ANALYSES

De la crise de la dette à l’orthodoxie budgétaire

Tribune
3 février 2012


Acte 1 : la révision de l’article 136 TFUE

Le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 a formellement adopté la décision modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) en vue d’établir un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro. Cette décision du Conseil européen est un accord intergouvernemental adopté conformément à la procédure de révision simplifiée visée à l’article 48 §6 du traité UE . Cela signifie que l’élaboration du texte ne suppose pas la tenue d’une conférence intergouvernementale préalable. La possibilité d’emprunter cette procédure de révision « simplifiée » s’explique par le fait que la modification de l’article 136 TFUE n’a ni pour objet ni pour effet d’accroître les compétences dévolues à l’Union par les traités. Juridiquement, ce texte de révision demeure un accord international et devra être soumis à ratification de chacun des Etats signataires.
Acte 2 : le Traité établissant le Mécanisme européen de stabilité (MES)

Le Mécanisme européen de stabilité (MES) est un dispositif de gestion des crises de la zone euro qui doit remplacer le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité financière en 2013. D’après le traité qui lui sert de support juridique, le MES sera une organisation de coopération intergouvernementale autonome de l’Union européenne, qui viendra en aide aux Etats de la zone euro en difficulté. Cette nouvelle institution financière internationale sera ouverte à l’adhésion des autres membres et sera dirigé par un Conseil de Gouverneurs. Chaque État désignera un Gouverneur et le Conseil sera soit présidé par le président de l’Eurogroupe, soit par un président élu séparément parmi les gouverneurs eux-mêmes. Le MES cohabitera jusqu’à l’été 2013 avec son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Selon les règles actuelles, l’enveloppe cumulée des deux fonds ne doit pas dépasser les 500 milliards d’euros. Cette question devrait néanmoins être à nouveau débattue lors du sommet européen des 1er et 2 mars. Le MES coopérera étroitement avec le FMI, afin de définir conjointement les programmes d’ajustement et coordonner les modalités d’assistance financière, dont la tarification et les échéances des prêts. En outre, l’intervention du MES s’accompagnera d’une participation du secteur privé.
Un accord de principe avait été trouvé par les ministres des Finances de la zone euro, dès le 11 juillet 2011. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont approuvé le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES) lors du Conseil européen du 30 janvier dernier. Le traité a été formellement signé le 2 février dernier. Il doit encore être ratifié par les 17 Etats membres signataires.

Acte 3 : le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

Ce traité « validé » par les chefs d’Etat et de gouvernement à l’occasion du Conseil européen du 30 janvier dernier est présenté comme une réponse juridique et politique à la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro. En réalité, il s’agit d’un texte négocié en quelques semaines sous la pression de l’Allemagne. En échange de la solidarité financière de son pays avec les Etats en difficulté de la zone euro, la chancelière Angela Merkel a obtenu le renforcement des mécanismes (nationaux et supranationaux) de contrôle de la discipline budgétaire des Etats signataires.
Ce traité consacre ainsi la doctrine de l’orthodoxie budgétaire en renforçant sur la portée et la valeur juridiques de la « règle d’or » de retour à l’équilibre des comptes publics. Ce « pacte budgétaire » complète en les durcissant encore les nouvelles dispositions de surveillance et les sanctions prévues par le Pacte de stabilité récemment réformées. Ainsi, l’article 3 prévoit-il que « les budgets des administrations publiques seront à l’équilibre ou en excédent ». Le déficit structurel annuel ne devra pas excéder 0,5 % du PIB nominal sur un cycle économique. En cas de dérapages, « un mécanisme de correction sera déclenché automatiquement », prévoit le texte. Ces règles ne pourront être contournées qu’en cas de « circonstances exceptionnelles » dûment détaillées.
Les projets de budgets nationaux seront validés au niveau européen au printemps de chaque année avant qu’ils ne soient présentés dans les Parlements nationaux (« semestre européen »). En pratique, des inspecteurs de la Commission pourront être dépêchés dans les pays récalcitrants, comme c’est déjà le cas en Grèce, au Portugal et en Irlande. De plus, un contrôle juridictionnel supranational est prévu pour vérifier le respect des engagements des Etats. La Cour de justice européenne pourra être saisie par un Etat membre, si celui-ci estime qu’un de ses partenaires n’a pas correctement transposé cette « règle d’or » dans sa Constitution. La Cour pourra sanctionner financièrement le contrevenant. Quant à l’objectif de l’équilibre budgétaire, aucun Etat ne pourra plus y échapper : les sanctions sont rendues quasi automatiques tout au long de la procédure en cas de dérapage ou de déficit supérieur à 3 % du PIB.
En outre, le traité institutionnalise les sommets de la zone euro, devenus indispensables pour assurer la continuité d’une coordination accrue des politiques économiques voire une convergence des économies.
L’autre grande partie du traité est consacrée à la gouvernance politique de la zone euro. « Les parties prendront les actions et les mesures nécessaires dans tous les domaines qui sont essentiels au bon fonctionnement de la zone euro », est-il écrit. Les objectifs étant l’amélioration de la compétitivité, la promotion de l’emploi et le renforcement de la stabilité financière. Deux mesures immédiates sont inscrites dans le traité : les Etats s’engagent à faire connaître à l’avance leurs émissions obligataires « dans le but d’une meilleure coordination » ; les gouvernements s’engagent à faire connaître à l’avance « toute réforme économique majeure » et, « si nécessaire, [à] se coordonner ». Pour mettre en oeuvre ces politiques, les Etats de la zone euro se réuniront « au moins deux fois par an ».
Ce traité pose problème sur le plan du contrôle démocratique. Le Parlement européen n’est pas compétent s’agissant du contrôle des politiques budgétaires relevant du domaine national et les parlements nationaux n’auront somme toute que fort peu de choses à opposer au « mécanisme automatique de correction » des écarts budgétaires prévu par le « Traité sur la stabilité ». Certes, l’article 13 du projet de « Traité sur la stabilité » prévoit bien que « le Parlement européen et les parlements nationaux des Parties Contractantes détermineront ensemble l’organisation et la promotion d’une conférence des représentants des commissions pertinentes des parlements nationaux et des représentants des commissions pertinentes du Parlement européen afin de discuter les politiques budgétaires et les autres questions couvertes par ce Traité. »Mais en dehors de débattre desdites politiques, quels seraient les pouvoirs de cette conférence sur les décisions intergouvernementales ou nationales prises en application du «Traité sur la stabilité »? Du reste, le Parlement européen a adopté, le 2 février, une résolution critiquant ce traité, en soulignant notamment son caractère inutile et la nécessité de prévoir des mesures en faveur de la croissance et de l’emploi.
Ces actes sont le fruit d’un compromis entre les intérêts nationaux et des logiques contradictoires. Ces différents accords tentent d’apporter des réponses juridiques et politiques à la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro. Toutefois, le sens du projet européen ne saurait se définir à l’aune du seul impératif de rigueur budgétaire. La solution à la crise existentielle de l’Europe se trouve ailleurs, notamment dans des mesures en faveur de la croissance et de l’emploi.
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