ANALYSES

Les présidentielles vénézuéliennes, un enjeu international

Tribune
4 octobre 2012
A-t-il bien ou mal descendu les escaliers du palais de Miraflores , l’Elysée du Venezuela ? Donné mourant il y a quelques mois selon les sources les mieux informées, il aurait en effet trahi en se requinquant les désirs cachés de ses opposants les plus résolus. Ses concitoyens vivent-ils mieux, ou plus mal, qu’il y a dix ans ? Les avis, on s’en doute, sont divergents. Va-t-il gagner une fois encore, sur son bilan social, proclamé par les siens ? Ou perdre au vu de la capilotade économique, dénoncée par le cartel des non ? Peut-il l’emporter à la loyale ? Peut-il être un bon perdant ? Ne va-t-il pas concocter un plan « B » pour rester au pouvoir, quoi que disent les urnes ? Les opinions ici encore sont contrastées.

Quoi qu’il en soit, ce « il », Hugo Chavez assure incontestablement depuis plus de dix ans l’indice d’écoute de bien des J-T et des quotidiens Au Venezuela bien sûr, mais aussi aux quatre coins du monde. « Il », ce « Il » agite naturellement les gazettes. Il est l’une de leurs locomotives médiatiques. Le personnage a su au fil des ans imposer l’image d’un chef d’Etat imprévisible et spectaculaire. Au-delà de son style inimitable et de la grande qualité artistique de ses prestations publiques, que dire ? Sans doute peut-on gloser sur les résultats et les échecs réels ou mythifiés de sa politique intérieure. C’est ce que font les électeurs vénézuéliens avec une passion tout aussi partagée qu’antagoniste. Mais c’est aussi ce que font, pourraient, ou devraient faire les amis de l’un ou l’autre des candidats en présence, ceux de Hugo Chavez, d’un côté du « ring », et ceux de Henrique Capriles sur le trottoir d’en face. « Pourraient » en effet parce que jusqu’ici les uns et les autres sont restés étonnamment retenus dans leurs propos. Sans doute au-delà des bénéfices attendus de la victoire de l’un ou de l’autre par les Vénézuéliens, y-a-t-il d’autres enjeux au-delà du verbe qui concernent le Venezuela et sa place dans le concert des nations.

Certes un dissident français Jean-Luc Mélenchon est allé donner de la voix en faveur du candidat sortant Hugo Chavez. Lula, l’ex-brésilien a fait de même avec les partis latino-américains les plus à gauche, réunis en conclave de soutien électoral en juillet dernier à Caracas. Certes Mitt Romney le candidat républicain aux présidentielles nord-américaines a dit tout le mal qu’il pensait de Hugo Chavez coupable, selon lui, de complicité avec les trafiquants de stupéfiants. Les dissidents cubains, anti-castristes de tout poil, ont eux aussi brûlé des cierges en faveur de Henrique Capriles. Mais l’Internationale socialiste réunie il y a peu en concile, a retenu sa solidarité, alors qu’une importante délégation de papabiles vénézuéliens hostiles à Hugo Chavez participait à l’évènement. Discrétion rejoignant dans l’autre camp celle des autorités cubaines, pourtant menacées d’une suspension de livraison de pétrole à bas coût par Henrique Capriles. Mieux ou pire, Hugo Chavez a souhaité bonne chance à Barack Obama, chef des Etats-Unis, cibles préférentielles des flèches « chaviennes » depuis 1999. Le voisin colombien pourtant droitier pur sucre, le président Juan Manuel Santos, a déconcerté ses amis politiques vénézuéliens. Il a en effet multiplié ces dernières semaines les compliments en direction de son collègue gauchiste Hugo Chavez. Quant aux responsables européens, il est vrai empêtrés dans les reliefs de leurs tirelires cassées, ils ont pris le parti de ne pas piper mot. Nul doute qu’ils féliciteront avec les mots de circonstance qui conviennent le vainqueur, quel qu’il soit.

Quel qu’il soit, en effet, en dépit des gestes et attitudes politiques du sortant. Hugo Chavez n’a-t-il pas tenté avec persévérance de redonner vie au non-alignement antioccidental des années Bandoeng ? N’a-t-il pas mis en place avec ses pétrodollars un réseau anti-impérialiste en Amérique latine, l’ALBA, c’est-à-dire l’Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique(1) ? N’a-t-il pas noué des relations chaleureuses avec les pires ennemis de Washington, de Paris et de Londres, Mouamar Khadafi, Bachar El-Assad et Mahmoud Ahmadinejad ? N’est-il pas l’un des principaux acheteurs d’armes russes dans la région ? N’a-t-il pas menacé la Colombie et ses dirigeants ces dernières années ? Sans doute. Mais comme les radicaux de la troisième république française si le cœur d’Hugo Chavez et de ses ennemis ou adversaires affichés a ses raisons, le portefeuille des Etats n’a bien souvent que faire de l’idéologie. Les Etats-Unis sont les principaux acheteurs de pétrole vénézuélien. PDVSA, le pétrolier de Caracas a d’importants intérêts aux Etats-Unis, des raffineries, un réseau de stations services, en particulier. Le Venezuela, membre fort de l’OPEP, dispose de réserves encore non exploitées qui intéressent tous les pays du monde. La Colombie est un partenaire économique, et commercial, stratégique du Venezuela. Les deux pays ont conduit de concert, depuis 2010, l’UNASUR, l’Union des nations d’Amérique du sud. Le Brésil en quête de statut international, n’a que faire de querelles d’Allemands sur le sexe de Bolivar entre Caracas et Bogota. La Colombie peut et doit être, vu de Brasilia, comme le Venezuela, un partenaire à part entière intégré à l’UNASUL, organisation interaméricaine concoctée à Planalto et Itamaraty (2) en 2008.

Hugo Capriles adversaire déclaré de Hugo Chavez a bien compris que pour gagner il devait mettre de l’eau dans son vin. Il s’est dit prêt à perpétuer un héritage social, pétrolier, diplomatique, qu’il dit simplement vouloir mieux gérer. Quant à Hugo Chavez, on l’a vu faire de surprenantes déclarations de sympathie à l’égard du président des Etats-Unis, sortant et candidat à sa succession, Barack Obama. Les fées les plus inattendues ont ainsi conjugué leurs efforts pour que les choses restent en l’état. Chacun espère en effet tirer les meilleurs marrons pétroliers du feu électoral vénézuélien. Il n’en reste pas moins que le joker Capriles, en dépit du rabotage des sentiments pro-européens et étatsuniens de ses amis, n’a pas exactement les mêmes affinités et intentions que le joker Chavez, fût-il passé à l’eau tiède du réalisme. Quelque part dimanche, 7 octobre, au-delà du Venezuela, c’est l’orientation stratégique de l’Amérique du sud et du Brésil qui va se jouer au fond des urnes. L’Amérique du sud va-t-elle retrouver tout en étant son extrême, l’Occident ? Ou va-t-elle approfondir ses liens avec les Suds, réactivés par exemple avec la Ligue arabe à Lima les 1er et 2 octobre(3).

(1) Cf. Jean-Jacques Kourliandsky, ALBA, organisation interaméricaine ou vénézuélienne, Liège, Fédéralisme et régionalisme, vol. 11, n°1, 2011
(2) Planalto : siège de la Présidence brésilienne/Itamaraty : ministère brésilien des affaires étrangères
(3) Lima : Troisième sommet de l’ASPA (=Amérique du sud-pays arabes)

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