ANALYSES

Soudan : le jeu de dupes du Canada

Tribune
30 octobre 2012
Par Charles Thibout, ancien assistant de recherche à l’IRIS
Pour autant, comme dans toute diplomatie qui se respecte, des intérêts très concrets sous-tendent ces formules vagues et abstraites, dignes des blockbusters hollywoodiens ou d’un messianisme civilisateur dont on ne connaît que trop bien les rouages. Bien que le Canada mette en avant, avec un certain pathos d’ailleurs, la souffrance des Soudanais, du Nord comme du Sud, et l’implication importante du gouvernement en termes d’aide alimentaire, d’accès aux soins ou encore d’éducation, il faut bien cerner l’intérêt stratégique sous-jacent qui conduit l’Etat canadien à employer plus de 900 millions de dollars à fins dites « d’aide humanitaire, de développement et de consolidation de la paix pour alléger la souffrance, promouvoir la démocratie et faire respecter les droits de la personne, renforcer la résilience, favoriser la paix et aider à obtenir un référendum pacifique et crédible au Soudan du Sud. »

L’élément-clé qui permet de comprendre le zèle canadien, est certainement l’abondance des gisements pétrolifères dans le sol soudanais. Or les tensions entre le Soudan et le Soudan du Sud, ainsi que les tensions au Darfour, font craindre au Canada, mais également à l’ensemble de la communauté internationale, une évolution en termes de politique exportatrice du pétrole qui lui serait encore plus défavorable qu’un éventuel statu quo . Le Soudan possède les cinquièmes réserves de pétrole prouvées du continent africain, et ses exportations vont essentiellement en direction de la Chine et du Japon.

Au vu de l’instabilité politique qui règne dans cette région, générée notamment par la problématique liée à l’exploitation pétrolière, dont les revenus sont inégalement redistribués sur l’ensemble du territoire, le Canada tente d’instaurer de bonnes relations avec l’ensemble des protagonistes afin d’en tirer profit lorsque les tensions se seront apaisées, et que des partenariats commerciaux stables pourront s’établir entre les deux Soudans et le Canada. C’est pourquoi les Canadiens « contribuent » – et le font savoir – à de « vastes programmes d’aide » et œuvrent en faveur de la « paix », un terme qui revient dans presque tous les communiqués du ministère des Affaires étrangères canadien.

En outre, dans la mesure où le Canada, à l’instar des Etats-Unis, n’était pas à l’origine un partenaire commercial privilégié du Soudan, le gouvernement canadien espère profiter de l’instabilité extrême de la région pour se voir octroyer des privilèges à ce niveau. Quel meilleur moyen de renverser l’ordre des relations commerciales que d’afficher son soutien et sa détermination à la résolution des conflits ? Les idéaux affichés par le gouvernement, de même que les mesures d’aide mises en place semblent avant tout intéressées.

Si le Canada fait preuve de générosité, c’est qu’il espère bénéficier, en retour, d’avantages commerciaux avec les deux Etats. Et lorsque le Canada évoque des sanctions commerciales et économiques à l’égard du Soudan, « en réaction à la situation actuelle des droits de la personne et à la situation humanitaire », aucun document n’atteste cette déclaration. Les seules sanctions prises à l’égard du Soudan sont simplement celles reprises du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, qui portent essentiellement sur le matériel militaire. Aussi l’image du Canada, comme défenseur de la démocratie libérale et des droits de l’homme, est protégée, et la politique de rapprochement avec les deux Soudans peut se poursuivre. On s’en tiendra, du côté canadien, à condamner les exactions les plus criantes, comme on le fait depuis des mois, mais les intérêts stratégiques du pays préserveront leur primauté.
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