ANALYSES

Géopolitique de l’eau : quelles menaces ?

Tribune
26 juin 2013
Par Barah Mikaïl, Directeur de recherche à la FRIDE et membre de l’Assemblée des citoyens et citoyennes de la Méditerranée (Acimedit)
Les relations entre l’Egypte et l’Ethiopie se sont gravement détériorées suite à la décision prise par Addis-Abeba de détourner le cours du Nil bleu dans le cadre de la construction d’un barrage hydroélectrique. Quels sont les principaux enjeux au cœur de ces tensions ? Comment expliquer la mobilisation d’une rhétorique belliqueuse de la part d’officiels égyptiens ?

La décision éthiopienne n’est pas une nouveauté : cela fait des années qu’Addis-Abeba fait part de sa volonté de faire un usage efficace des eaux du Nil bleu. Cela s’explique d’autant mieux que l’Ethiopie est à l’origine de quelque 80% des eaux du Nil, alors que l’accord sur les eaux du Nil de 1959 s’est fait entre l’Egypte et le Soudan et ne reconnait officiellement aux Ethiopiens aucun droit sur celles-ci. Mais avec la partition du Soudan, les problèmes politiques rencontrés par les Egyptiens, et le soutien dont bénéficie Addis-Abeba de la part d’un ensemble d’acteurs régionaux – les autres pays situés en amont du Nil Blanc -, l’Ethiopie a senti que c’était le moment de passer en force et de faire valoir ses droits sur une partie des eaux du Nil. Cela inquiète les Egyptiens et les Soudanais qui considèrent que cette décision risque de baisser le débit des eaux leur parvenant, tout comme elle constituerait une entorse à leurs propres exigences et souveraineté. Mais même si Hosni Moubarak n’aurait pas réagi d’une manière autre s’il était encore au pouvoir, je crois que par leur réaction, les officiels égyptiens traduisent également leur volonté de trouver une fuite en avant et de profiter de cette donne en essayant de détourner l’opinion publique égyptienne des autres problèmes du pays. En insistant autant sur les enjeux hydrauliques, au demeurant importants, le président Morsi essaie d’asseoir l’idée du complot étranger afin d’asseoir une union sacrée autour de lui. Cela est logique étant donné que même les leaders politiques opposés à Morsi considèrent que le détournement des eaux du Nil par des parties « étrangères » est une ligne rouge à ne pas franchir.

Quels sont les autres « points chauds » du globe concernant le contrôle des ressources hydriques ? Pourrait-on, à terme, assister à des guerres de l’eau ?

Je demeure convaincu que les risques de conflits liés à l’eau sont avant tout sociétaux. L’hypothèse de l’apparition de guerres interétatiques pour l’eau demeure posée mais on demeure bien en mal d’identifier l’endroit précis où elles pourraient éclater. Cela étant dit, d’un point de vue géopolitique, je crois que les eaux du Nil restent aujourd’hui celles du globe qui sont porteuses de la charge la plus explosive. Après, dans la globalité, je crois que la possibilité pour un ensemble d’Etats d’abonder vers une guerre pour l’eau reste fonction de la cordialité apparente des relations qu’ils décident d’entretenir plus que des réserves d’eau dont ils disposent ponctuellement. Nil, Tigre et Euphrate, cours d’eau communs à Israël et ses voisins arabes, Amou-Daria et Syr-Daria en Asie centrale, apparaissent comme les exemples les plus porteurs de tensions pouvant dégénérer. Mais il ne faut pas oublier qu’au Kerala et au Tamil Nadu (Inde), sur le rio Uruguay, à niveau populaire au Chili, les tensions et revendications n’ont pas manqué ces dernières années. Il n’y a donc de risque zéro nulle part dans le monde. Imaginons que les traités sur le partage des eaux transfrontalières entre Canada et Etats-Unis venaient à être abrogés pour une raison ou une autre ; si cela arrivait, on pourrait aller jusqu’à redouter une guerre américano-canadienne autour de l’eau. La même chose prévaut pour les pays de l’Union européenne, où les traités juridiques et le respect de leurs dispositions sont le garant d’un apaisement uniquement parce que leurs signataires en ont décidé ainsi.

La rareté est-elle le seul facteur permettant d’expliquer l’existence de tensions autour de l’eau ?

Non, la rareté n’explique pas tout, d’autant plus que les zones du monde où les réserves en eau manquent sont elles-mêmes assez rares. En gros la zone Afrique du Nord-Moyen-Orient est la région du monde où prévaut une telle pénurie en termes de volumes d’eau disponibles à l’état naturel ; ce n’est pas pour autant qu’une guerre hydraulique y menace à tout instant. Les problèmes d’infrastructures, la mauvaise qualité de l’eau, la mauvaise répartition des conditions d’accès à échelles locale ou nationale, voilà ce qui compte. Le triptyque ayant valeur d’indicateur pour les tensions pouvant être générées autour de l’eau me paraît être le suivant : gouvernance-infrastructures-répartition. Et sur tous ces plans, ce sont les gouvernements ou autorités locales qui sont redevables d’explications quand leur gestion s’avère hasardeuse ou négligée.

Aux Nations Unies, 2013 est l’Année internationale de la coopération dans le domaine de l’eau. Où en est la coopération internationale sur ce sujet ? Les mécanismes existants sont-ils efficaces ? Comment les améliorer ?

Les exemples de la planète montrent que l’on échoue encore souvent à mettre en place des exemples de coopération efficaces. On dépend encore trop du bon vouloir des gouvernements et de leur disposition à coopérer et à se mettre d’accord avec leurs voisins. Les exemples de coopération demeurent nombreux d’un point de vue technique, mais il faudrait marquer un pas en avant dans la consécration d’une instance internationale ayant force de décision en matière de reconfiguration des modalités d’accès à l’eau. Une sorte d’ONU pour l’eau, mais dégagée de toute potentielle influence diplomatique et dont la souveraineté serait reconnue par tous les Etats. Evidemment, cela ne reste qu’un vœu pieux pour l’heure. Mais tant que la notion de souveraineté étatique primera, et elle devrait primer pour longtemps encore, je ne vois pas comment on pourrait marquer une évolution vers une configuration plus sereine et efficace. Il est ainsi bien de décréter une année internationale de la coopération, mais c’est aux actes concrets et non à la théorie et aux principes affichés que l’on peut augurer de la réelle nature des avancées.

La désalinisation est-elle une alternative viable et pérenne pour les Etats désireux de réduire leur dépendance aux sources naturelles d’eau douce ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ce procédé ? Quelles autres méthodes permettraient d’accroître le niveau d’eau potable disponible ?
Les techniques de dessalement demeurent les plus prometteuses à ce jour, à défaut d’alternatives meilleures. Mais elles se heurtent aux problèmes d’approvisionnement en énergie pour faire tourner les usines de dessalement. On porte beaucoup d’espoir à terme sur la possibilité pour l’énergie solaire de compenser ce problème, mais le tout demeure balbutiant à ce stade. Ce qui est sûr, c’est que le déploiement de meilleures infrastructures d’exploitation des réserves disponibles, d’une meilleure répartition de l’eau à échelles nationale et régionale, ainsi que la sensibilisation à une utilisation citoyenne responsable de l’eau sont les meilleurs moyens pour limiter les problèmes de disponibilité de l’eau. Pour le reste, le dessalement demeure en effet ce que l’on a trouvé de mieux à ce stade, même si cette technique a aussi un coût.