ANALYSES

“God save the Canadian Queen”

Tribune
21 mars 2013
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
La reine Elizabeth II détient encore un certain nombre de pouvoirs, théoriques s’entend, mais réels, comme le commandement de l’armée ou la nomination du premier ministre, entre autres. Alors comment expliquer qu’en 2013 le Canada maintienne volontairement sa sujétion à l’égard de la monarchie britannique ?

Le lien étroit qu’entretiennent les sujets canadiens avec Sa Très Gracieuse Majesté remonte à la Guerre d’indépendance des Etats-Unis. En effet, alors que les insurgés, alliés aux armées françaises, parvenaient à repousser les Britanniques et à conquérir leur indépendance, les loyalistes – les colons restés fidèles à la Couronne – se réfugièrent pour une large partie d’entre eux au Canada, refusant l’instauration d’une République et craignant les représailles du nouveau régime. Dès lors, la population canadienne anglophone fut pénétrée par l’arrivée massive de ces hordes loyalistes, et elle développa une forte tradition d’attachement à la royauté jusqu’alors jamais démentie.

Néanmoins, les critiques fusent, particulièrement du côté des Canadiens francophones pour lesquels ce vestige du passé suscite des réminiscences douloureuses alors que les velléités indépendantistes demeurent très présentes dans la société. Pour quelles raisons ? D’une part, en ce que la reine symbolise la perte du Canada par la France, et ainsi la domination coloniale de l’Empire britannique, puis du Canada anglophone, sur le Canada francophone ; d’autre part, parce que la reine demeure le symbole d’un système politique anglo-saxon, économiquement libéral, que nombre de francophones rejettent. En outre, les mouvements souverainistes québécois génèrent indirectement la matrice essentielle de cette contestation du régime monarchique en tant qu’ils sont mus par un dessein commun, celui d’instaurer une république.

Toute cette contestation du pouvoir royal se trouve déjà présente dans la devise du Québec : « Je me souviens ». Ce propos laconique résume parfaitement le sentiment partagé par de nombreux Québécois d’appartenir à l’ancienne Nouvelle-France, mais aussi d’être un peuple conquis, nous dit l’historien Mason Wade. Si le monarque britannique n’a guère de pouvoirs dans les faits, il illustre l’hégémonie anglophone que perçoivent les Franco-canadiens. Avoir à la tête de son pays un souverain étranger est perçu comme un archaïsme, un reliquat de la période coloniale, qu’il s’agit d’éliminer.

Seulement, la majorité des Canadiens n’accepterait pas ce divorce. Quoi qu’on en dise, dans une période où l’unité du pays est mise à mal – outre le Québec, pensons aux mouvements indépendantistes en Alberta ou aux revendications des populations autochtones à travers le mouvement Idle No More –, la monarchie est un gage de stabilité relative. De surcroît, si l’on regarde du côté de l’hémisphère sud, les Australiens, pourtant majoritairement favorables à l’abolition de la monarchie, n’ont jamais mis leur projet à exécution. Il ne suffit pas de rompre avec un régime, encore faut-il en fonder un autre, et, sur ce point, le consensus est délicat à trouver. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le maintien du statu quo australien et les faibles chances pour que le Canada prenne la décision de s’affranchir définitivement de la tutelle britannique. A croire que Dieu protège la reine…
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