ANALYSES

Birmanie : une marche optimiste mais prudente vers la démocratie

Tribune
26 juin 2012
Il y a tout d’abord la volonté de revenir sur la scène internationale et d’améliorer l’image de la Birmanie aux yeux du monde, d’attirer les investisseurs étrangers en profitant des nombreuses ressources naturelles dont elle dispose pour redresser son économie ; il y a aussi l’intérêt de s’ouvrir à l’Occident en profitant d’une place géostratégique particulièrement prisée, au carrefour de l’Inde, de la Chine et du Sud-Est asiatique. Mais si la Birmanie, qui exercera la présidence de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2014, connaît un courant réformateur encourageant et inédit, il convient de rester prudent : le processus démocratique n’est pas irréversible, et la démocratie en marche n’en est qu’à sa première étape. Il subsiste encore dans ce pays de nombreuses failles, qui constituent autant de résistances au changement.
Après avoir été l’une des pires dictatures militaires de la planète, la Birmanie voit le cours de son histoire s’accélérer de façon aussi surprenante qu’inespérée : depuis la création en mars 2011 d’un gouvernement civil et la désignation de Thein Sein, ancien militaire proche de Than Shwe, comme Président de la République de l’Union du Myanmar, les premiers gestes du changement ne se font pas attendre. D’un point de vue politique, un dialogue est instauré avec Aung San Suu Kyi, libérée quelques mois plus tôt, et son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), redevient légal en décembre 2011. Des milliers de prisonniers politiques sont libérés par vagues successives. Des pourparlers sont engagés avec les minorités ethniques – qui ne sont pas moins de 135 en Birmanie – aboutissant à des accords de paix et de cessez-le-feu avec les principales guérillas en lutte depuis des décennies. Enfin, la tenue d’élections législatives partielles et la victoire incontestable de la LND au Parlement le 1er avril dernier, atteste une réelle volonté d’ouverture de la part du régime. D’importantes avancées sociales sont également observées : autorisation du droit de grève et des syndicats, assouplissement de la censure dans la presse, ouverture de sites internet, autorisation d’antennes paraboliques permettant de capter les chaînes de télévisions étrangères, création d’une commission nationale sur les droits de l’homme. Tandis que, suite aux protestations de la population, le gouvernement suspend la construction d’un barrage financé par la Chine, certains généraux partisans de la ligne « dure » se retirent progressivement du régime – démission du Général Tin Aung Myint Oo le 21 mai 2012 – laissant au Président Thein Sein une meilleure assise politique dans le processus de démocratisation. Dès lors, la Birmanie devient une destination diplomatique incontournable et voit se succéder les visites de diplomates et de ministres occidentaux. Après l’Australie, l’Union européenne suspend en avril ses sanctions économiques pour un an, Washington lève en mai certaines restrictions et permet aux entreprises d’investir dans le pays – Coca-Cola annonce son retour après plus de 60 ans d’absence – et nomme un ambassadeur en Birmanie, tout comme la Suisse, qui annonce le 14 juin l’ouverture d’une ambassade pour début novembre, en guise de reconnaissance des progrès démocratiques accomplis. Après 13 années de restrictions, la Birmanie redevient membre de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Enfin le tourisme explose : en 2011, la fréquentation touristique augmente de 22% avec 365 000 touristes à Rangoon. Mais si l’on peut aujourd’hui se réjouir de ces spectaculaires efforts d’ouverture entrepris par le régime, il convient de cultiver, à l’instar de la Dame de Rangoon, « un optimisme prudent » en considérant les obstacles qui subsistent et l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir.
Le problème des violences ethniques qui continuent de faire des victimes sur le sol birman représente la principale menace à la transition démocratique et à la stabilité du pays. La crise dans l’Etat de Rakhine, à la frontière ouest, qui oppose des bouddhistes arakanais à des musulmans apatrides, a pris une tournure préoccupante ces dernières semaines, suite au meurtre d’une jeune bouddhiste puis au lynchage de dix musulmans. Peuple sans identité, refoulé et discriminé, les Rohingyas sont la seule minorité à ne pas être reconnue officiellement par les autorités de Naypidaw. La question de leur citoyenneté aura donc besoin d’un cadre juridique pour être réglée, sans quoi les efforts pour apaiser ces tensions seront vains. De même, voilà un an que la situation dans l’Etat Kachin au Nord du pays est inquiétante : après un cessez-le-feu long de 17 ans, rompu par l’armée birmane le 9 juin 2011, les civils y subissent des attaques continues et toute aide humanitaire est bloquée. Ces troubles communautaires sont l’un des défis majeurs dans le processus de réconciliation nationale, condition sine qua non à l’édification d’une nation démocratique. Mais pas seulement : il reste encore en Birmanie des centaines de prisonniers politiques, dont Aung San Suu Kyi réclame la libération sans condition – « un prisonnier d’opinion est un prisonnier de trop » – dans son discours du Nobel de la Paix à Oslo le 16 juin dernier. Le très haut niveau de chômage parmi les jeunes Birmans (près de 70%) constitue une véritable bombe à retardement, entraînant des problèmes d’alcool et de drogue. Les investissements étrangers devront apporter des emplois à cette jeunesse désabusée. D’autre part, de nombreux travailleurs migrants en Thaïlande sont régulièrement victimes d’exploitations et veulent revenir en Birmanie, mais les conditions préalables à leur retour ne sont pas réunies : la paix à l’intérieur des frontières et la croissance économique qui leur garantirait de l’emploi doivent d’abord être assurées, tandis que ces immigrés bénéficient de moins en moins des aides humanitaires des ONG, qui réorientent leurs priorités à l’intérieur du pays. Le régime de Thein Sein est encore hésitant à soutenir sa population : la multiplication des manifestations contre les pannes d’électricité chroniques a donné lieu à des arrestations, la confiscation des terres s’intensifie bien souvent au profit de projets industriels, même si depuis peu le gouvernement prend davantage en compte les protestations de ses habitants. Enfin le développement démocratique en Birmanie doit passer avant tout par une profonde réforme de la justice, totalement dépendante du pouvoir militaire, et l’instauration de règles de droit visant à protéger le peuple birman.

La visite historique en Europe et prochainement en France d’Aung San Suu Kyi, accueillie comme un chef d’Etat au risque de faire de l’ombre au Président birman, met en lumière le nouveau visage d’une Birmanie entre espoirs et craintes, optimisme et prudence, mais incontestablement sur la voie de la démocratisation. Puisse un jour le vœu de la Dame de Rangoon devenir réalité, elle qui a souhaité pour son anniversaire le 19 juin « le bonheur pour [son] pays ».