ANALYSES

Santiago du Chili, 26 et 27 janvier 2013 : Sommet euro-latino-américain de la confusion

Tribune
29 janvier 2013
L’Europe n’a pas fait carton plein pour le sommet euro-latino-américain de Santiago du Chili. Comme en d’autres occasions un certain nombre de ses chefs d’Etat sont restés sur le vieux continent. Les uns ont délégués leur président du Conseil, les autres leur ministre des Affaires étrangères. La France était ainsi représentée par son premier ministre, comme à Lima en 2008. Peut-être aurait-il fallu délocaliser un Conseil européen pour convaincre les 27 de faire acte de présence au plus haut niveau ? Les Latino-Américains en effet en couplant cette rencontre bilatérale avec un sommet, le premier, de la toute nouvelle CELAC, la Communauté des Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe ont eux fait un carton presque plein. Seuls les chefs d’Etat du Paraguay et du Venezuela ont passé leur tour pour des raisons différentes. L’attraction d’un grand rendez-vous international est question de calendrier, sans doute. Mais les raisons de se parler relèvent aussi de l‘ordre du jour. Or Europe et Amérique latine ont-elles encore beaucoup à se dire ?

Le constat est connu. Depuis la fin de la bipolarité Est-Ouest, Amérique latine et Europe ont dérivé vers des horizons contraires. L’Europe s’est repliée sur elle-même. En s’élargissant, elle est devenue plus hétérogène, économiquement, socialement, diplomatiquement, culturellement. Les problèmes de toute nature posés par cette intégration laborieuse ont été accentués par la crise économique et financière de ces dernières années. Le sommet de Santiago, inscrit dans le calendrier communautaire, devait se tenir. Mais les têtes et les préoccupations étaient ailleurs, en Europe. Les responsables qui ont accepté de se déplacer en ont profité pour faire leurs courses bilatérales, destinées à essayer de compenser les malheurs domestiques. Le premier ministre français a mis Buenos Aires dans son agenda. Son homologue espagnol, le Pérou et le Chili et la chancelière allemande, Angela Merkel, le Chili.

L’Amérique latine, longtemps accaparée par une double instabilité, économique et politique, est sortie du tunnel au tournant du siècle. Démocratisée, stabilisée, elle a échappé à la crise économique et financière qui touche Europe et Etats-Unis. Elle s’est réorientée vers l’Asie, elle aussi en expansion et en croissance. La Chine est devenue le partenaire économique central de beaucoup de pays. L’Inde, la Corée, le Japon, mais aussi le Vietnam et d’autres sont de plus en plus présents. Ces pays, qui plus est, partagent et appuient les aspirations diplomatiques latino-américaines à un ordre international plus équilibré. La Chine soutient le Brésil qui aspire à entrer comme membre permanent au Conseil de sécurité. Brésil, Chine et Inde se concertent au sein du groupe BRIC. La plupart d’entre eux coopèrent pour faire contrepoids aux Etats-Unis et à l’Europe au sein de l’OMC.

Ces dynamiques éloignent de plus en plus Europe et Amérique latine. Economiquement, l’Asie est devenue un partenaire commercial majeur, devant l’Europe. Diplomatiquement beaucoup de Latino-Américains souhaitent dire leur mot sur les grandes crises internationales. Ils l’ont fait, du moins certains d’entre eux, sur l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, l’Iran, la Libye, la Syrie, en signalant leur désaccord avec les positions défendues par Paris ou Londres. Les différends bilatéraux se sont multipliés. Le contentieux des Malouines alimente un foyer d’incompréhension anglo-argentin durable. L’Espagne affaiblie a été malmenée par Argentine et Bolivie qui ont nationalisé quelques-unes de ses entreprises, la France avec l’Espagne, est au cœur de la négociation impossible entre Communauté européenne et Mercosur.

Seule fenêtre restant potentiellement ouverte sur l’Union européenne, celle des pays latino-américains soucieux de maintenir à distance l’axe bolivarien. En 2012, les pays considérant qu’ils ont une identité tout autant occidentale que latino-américaine ont constitué un cercle intergouvernemental particulier, l’Alliance du Pacifique. Ces pays, le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou estiment qu’ils ont en partage avec les Etats-Unis, les Européens et le Japon, libertés économiques et politiques. Mais cela n’en fait pas pour autant des partenaires privilégiés de l’Europe. Ils ont avancé dans leur intention de créer une zone de libre-échange. Ils ont parallèlement rappelé à la chancelière allemande l’urgence d’une relance intérieure de la consommation afin d’aider des voisins en difficulté.

Le seul point commun transcontinental de ce sommet a divisé la partie latino-américaine. Colombie et Pérou, pays de l’Alliance du Pacifique ont confirmé leurs accords de libre-échange avec le vieux continent. Ils ont également soutenu les Européens qui souhaitaient voir rappeler la nécessité de règles claires pour échanger mieux. Argentine et pays de l’ALBA (Alliance bolivarienne des Amériques) ont freiné des quatre fers cette exigence de sécurité juridique. L’Argentine et les pays du Mercosur (Brésil, Uruguay, Venezuela. Le Paraguay suspendu n’était pas présent) ont d’autre part reporté sine die la conclusion d’un accord Mercosur/Union européenne jugé trop asymétrique. La Bolivie, membre de l’ALBA et candidate au Mercosur a saisi le sommet pour renvoyer dos à dos Chili et Royaume-Uni coupables à ses yeux de violation du droit international, aux Falklands/Malouines revendiquées par l’Argentine dans un cas de figure, sur la façade maritime du Chili, ancienne province bolivienne, annexée à l’issue d’une guerre perdue à la fin du XIXème siècle.