ANALYSES

Du Mali à la Somalie: un nouveau terrorisme en Afrique

Tribune
11 avril 2012
Jihadisme africain

Le danger s’articule autour de trois pôles :

– Aqmi, née en Algérie (de l’ancien Groupe Salafiste de Prédication et de Combat) , ‘rayonne’ via l’immense espace Sahara-Sahel au Niger, au Mali et en Mauritanie, avec ses ‘katibas’, ses unités mobiles. Aqmi est combattue par une force internationale dans le cadre du Trans-Sahara Counterterrorism Partnership->http://www.africom.mil/tsctp.asp] puis de l’opération [Enduring Freedom Trans-Sahara avec une importante assistance américaine. En dépit de ses divisions et scissions, le mouvement reste l’élément perturbateur numéro un.

– Boko Haram au Nigéria mène le jihad contre les forces armées du pays. L’organisation, de son vrai nom ‘disciples du Prophète pour la propagation de l’islam et de la guerre sainte’ (Boko Haram->http://www.huyghe.fr/actu_990.htm] étant un surnom qui signifie quelque chose comme ‘contre la culture occidentale’) est capable de mener de véritables batailles rangées et se spécialise dans les [attentats anti-chrétiens dans ce pays partagé entre deux religions.

– Enfin, comme en écho à l’Est, les Shebab en Somalie, officiellement ralliés à Al Qaïda en février. Ils combattent sur place, outre l’armée somalienne, des forces de l’Ouganda, du Burundi, de l’Ethiopie et du Kenya venues porter secours au pays frère dans le cadre de la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM). Les Shebab semblent également capables de mener des actions sur les pays proches comme le montre un récent attentat au Kenya.
Les liens entre les trois organisations sont tenus pour avérés aussi bien par les autorités locales, au Niger, au Nigéria, en Algérie.., que par les États-Unis et l’ONU. Boko Haram qui se professionnalise rapidement envoie ses membres se former auprès d’Aqmi et les Shebab coopèrent avec les deux autres groupes.
Ces organisations vivent de trafics divers dont la drogue (avec un ‘couloir’ permettant aux trafiquants latino-américains d’approvisionner l’Europe via le Sahel) et, bien sûr, les armes, dont les fameux missiles de Kadhafi disparus de Libye, et qui passent sans doute de main en main en ce moment.
Leur synergie comprend l’assistance entre groupes de guérilla basée sur une commune référence au courant jihadiste salafiste. Cela ne signifie pas qu’Al Zawahiri, successeur de Ben Laden, les contrôle. Il ne dirige probablement plus grand chose et se contente de communiqués, que les médias ne reprennent plus guère sur une actualité qui lui échappe. C’est le principe ‘puisque les événements nous dépassent, feignons de les organiser’.
Simplement, Al Qaïda, et ceci vaut pour ses branches au Yémen, en Irak etc, est devenue une référence symbolique quasi nostalgique pour des groupes disparates, enracinés, et en pleine évolution.

Les nouvelles synergies

L’idéologie des groupes africains – dont les puriste pourraient dire qu’elle se rapproche plus de celle des Talibans que de l’internationale salafiste et que leur wahhabisme est assez douteux- tient en un programme simple :
– lutte armée contre leurs gouvernements nationaux
– imposition de la charia
– refus de toute forme de ‘sécularisme’, et notamment toute constitution ou institution se réclamant la volonté du peuple et non de Dieu. D’où leur haine de toute forme d’influence culturelle occidentale.
En plus de leur dérive criminelle liée aux multiples trafics et de leur propension complémentaire à fonctionner en chefferies parfois rivales, les trois groupes ont en commun leur ambition régionale.
Certes, il leur arrive, outre les enlèvements d’Occidentaux, de s’en prendre à des organisations internationales ou, comme les Shebab, d’interdire l’action de la Croix Rouge dans les zones qu’ils contrôlent. Globalement, et en dépit des menaces récurrentes d’Aqmi contre la France, ces jihadistes africains rentrent peu dans la logique de guerre à ‘l’ennemi lointain’, en tout cas pas hors de leur zone d’action. Leur action est régionale.

Surtout, le trait commun le plus inquiétant des trois groupes est leur capacité de mener simultanément (chacun dans une proportion différente) des activités complémentaires :
attentats suicide comme en pratiquent les groupes clandestins jihadistes
– action ouverte de commandos en arme contre des policiers et des militaires, attaques de bâtiments officiels, de casernes et de prisons, prise en main de zones entières, le tout dans une logique de guérilla
– enlèvements d’Occidentaux qui servent à financer leurs activités et témoignent d’une compréhension de l’impact des médias internationaux (avec une présence sur Internet, par exemple)
– alliances avec le crime organisé international, suivant une dérive mafieuse.
Ce nouveau terrorisme, qui fait des centaines de morts autant dans l’Ouest africain que dans la zone hypersensible du golfe d’Aden, est une préoccupation majeure pour les pays africains. Lors des dernières rencontres Sud/Sud organisées par le forum Crans Montana en mars, les interlocuteurs étaient unanimes à ce sujet. Ce terrorisme mutant et ‘toutes compétences’ a un potentiel de déstabilisation énorme dont la communauté internationale aura de plus en plus à se préoccuper.