ANALYSES

Birmanie : les exilés ont toujours un rôle à jouer

Tribune
16 mars 2012
Par Frédéric Debomy, ancien président d’Info Birmanie, a dirigé le livre Résistances (Pour une Birmanie libre) d’Aung San Suu Kyi, Stéphane Hessel et Info Birmanie aux éditions Don Quichotte.
Il n’est pas interdit de penser que l’évolution des institutions birmanes, couplée à l’éloignement de Than Shwe, homme fort de la dictature, du pouvoir, a autant sinon plus contribué à faire évoluer la situation politique que la stratégie déployée par les forces démocratiques pour contraindre le régime au changement : à un pouvoir nettement centralisé, tenu par la ligne dure du régime, s’est substituée au lendemain des élections de novembre 2010 une structure de pouvoir plus complexe, propice à l’émergence de nouveaux projets pour le pays. Ainsi, le président Thein Sein (en qui Aung San Suu Kyi, figure de référence du mouvement démocratique, dit avoir confiance) aurait-il pu entreprendre les réformes souhaitées par une partie de l’appareil d’Etat. La situation actuelle, si elle incite à l’optimisme, demeure cependant fragile : la poursuite des réformes tient à la bonne entente des principaux détenteurs du pouvoir actuel, semble-t-il répartis entre réformistes, conservateurs et indécis. Pour Harn Yawnghwe, directeur de l’Euro-Burma Office (EBO), les indécis forment sans doute le plus grand nombre : il nuance cette opposition entre réformistes et conservateurs, estimant que « si les réformes fonctionnent, les réserves [de certains] seront balayées et ceux que l’on considère comme étant ‘la ligne dure’ les soutiendront à leur tour. »
Cet analyste ne croit pas que les changements observés soient le fruit de la mobilisation des forces démocratiques : « Nous ne devons pas nous aveugler, les forces armées birmanes se préoccupent peu de l’opposition et de la communauté internationale. Ce qui compte est la préoccupation du régime qu’il y ait un pouvoir à même de protéger l’indépendance, la souveraineté et l’unité nationale birmanes. La feuille de route en sept étapes du régime était censée mener à la formation d’un gouvernement fort, avec une armée forte en réserve. Mais pour se protéger, [l’ancien dirigeant] Than Shwe a dévié du scénario initial, abandonnant le pouvoir aux mains d’un parti faible, d’un président faible, d’un vice-président faible, d’un parlement faible et d’une armée faible. […] Le président Thein Sein ne pouvait laisser une telle situation persister. […] A l’inverse de Than Shwe, Thein Sein semble en outre conscient que des réformes urgentes sont nécessaires pour que la Birmanie puisse survivre dans le monde moderne. Ce n’est pas qu’il soit un libéral, mais il veut être sûr que son gouvernement exerce le pouvoir et soit à même de protéger les intérêts de la Birmanie contre les autres nations et les gros business ».
L’analyse du directeur de l’EBO peut être évidemment discutée : l’auteur de ces lignes a eu l’occasion d’évoquer dans de précédents articles la façon dont la mobilisation des forces démocratiques (et de leurs alliés) a pu contribuer à faire survenir le changement. Mais chacun doit se méfier de ses propres automatismes en matière d’interprétation des événements. Deux exemples l’illustrent bien : la libération des prisonniers politiques et le gel du projet de barrage Myitsone sur le fleuve Irrawaddy. Le fait que le régime n’ait libéré en octobre dernier qu’un nombre limité de prisonniers politiques a été interprété par certains comme la preuve que rien n’avait réellement changé. Certes, il fallait rappeler que la libération d’une partie des prisonniers politiques et le maintien en détention de tous les autres avait été un scénario récurrent du régime pour faire croire à des évolutions qui ne survenaient pas. Mais c’était conclure trop vite : une nouvelle vague de libération de prisonniers, survenue le 13 janvier 2012, l’a prouvé. Il n’est pas en réalité étonnant qu’un régime obsédé par les questions de sécurité ne relâche que progressivement ses opposants. Le gel du projet de barrage Myitsone a quant à lui surpris tous les observateurs. Certains ont immédiatement expliqué que le régime avait eu peur de la mobilisation populaire ou qu’il s’agissait d’un geste destiné à se rapprocher de l’Occident dans le but de contrer une influence chinoise grandissante. On peut cependant en douter, et Harn Yawnghwe précise ne pas croire que cette décision ait été liée à ‘une grande stratégie internationale’.
Certes, l’Histoire a longtemps semblé se répéter en Birmanie : ce qui explique que certains soient un peu déboussolés par ce qui arrive. Reste que ce n’est pas en se persuadant envers et contre tout que rien n’a réellement changé que les groupes activistes exilés, entre autres, élaboreront la stratégie la plus à même de donner toutes ses chances à cette transition vers la démocratie pour laquelle ils ont tant lutté (1). La vigilance, pourtant, demeure nécessaire : Aung San Suu Kyi a demandé à ce que le monde ne se détourne pas prématurément de ce qui se passe en Birmanie. Les exilés et leurs soutiens internationaux ont donc toujours un rôle à jouer, pour que cela n’arrive pas.
(1) La poursuite de la mobilisation pour l’établissement d’une commission d’enquête de l’ONU sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Birmanie est notamment un sujet délicat. On ne saurait ôter aux victimes des crimes, souvent monstrueux, commis par l’armée birmane, leur droit à la justice. Pour autant, la question est posée du moment opportun pour aborder ces questions, et de la manière la plus judicieuse de le faire. La priorité étant, avant tout, que de tels crimes ne se reproduisent pas.
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