ANALYSES

Crise syrienne, G-20 et Brésil – Rejet du recours à la force, défiance à l’égard de la Responsabilité de protéger, le choix du droit international

Tribune
5 septembre 2013
La critique a jusqu’ici été exprimée avec une mesure toute diplomatique. Mais un incident insolite a révélé à la mi-août une nervosité et un agacement croissants, sans doute mal ou peu analysés par les chancelleries et la presse occidentales. Comme tous les ans à la même époque les étudiants aspirant à intégrer le prestigieux Institut de formation diplomatique Rio Branco ont passé le 18 août diverses épreuves de sélection. L’une d’entre elles aurait pu provoquer un incident bilatéral avec la France, en raison du sujet proposé à la réflexion des étudiants. La question 27 soumise aux candidats était en effet rédigée de la façon suivante :

Sous le couvert d’arguments universalistes de défense de la démocratie et des droits de l’homme, la France a tenté de légitimer ses interventions militaires extra-frontalières. En fait de telles interventions paraissent dessiner une géostratégie de grande puissance visant à contrôler des régions riches en minerais. Prenant en considération cette donnée, développez l’option présentée, dans le respect du contexte historique, confirmant cette hypothèse :
Considérant les relations internationales de la France, en particulier en Afrique, l’intervention au Mali a été motivée, en fait, par la nécessité de protéger la zone d’extraction d’uranium, située au Niger voisin, qui alimente les usines nucléaires françaises.


Soucieux d’éviter tout incident bilatéral, l’école et le ministère ont annulé l’épreuve quelques jours plus tard. Il n’en reste pas moins que la question proposée à la sagacité des jeunes aspirants au métier de diplomate, a pu passer toutes sortes de filtres universitaires et politiques, et être soumise à la future élite chargée du soin de représenter le Brésil à l’étranger et de défendre ses intérêts. Qu’un tel sujet ait pu être soumis à la réflexion des futurs ambassadeurs brésiliens peut sans doute interpeller sur la marche du ministère des affaires étrangère. Il est vrai que ces derniers mois ont été marqués par une série d’incidents ayant conduit le ministre, Antonio Patriota, à la démission. Le lapsus, est malgré tout révélateur d’une réalité.

Le Brésil dérive depuis plus de dix ans. Il se voulait d’extrême occident(2) à l’époque de FHC, Fernando Henrique Cardoso. Il se définit aujourd’hui comme un pays émergent, membre du groupe BRIC et de l’Unasul(3). A ce titre il a développé une stratégie d’affirmation internationale qui lui a permis d’acquérir une visibilité internationale inédite pour ce pays. Deux des siens dirigent une organisation internationale en 2013, la FAO et l’OMC. Le Brésil a la responsabilité d’une opération de paix des Nations unies, depuis 2004, la MINUSTAH, Mission des nations unies pour la stabilité d’Haïti. Le Brésil a multiplié les initiatives associant les périphéries du monde, indépendamment des aléas de leur vie interne. Afrique du sud, Allemagne, Chine, Inde, Iran, Japon, Ligue arabe, Union africaine, Nigéria ont été intégrés dans les voyages présidentiels. Une vingtaine d’ambassades ont été ouvertes. Une chaine de télévision internationale a été créée. Le Brésil demande de façon de plus en plus insistante, comme tous ceux qu’il visite avec régularité, une nouvelle organisation du monde.

Le monde tel que le Brésil l’ambitionne repose sur la multilatéralité et le système des Nations unies. Il prétend mettre un terme à l’ordre issu de la Seconde Guerre mondiale qui attribue un privilège jugé aujourd’hui obsolète à cinq Etats, seuls membres permanents du Conseil de sécurité. Afin de faire bouger les lignes le Brésil participe à diverses coalitions de pays se considérant comme lui exclus du poste de commandement. Comme lui ils peuvent asseoir leurs exigences sur une force et une puissance économique, commerciale et pour certains d’entre eux militaire qui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elles étaient en 1945. Le Brésil refuse, avec la même conviction, l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats au nom d’un droit universel, que seuls seraient en mesure d’appliquer les vainqueurs de la guerre froide, les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN.

Le Brésil, a de façon cohérente, bien que passée relativement inaperçue des radars bruxellois, proposé une alternative encadrant la R2P (la responsabilité de protéger) adoptée en 2005 par l’ONU, afin d’éviter son instrumentalisation par les puissances occidentales. Soucieux d’éviter la répétition du scénario ayant sous couvert de la résolution 1973 conduit Français, Anglais et Nord-Américains à renverser le gouvernement libyen, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, a en 2011 présenté la RWP(4). La RWP enserre la R2P dans une feuille de route visant à assurer le respect du mandat initial. Dans l’attente le Brésil s’oppose à tout ce qui de prés ou de loin s’apparente à de l’ingérence fut-elle présentée comme humanitaire ou démocratique. La présidente a fixé le cap le 28 août, profitant de la nomination du nouveau ministre des affaires étrangères, de façon claire et sans équivoque. « Le Brésil » a-t-elle déclaré, « n’interfère pas dans la vie des autres pays ; (…) Notre diplomatie est démocratique et multilatérale ». L’une des premières déclarations du ministre entré en fonction, Luis Alberto Figuereido, a concerné la situation en Syrie. Ce qui lui a donné l’occasion de donner un contenu concret aux propos de la présidente. « Le Brésil n’est pas d’accord avec l’usage de la force proposé par certains pays. L’usage de la force est un ultime recours dans les cas d’autodéfense, tels qu’il sont prévus dans la Charte de l’ONU, ou autorisé par une résolution du Conseil de sécurité ». « Il y a », a-t-il ajouté, « de forts indices d’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien, ce qui est intolérable. Mais il faut attendre le résultat de l’expertise de l’ONU. Une intervention militaire doit se faire dans le cadre prévu par les Nations unies. Elle constituerait hors de ce cadre pour le Brésil une violation du droit international et de la Charte de l’ONU ».

C’est ce point de vue que le Brésil va exposer au G-20 de Saint Petersbourg. Mais le Brésil ce qui est plus préoccupant pour les Occidentaux, sera aussi porteur du point de vue de la très grande majorité des pays d’Amérique latine. La Colombie, pourtant alliée des Etats-Unis partage en cette affaire l’analyse du Brésil, de l’Argentine, de la Bolivie, de l’Equateur et du Venezuela.

(1) Itamaraty : nom donné par l’usage au ministère brésilien des affaires étrangères
(2) Selon la formule d’Alain Rouquié
(3) BRIC= Afrique du sud, Brésil, Russie, Inde et Chine. Unasul= Union des nations d’Amérique du sud
(4) Responsability while Protecting