ANALYSES

Les pratiques du dopage : l’hydre du sport ?

Tribune
1 août 2013
Une commission d’enquête sénatoriale : pourquoi faire ?
L’objectif de cette commission, composée notamment de Jean-François Humbert, Jean-Jacques Lozach, ou encore l’ancienne ministre des sports, Chantal Jouanno, créée le 20 février 2013, était de faire, non seulement, un « état des lieux précis et circonstancié, à la fois des pratiques dopantes et de notre politique publique en matière de lutte contre le dopage afin de dégager des solutions consensuelles permettant de renforcer l’efficacité de la politique de l’Etat » [2], mais aussi de refondre le dispositif législatif existant. En organisant déplacements, conférences et tables rondes et en procédant à quelques 65 auditions, en public comme à huis-clos, faisant intervenir des politiques, sportifs de 18 disciplines, journalistes, scientifiques, administrateurs français comme étrangers, cette commission avait pour ambition de dresser un panorama exhaustif des pratiques dopantes et s’interroger sur la pertinence du dispositif actuel de la lutte contre le dopage. Après avoir formulé 60 propositions tendant à améliorer la lutte contre le dopage tant au niveau français qu’au niveau international, la Commission a pu, par recoupements entre des échantillons prélevés au cours des Tours 1998 et 1999 et utilisés en 2004 à des fins de recherches et les archives du Ministère des sports où se trouvaient les noms des coureurs associés, reconstituer une liste, non exhaustive, des coureurs qui étaient dopés. Alors que des noms circulaient déjà dans la presse avant même la conclusion du rapport, et que la majorité des observateurs attendaient avec impatience ce dense rapport de 800 pages pour pouvoir consulter seulement l’annexe où figurait « la liste », il parait essentiel pourtant d’aller au-delà, et ce pour trois raisons.
Le dopage, enjeu éthique et sanitaire
Au-delà de noms et de révélations, ce rapport avait pour objectif de « briser l’omerta » [3] entourant les pratiques dopantes dans le sport. A travers 7 piliers (Connaitre-Prévenir-Contrôler-Analyser-Sanctionner-Pénaliser-Coopérer) et les 60 propositions, la Commission d’enquête entendait ainsi relancer la lutte contre le dopage, afin de lui donner « une longueur d’avance » [4]. L’attention, ainsi concentrée sur la pratique du dopage, permettait de mettre en exergue deux points. Comme l’indiquait le rapporteur de la Commission, Jean-Jacques Lozach, au cours de la réunion de restitution, la lutte contre le dopage est tout à la fois un enjeu éthique et ne l’oublions pas, sanitaire.
D’une part, le dopage remet en cause la notion même d’intégrité du sport, au même titre que les matchs truqués. La « glorieuse incertitude » décrite par Pierre de Coubertin est par là même foulée aux pieds. Comme révélé au cours du procès Puerto [5] , le dopage est devenu un véritable système institutionnalisé, répondant à une importante offre et demande. Alors qu’après la loi Buffet de 1999 (cf infra), la France était considérée comme le bon exemple à suivre pour les autres pays, les sénateurs ont dû faire face à une réalité toute autre : lacune dans la coordination des différents organes dédiés à la lutte contre le dopage, laboratoire d’analyse dépassé par d’autres plus performants. Ce constat non pas d’échec mais de carence met ainsi en exergue le fait que les enjeux stratégiques, technologiques et financiers, au-delà de la simple performance, sont omniprésents et dépassent souvent le giron d’un sportif ou d’une discipline. L’économie du spectacle qui s’est largement développée, au cours des dernières décennies, a indéniablement accentué la pression sur la performance sportive et a pu, par voie de conséquence, inciter à la pratique du dopage. En dénonçant cette dérive, le rapport préconise ainsi une certaine réforme de la gouvernance, devant prendre en compte ce nouveau levier [6]
D’autre part, comme le démontre le nombre important de scientifiques auditionnés, le dopage reste avant tout une question de santé publique, où sa pratique systématique a des répercussions fatales sur le court ou long terme. Rappelons ainsi les disparitions de Tom Simpson, Florence Griffith-Joyner, Knut Enemark, Philippe Gaumont, Laurent Fignon pour ne citer qu’eux. Si dans certains cas, l’explication du décès n’est pas directement liée à la pratique dopante, le lien de cause à effet est pourtant incontestable. Un collectif s’est d’ailleurs créé en Italie, les « veuves du Calcio » [7], et dénonce depuis maintenant plus de vingt ans les pratiques dopantes dans le championnat de football italien. Comme indiqué par le Docteur Jean-Pierre de Mondenard au cours de son audition par la Commission d’enquête, le risque pour un athlète dopé d’avoir un accident cardio-vasculaire après 45 ans était multiplié par 5 par rapport à la moyenne [8]. L’ensemble des acteurs mobilisés dans cette lutte s’intéresse aussi à l’aspect économique de cette pratique et notamment, entend mettre en lumière les réseaux par lesquels ces produits dopants transitent. La lutte contre le dopage est donc un combat éthique, sanitaire et d’ordre public qu’on ne peut pourtant mener seul.
Un combat qui doit nécessairement passer par une coopération internationale
Ainsi, à la lecture seule des comptes rendus, une conclusion s’esquisse naturellement. Le dopage ne touche plus, comme certains le voudraient, essentiellement le cyclisme ou l’athlétisme, et ce, en dépit de l’actualité du mois avec les soupçons concernant le 100ème tour de France ou les contrôles positifs de Gay et Powell. Les auditions s’égrenant, on pouvait déjà voir se dégager trois lignes fortes : le dopage touche désormais toutes les disciplines, tous les niveaux et toutes les nationalités. Tout comme le sport, le dopage a démontré son caractère universel, global, comme les affaires Puerto [9], Galgo ou Balco ont pu déjà le prouver. Comme le note le rapport, la coordination doit être le maître mot de ce combat et elle doit être perceptible à différents niveaux : prévention, action, répression. Ainsi, la lutte contre le dopage doit donc non seulement s’organiser au niveau national, en coordonnant l’ensemble des organes [10] dédiés à cette tâche, mais aussi et surtout au niveau international et interdisciplinaire, en dépassant ainsi les seules logiques de compartimentation qui avaient prévalu jusqu’à lors. À travers ses investigations, la Commission d’enquête a ainsi souligné la difficile coordination de l’ensemble de ses acteurs dont le but commun est pourtant de redonner ses lettres de noblesse à un sport propre, loin de toutes les dérives et les scandales qu’il a pu connaitre au cours de la décennie écoulée. Afin de faire face à ce constat, des propositions ont été présentées, mais leur mise en œuvre s’annonce évidemment plus que difficile. Cette politique n’est rendue possible qu’avec une volonté politique, sociétale mais surtout sportive d’une véritable coopération de l’ensemble des organisations nationales comme transnationales. En effet, il est intéressant de noter la présence de plus en plus importante d’organisations nationales et internationales sportives comme non sportives dans cette lutte. Conventions de lutte contre le dopage [11] , fondation d’une agence mondiale [12] sont autant d’éléments qui viennent s’ajouter à la longue liste de l’arsenal juridique et administratif déployé pour lutter contre ce fléau, sans qu’il y ait toutefois une coordination suffisante entre ces différents éléments. Ainsi, le rapport préconisait évidemment une meilleure entente entre les partenaires, qui doit passer par une approche globale afin de leur permettre d’œuvrer ensemble pour la définition d’une stratégie de lutte, commune et efficace.
Vers la fin du mythe de l’apolitisme du sport ?
À travers ce rapport, on voit que le politique tend à s’immiscer dans la gouvernance du domaine sportif, comme nous en avons eu l’exemple la semaine passée avec la rencontre entre une Commission spéciale du Conseil de l’Europe et la FIFA [13]. Il est ici intéressant de noter la frontière poreuse existant entre le sport et la sphère politique. Alors que le mythe de l’apolitisme du sport persiste toujours, l’importance du dispositif législatif, l’implication des États dans le domaine sportif prouve le contraire. La chronologie ci-dessous nous démontre l’implication des pouvoirs publics dès les premières heures et la course à la technologie qui est alors lancée. Comme l’a signalé justement le rapporteur Lozach, la lutte contre le dopage est avant tout une lutte contre le temps et le perfectionnement des technologies visant à améliorer les techniques de dopage. L’arrivée massive d’argent dans le sport a certes accentué les disparités entre le dopage artisanal et institutionnalisé, mais a surtout prouvé qu’une véritable politique de lutte contre les pratiques dopantes était nécessaire, voire indispensable, sous peine de toujours poursuivre une chimère et de voir constamment les têtes du dopage repousser.

[1] L’affaire Balco désigne un scandale de dopage aux Etats-Unis, en 2003 et touchant principalement l’athlétisme mais aussi le cyclisme, la boxe, le football américain. Elle aboutit à la condamnation pénale ou sportive de nombreux athlètes : Marion Jones, Tim Montgomery, Dwain Chambers, etc.

[2] http://www.senat.fr/presse/cp20130227c.html

[3] P23 du rapport, http://www.senat.fr/rap/r12-782-1/r12-782-11.pdf

[4] Titre proposé pour le rapport, http://www.senat.fr/rap/r12-782-1/r12-782-11.pdf

[5] « Opération Puerto : le rendez-vous manqué de la lutte contre le dopage dans le sport », 08/05/2013 http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8123

[6] « Le sport s’inscrivant de plus en plus dans l’économie du spectacle, avec pour corollaire l’injection massive d’argent dans de nombreuses disciplines, la lutte antidopage doit à la fois être à la hauteur de ces enjeux et prendre elle-même des accents financiers si nécessaire, notamment en termes de sanctions », p12, http://www.senat.fr/rap/r12-782-1/r12-782-11.pdf

[7] « L’affaire des veuves du Calcio rebondit », 06/01/2003, Libération, http://www.liberation.fr/sports/0101436184-l-affaire-des-veuves-du-calcio-rebondit

[8] http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video17036.html

[9] « Opération Puerto : le rendez-vous manqué de la lutte contre le dopage dans le sport », 8 mai 2013, Affaires stratégiques, http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8123

[10] P199 et suivantes, http://www.senat.fr/rap/r12-782-1/r12-782-11.pdf

[11] « Convention contre le dopage » en 1989 du Conseil de l’Europe, « Convention internationale contre le dopage dans le sport » en 2005 de l’UNESCO.

[12] L’AMA a été créée suite à la Conférence mondiale de lutte contre le dopage à Lausanne.

[13] Veille hebdomadaire de l’Observatoire Géostratégique du sport, Veille n°3 (16-23 juillet 2013), http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs-geostrategique-sport/veille-sport-n3.pdf