ANALYSES

Saint-Siège : Les toilettes du pape François

Tribune
15 mars 2013
Les 265 pontifes précédents, en effet, acceptaient les pompes et le confort de la fonction. Le nouvel élu, lit-on d’Est en Ouest et du Nord au Sud, marche ou prend le métro. Il est issu d’une famille modeste. Il confesse les cartoneros , (les chiffonniers) des villas miserias (version locale des bidonvilles). Il pratique naturellement l’austérité au point alors qu’il est jésuite, d’avoir choisi, François, saint François d’Assise, comme référence. Il n’hésiterait pas à fréquenter les syndicalistes et à rappeler à l’ordre social les présidents argentins et le FMI.

Les 265 papes qui ont précédé François, étaient tous Européens. On lit encore de par le monde, que l’Eglise en choisissant un « non Occidental » selon la formule utilisée par CNN, a donc acté le déplacement de son méridien géographique. 40 %, 42 % selon les sources, des catholiques du monde seraient latino-américains. 30 %, en y incluant Espagnols et Equato-guinéens, s’exprimeraient en espagnol. L’Eglise en choisissant pour la diriger un homme du Sud, hispanophone, aurait ainsi acté l’évolution de son monde.

Les Eglises latino-américaines, on s’en doute, ont abondé dans ce mainstream religieusement correct. Les chefs d’Etat de la nouvelle Amérique latine, nationaliste et progressiste, en dépit de quelques ratés au Venezuela ont opéré, eux aussi, une OPA plus surprenante sur l’élection. Raúl Castro, le chef de l’Etat cubain, s’est confondu en compliments. Dilma Rousseff, son homologue brésilienne, a joué sur le même registre. De façon plus inattendue, Cristina Kirchner, la Première argentine, a félicité Sa nouvelle sainteté. L’Equatorien Rafael Correa, a considéré qu’il s’agissait là d’une décision « historique ». Et le plus extraterrestre aura été Nicolas Maduro, président par intérim du Venezuela, qui a suggéré une intercession dans les cieux de feu Hugo Chavez auprès de Dieu le Père. En bref et en clair, comme l’a résumé un grand quotidien français du soir, « pour l’Europe voilà un monopole de plus qui tombe ».

Pourtant si l’on tire le rideau, les coulisses de cette élection révèlent une réalité plus composite. Certes, le pape est issu d’une famille plus que modeste. Certes, il cultive la rigueur personnelle, pour se conformer au message des évangiles. Certes, le théologien brésilien de la libération Leonardo Boff suspendu en 1985, s’est livré à un appel du pied au pape de la « charité et de l’humilité ». Mais ne l’a-t-il pas fait de peur d’avoir à avaler l’élection de Dom Odilo Scherer, archevêque de Saint-Paul, orthodoxe s’il en est ? François n’a pourtant rien d’un progressiste. Il se situe bien lui aussi dans la ligne tracée par Jean-Paul II.

Quand il le fallait dans les années de plomb de la dictature militaire argentine et de la guerre froide, Jorge Bergoglio en effet s’est tu. Il n’a rien dit en faveur de la démocratie et encore moins de la chasse aux prêtres et jésuites travaillant dans les quartiers pauvres. Il aurait, selon ses dires, suivi la théologie de l’intervention discrète et invérifiable pratiquée en son temps, celui d’autres dictatures par Pie XII. Fumée grise, donc, même si les témoignages de complicité avec les généraux recueillis par le journaliste d’investigation, Horacio Verbitsky(2), n’emportent pas une totale conviction. En revanche, depuis l’accession au pouvoir de Nestor et Cristina Kirchner, Mgr Bergoglio, a parlé fort et publiquement pour empêcher l’adoption d’une loi sur l’interruption de grossesse et d’un texte sur le mariage de personnes de même sexe.

Quant à le définir comme un pape du Sud, c’est incontestablement et littéralement vrai. L’Argentine est dans l’hémisphère Sud. Pour autant, ce dignitaire est très « italien ». Non seulement en raison de ses origines familiales, mais aussi par sa formation qui l’a conduit à passer plusieurs années en Europe. En Espagne d’abord, en 1969, puis en Allemagne en 1986. Considérant qu’il ne fallait pas mêler évangélisation et politique, il a été hostile à la théologie de la libération. Jean-Paul II, le pape de l’Est, avec lequel il se trouvait en harmonie en a logiquement fait un évêque en 1992, puis en 2001 un cardinal. Jorge Mario Bergoglio, est incontestablement un pape sud-américain. Mais il est aussi représentatif de l’Eglise qui, en Amérique latine, aura été la plus réticente à mettre en musique les décisions du concile Vatican II, et celle au contraire qui aura été le plus rapidement en concordance avec les orientations du pape polonais. AMDG : Ad Majorem Dei Gloriam . CQFD …
(1) André Gide, Les caves du Vatican (roman publié en 1914)/Enrique Fernández et César Charlone, Les toilettes du pape (film uruguayen réalisé en 2007)
(2) Horacio Verbitsky, El silencio, Buenos Aires, ed. Sudamericana, 2005