ANALYSES

Chassé-croisé franco-brésilien : De Malabo à Bogota

Tribune
25 février 2013
Après, bien sûr, chacun vit sa vie internationale comme il la sent et l’entend. Rien donc de surprenant si la même semaine de février la présidente brésilienne se trouve à Malabo, en Guinée Equatoriale et le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius à Lima, Bogota et Panama. L’agenda des sommets de l’Etat est ainsi fait. La diplomatie économique chère au ministre français des Affaires étrangères devait tôt ou tard le conduire en Amérique latine. Rien d’étonnant donc s’il a ciblé pour ce premier déplacement outre atlantique trois pays aux taux de croissance « asiatiques », entre 5 et 10%, le Pérou, Panama et la Colombie. Quant à Dilma Rousseff, elle a finalement confirmé les affinités africaines, émotionnelles tout autant que réfléchies de son prédécesseur. Le Brésil qui a porté sur les fonds baptismaux avec le Nigéria les rencontres ASA, Afrique-Amérique du Sud, se devait de tout faire pour permettre la tenue de son IIIème sommet. Va donc pour la Guinée Equatoriale dont c’était le tour après le désistement forcé en 2011 de la Libye.

Ce chassé-croisé a beau être fortuit, le calendrier a beau avoir ses exigences, il est quelque part révélateur de dérives continentales. Le Brésil et la France naviguent bel et bien portés par des courants parallèles plus que convergents.

La normalité bilatérale suit bien sûr son cours. Les affaires tournent à peu prés rond. Le Brésil est un partenaire industriel et commercial important. De nombreuses entreprises françaises y sont présentes, investissent et créent des emplois. Casino a avalé Pão de Açucar en 2012. Alsthom a inauguré il y a quelques mois une grosse usine d’éoliennes. L’accord de coopération signé entre les deux marines et leurs chantiers navals suit son cours. Merci. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a pu le vérifier prés de Rio à Itaguai le 5 novembre 2012. Les Français qui en ont les moyens vont en nombre s’encanailler au carnaval de Rio et en bien d’autres endroits. Les Brésiliens au portefeuille adéquat se pressent à Paris dans les grands magasins.

Mais, mais. Les conjonctures économiques divergentes ont commencé à faire sentir le poids d’appréciations différentes sur un certain nombre de dossiers touchant à l’équilibre du monde. Le Brésil plaide inlassablement depuis le 1er janvier 2003 pour le partage des décisions internationales. Avant-hier, en 2003, il était opposé à l’unilatéralisme des Etats-Unis en Irak, comme la France de Jacques Chirac. Hier, en 2010, le Brésil, avec la Turquie, négociait un compromis sur le nucléaire iranien qui n’a pas été soutenu par le président Sarkozy. Hier encore, en 2011, le Brésil signalait son désaccord à la France, de Sarkozy, et au Royaume-Uni, de Cameron, militairement engagés en Libye. Aujourd’hui, en 2013, il a signalé ses réserves concernant l’intervention française au Mali et sa préférence pour une solution strictement africaine. Et, concernant la crise syrienne, Brasilia est plus proche de la Russie que de la France. En décembre 2012 à peine le Puligny Montrachet avalé dans les salons de l’Elysée, Dilma Rousseff était allée au Kremlin sabler le champagne de Crimée avec Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev. Elle a reçu en février 2013, à Planalto (1), le premier ministre russe. Dans quelques semaines, elle va participer en Afrique du Sud à un sommet du groupe BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du sud).

Cet écart par touches successives finit par dessiner un paysage, et la géographie préférentielle de chacun des deux pays. Cette géographie élective vient de conduire Dilma Rousseff chez l’un des potentats africains les plus discutés, Obiang Nguema Mbasogo de Guinée Equatoriale. Elle était, c’est vrai en bonne compagnie, avec la secrétaire générale de l’Union africaine, le secrétaire général de l’Unasur (2), les présidents d’Afrique du Sud, du Nigéria, du Cameroun, du Gabon, d’Angola, du Bénin, du Burundi, de Côte d’Ivoire, du Congo, d’Argentine, de Bolivie, du Cap-Vert, d’Equateur, d’Ethiopie, du Malawi, de Saint-Thomas et Prince, de Somalie, du Soudan, du Swaziland, du Sénégal, du Surinam. L’enjeu, la recomposition de la gouvernance mondiale, est passé sur bien des préventions. Le ministre français des Affaires étrangères a de son côté privilégié pour son premier périple latino-américain trois pays membres de l’Alliance du Pacifique, fraîchement constituée, en juin 2012, le Pérou, Panama et la Colombie. Ces trois pays ont pris, il est vrai, une orientation clairement occidentale. Ils ont signé des accords de libre-échange avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Ils présentent plus de garanties juridiques pour les investisseurs extérieurs que les pays de l’Alliance bolivarienne des Amériques. Ces pays, qui plus est, vivent une période d’euphorie économique spectaculaire.

Tout cela ne répond sans doute pas à une intentionnalité maligne. Mais les faits sont têtus et renvoient aux courants de fond qui poussent les grands timoniers à en suivre l’élan pour diriger les vaisseaux nationaux dont ils ont la responsabilité. Le Brésil surfe sur la vague de l’émergence avec des partenaires, les BRICS, les pays de l’ASA, partageant cette ambition. La France est soumise aux contraintes européennes et à l’offre d’intégration à l’ALENA offerte par le président des Etats-Unis.

(1) Palais présidentiel brésilien
(2) Union des nations sud-américaines

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