ANALYSES

Mali: ‘Nul ne sait quels seront les délais pour un retour à la démocratie’

Tribune
22 mars 2012
Quelle est la situation sur place après le putsch militaire de ce matin ? Quelles en sont les causes ?

La situation est encore incertaine. Il s’agirait de soldats peu gradés qui à priori ont pris le pouvoir et se sont emparés de la télévision. A cette heure-ci, on ne sait pas très bien ce qu’est devenu le chef de l’Etat Amadou Toumani Toure. Ce putsch semble donc avoir réussi même s’il y a encore des coups de feu à Bamako. Les causes résident principalement dans le mécontentement de l’armée. Il y a eu, notamment dans la lutte contre le mouvement Touareg du MNLA, beaucoup de pertes humaines et de défaites stratégiques. Des places fortes comme Tessalit ont ainsi été prises par les rebelles. Ces militaires considèrent qu’ils n’ont pas reçu le soutien et les équipements suffisants de la part de leur hiérarchie et accusent cette dernière d’être en partie corrompue. Il y a donc au départ un mécontentement essentiellement militaire. Au-delà, il est évident qu’il peut y avoir des soutiens de forces politiques ou de généraux gradés qui pourraient être derrière ce coup d’Etat. Nous assistons également à une modification des règles démocratiques puisque des élections étaient prévues fin avril – début mai, élections qui posaient par ailleurs un certain nombre de problèmes puisqu’un tiers du territoire n’était pas réellement contrôlé par le pouvoir central.

Quel est le rapport de force actuel entre gouvernement et rébellion Touareg ?

Actuellement, les forces du MNLA, comme les autres mouvements touareg, sont dotées d’armes lourdes en provenance de Libye. Les rebelles sont pour l’essentiel des anciens mercenaires de Kadhafi, revenus sans perspectives d’insertion dans l’armée malienne, et qui disposent de forces importantes. Il faut savoir également que ce sont des guerres du désert à mobilité rapide qui permettent de conquérir les villes et repartir extrêmement rapidement. Le rapport de force est donc pour le moment plutôt favorable aux forces militaires touareg, sans que l’on sache réellement si ce retrait de l’armée malienne est une tactique pour ne pas avoir trop de pertes et mieux réagir par la suite, ou s’il s’agit d’une véritable défaite. Pour le moment, la question touareg prend de l’ampleur.

Existe-t-il une coopération internationale ou régionale sur le sujet ?

Par définition, les mouvements touareg sont des mouvements transfrontaliers. Ils ne se limitent pas au Mali et certaines mouvances sont considérées comme liées à AQMI (Al-Qaeda au Maghreb islamique) qui agit dans la zone saharo-sahélienne. Ces mouvements ont donc une dimension qui dépasse aujourd’hui le simple jeu malien. Par ailleurs, il existe des coopérations militaires entre les pays du Sahel et du Sarah, notamment entre l’Algérie, le Niger, la Mauritanie, le Burkina-Faso et le Mali, mais elles n’ont pas très bien réussi ces derniers temps. Le Mali a souvent été accusé de ne pas être suffisamment ferme, notamment par rapport aux actions d’AQMI, le président Touré considérant que le terrorisme islamique était un problème exclusivement algérien. Au niveau international, il y a eu et il y a encore des appuis des services de renseignement américains et français.
Ce putsch représente-t-il un risque durable pour la démocratie malienne ?

C’est évidemment un risque immédiat puisque les élections présidentielles n’auront pas lieu, sauf si ce putsch échoue et il faut rester prudent. Aujourd’hui, c’est l’échec d’une démocratie mais les élections présidentielles s’annonçaient quoi qu’il en soit très difficiles. Cependant, les militaires ont décidé de supprimer les institutions et la Constitution mais de remettre le pouvoir aux civils dès que possible donc il est probable que ce ne soit qu’un putsch temporaire, comme nous l’avons déjà vu au Niger ou en Guinée. Le problème est que dans la situation de guerre dans laquelle se trouve le Nord-Mali, nul ne sait quels seront les délais pour ce retour à la démocratie.