ANALYSES

Echec des négociations entre la Serbie et le Kosovo : peut mieux faire ?

Tribune
8 avril 2013
Par Gaëlle Pério Valero, chercheur à l’IRIS, spécialiste des Balkans
Vu de Bruxelles, l’enjeu de ces négociations, qui s’étirent déjà depuis de longs mois, est de mettre fin à la partition de facto du Nord Kosovo, peuplé à majorité de Serbes. Il s’agit également pour Bruxelles de débloquer le processus d’intégration de la Serbie, poids lourd de la région, qui a obtenu déjà le statut tant espéré de candidat l’an dernier. Une nouvelle étape devrait être franchie en juin prochain par l’ouverture des négociations d’adhésion à condition cependant que la question du Nord Kosovo soit réglée.

Depuis la guerre de 1999, la région du Nord Kosovo, adossée à la Serbie, est peuplée en grande majorité de Serbes qui refusent catégoriquement de faire allégeance à Pristina. Une épine dans le pied du nouvel Etat qui abrite aussi la plus grande mission civile de l’UE. Beaucoup des habitants de la zone sont des Serbes d’autres régions du Kosovo qui ont fui leurs villages d’origine à l’issue du conflit pour se regrouper au Nord de la ville de Mitrovica, dans une zone ethniquement plus homogène, sans toutefois vouloir quitter leur région d’origine et trouver refuge en Serbie. Depuis 1999, cette population serbe fonctionne sous des institutions dites « parallèles », qui sont en fait la continuité des institutions yougoslaves d’avant la guerre. Registres d’états civils, tribunal, dispensaire, éducation : tout se fait comme si la région de Mitrovica dépendait encore de la Serbie. D’ailleurs, à Mitrovica-nord, c’est le drapeau serbe qui flotte, pas le drapeau bleu et jaune kosovar. Après 1999, Belgrade a fortement encouragé et soutenu cette insoumission, notamment en continuant à financer ces services publics parallèles et les salaires des fonctionnaires en exercice. Après que le Kosovo a proclamé unilatéralement son indépendance en 2008 et a accédé à une autonomie institutionnelle, la situation ne s’est pas améliorée bien au contraire. De violents heurts ont éclaté à plusieurs reprises qui ont obligé la Kfor, les forces de l’OTAN au Kosovo, à s’interposer, la population refusant violemment l’implantation d’institutions kosovares même encadrées par du personnel européen.

Vu de Pristina, la situation ne peut perdurer puisqu’elle remet en cause directement sa souveraineté et la légitimité de sa constitution sur une zone qui représente un quart de son territoire national. Du côté de Belgrade, on souhaite avant tout ménager la chèvre et le chou : l’intégration européenne et la loyauté envers sa communauté. Le gouvernement d’Ivica Dacic, le premier ministre serbe, a proposé de mettre en place une association de municipalités au Nord du Kosovo qui disposerait d’une autonomie substantielle pour les questions de sécurité, de police et de justice. Une proposition difficilement acceptable pour le gouvernement du kosovar Hashim Thaçi, acculé par ailleurs par son opposition qui voit d’un mauvais œil ces négociations avec l’ancien oppresseur et le montre en descendant dans la rue. Pristina craint aussi la mise en place d’une « République serbe de Bosnie-bis » qui constituerait un Etat dans l’Etat ingérable. L’autre difficulté que pose Mitrovica-nord et sa région, est que cette situation floue qui perdure depuis quatorze ans en a fait une plaque tournante des trafics de la région. La zone s’est transformée en triangle des Bermudes du crime organisé, qui, lui, n’a pas eu besoin des injonctions de Lady Ashton, pour renforcer la coopération multi-ethnique. Savoir qui contrôle la police et la justice est donc crucial tant pour l’UE, que pour la Serbie et le Kosovo.

Mais le cœur réel de ces négociations est le mode de vie des populations serbes du Nord Kosovo qui souhaitent vivre comme elles ont toujours vécu, même si les frontières se sont déplacées, et refusent désespérément un changement qui a déjà eu lieu. Quelles que soient les déclarations rassurantes de Pristina ou de Bruxelles, la réalité est que ces populations ne se reconnaissent pas (ou pas encore) dans une citoyenneté kosovare.
L’enjeu aujourd’hui pour la Serbie est de prouver qu’elle peut agir de façon responsable et pragmatique pour le bien de sa communauté en partenariat et sans entrer en conflit avec ses voisins. L’écueil pour Belgrade est cependant d’éviter à tout prix de reconnaître implicitement la souveraineté de son ancienne province pour ne pas se heurter à l’incompréhension d’une grande partie de son opinion publique. Le gouvernement est-il prêt à payer ce prix fort vu l’importance mythologique et historique du Kosovo pour les Serbes, afin de progresser vers l’intégration européenne ?
L’enjeu pour Pristina est de réaffirmer sa souveraineté mais surtout de prouver que les Serbes, quoique minoritaires, sont aussi des citoyens kosovars à part entière et que le gouvernement est capable d’agir de façon responsable en fonction de leurs meilleurs intérêts et de comprendre leurs spécificités.
Enfin, l’enjeu pour Bruxelles est de faciliter et d’aider à l’implantation d’une solution réellement pérenne et sereine pour tous et de maintenir sa légitimité d’arbitrage alors que cinq Etats membres de l’Union n’ont pas reconnu le Kosovo. Sa crédibilité dans la région est à ce prix.
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