 2013.



Les crises de la Centrafrique renvoient à deux principales lignes de force. La Centrafrique est l’exemple type d’un Etat fragile ou failli, enclavé, entouré de 8 pays en situation de forte insécurité et instabilité. Les conflits renvoient à un enchevêtrement de facteurs où s’enchaînent l’Etat parasitaire, la criminalité, l’extrême pauvreté, la marginalisation des populations du Nord et les rivalités pour le contrôle des ressources, à commencer par le diamant. Face à une faillite totale de l’Etat centrafricain pour assurer ses fonctions régaliennes, les forces régionales africaines sont dans l’impossibilité d’assurer l’ordre et d’éviter le chaos. En l’absence de l’Europe et du fait du retrait américain dans cette zone, la France, ancienne puissance coloniale, joue le rôle de gendarme par défaut en termes de maintien de l’ordre mais non de soutien des régimes politiques en place.



Au-delà du drame centrafricain et de la souffrance des populations, la Centrafrique renvoie à plusieurs enjeux majeurs. Elle est une illustration des nouveaux conflits qui se développent en Afrique avec emboîtement d’échelles, enchevêtrements de facteurs et pluralité d’acteurs. L’absence d’Etat, la criminalité et l’extrême pauvreté sont liées à la malédiction des ressources naturelles, notamment le diamant qui est extrait par 80.000 à 100.000 mineurs, est contrôlé par des politiques ou des milices et fait l’objet de contrebandes.



La Centrafrique illustre également la dimension régionale des conflits africains. On trouve dans un territoire de plus de 600.000 km2, non contrôlé et aux frontières poreuses, la contagion du conflit du Darfour et du Sud-Soudan, la sanctuarisation des opposants au Tchad, la présence de l’Armée de résistance du Seigneur de Kony venant d’Ouganda ainsi que l’impact des effets des conflits en RDC. Selon International Crisis group, il y aurait également infiltration de membres de Boko Haram venant du Nigeria.



La Centrafrique révèle la faiblesse des armées africaines régionales (logistique, financement, motivation, clarté du mandat) et les difficultés d’une pax africana . Or les conflits ont tous une dimension régionale et l’extension d’un conflit à partir d’une étincelle localisée dans un territoire peut embraser une région.



La Centrafrique illustre à nouveau les contradictions dans lesquelles se trouve la politique française contrainte à intervenir malgré elle et marqué par l’efficacité des interventions proprement militaires et l’impossibilité ou la difficulté à gagner durablement la paix et à construire l’appropriation de la sécurité et du développement par les acteurs africains. La France intervient avec la légalité onusienne. Elle a le soutien du Conseil de sécurité. Elle continue d’exercer des fonctions régaliennes (monnaie, armée, substitut aux Etats défaillants) dans ses anciennes colonies avec des coûts élevés alors que ses intérêts économiques se trouvent pour l’essentiel dans les pays anglophones voire lusophones.



Enfin, la Centrafrique illustre la recomposition des sphères d’intervention de la part des grandes puissances. Elle révèle à nouveau l’absence de l’Europe même si celle-ci participe au financement des armées africaines françaises. La France se retrouve à nouveau isolée face à une Europe qui proclame son attachement aux droits de l’Homme mais reste absente de ce qu’elle considère souvent comme le « bourbier africain ». Les Etats-Unis considèrent, comme au Mali, que les pays francophones du champ sont du ressort de la France à défaut d’Europe. Les Etats-Unis étaient réticents face à la faible efficacité des forces africaines et au refus de solution mixtes du type AMISOM en Somalie (ONU, UE / UA). Ils dénoncent le faux semblant d’une apparence africaine.



Les défis à relever sont considérables. Les interventions sont plutôt de type police et gendarmerie sur un immense territoire que militaire contre des ennemis bien désignés tandis que le processus politique lié à l’action militaire et humanitaire n’est pas clair. Dans le court terme, il faut sécuriser les biens et les personnes et empêcher une guerre civile voire un génocide. A court et moyen terme se pose la question politique des élections et de la réconciliation nationale notamment du dialogue interreligieux. A moyen et long terme, les questions sont celles de la reconstruction de l’Etat, du contrôle des ressources du sol et du sous-sol et de projets de développement donnant des perspectives d’activités légales rémunérées, construisant un tissu économique et permettant un désenclavement économique d’un des pays les plus pauvres du monde.



Le sommet Afrique-France des 6 et 7 décembre 2013 a prévu la mise en place de forces africaines opérationnelles en 2015 et la formation de 20.000 militaires. Les « forces africaines en attente », désignation des forces régionales sous contrôle de l’Union africaine, restent hélas tragiquement en attente.