ANALYSES

Yémen: ‘Le départ de Saleh est une formidable porte de sortie politique’

Tribune
24 janvier 2012
Alors que le président Saleh s’est aménagé une « sortie » honorable, quelle lecture peut-on faire du règlement de la situation yéménite, entre satisfaction d’avoir trouvé une solution à la crise et colère du peuple yéménite qui voit son président bénéficier de gages exceptionnels ?

Comment percevoir ce départ autrement que comme une victoire à la Pyrrhus, si victoire il y a ? Après des semaines de tergiversations, le président Ali Abdallah Saleh a quitté le Yémen pour les Etats-Unis, en vue, selon la version officielle, de faire soigner les blessures causées par un attentat subi en mai 2011. Cependant, ce départ est surtout une formidable porte de sortie politique.
Ne voulant pas quitter le pays dans n’importe quelle condition, le président yéménite n’en reste pas moins prévoyant puisqu’il annonce son départ le lendemain du vote de la loi lui assurant l’immunité. Il ne pourra donc pas être porté en jugement, ce qui a immédiatement suscité quelques réactions populaires. Cette immunité lui permet surtout de partir la tête haute et surtout de laisser en place son vice-président qui sera le candidat unique aux futures élections présidentielles du 21 février 2012. Malgré cette image du départ, la réalité est marquée par une continuité politique dans l’équipe au pouvoir. Voir dans ce départ une rupture politique ou une évolution démocratique serait une funeste erreur, et il est clair que nous sommes ici dans la même lignée avec un vice-président désigné par Ali Abdallah Saleh lui-même. L’abandon du pouvoir par le président Saleh ne peut être analysé qu’en tendance sans qu’à ce jour on puisse considérer une modification radicale des rapports de force, même si évidemment le départ de Ali Abdallah Saleh est un paramètre important.
Pour ce qui est de la colère de peuple yéménite, je ne suis pas vraiment d’accord avec cette vision. Pour ma part, je ne vois protester qu’une partie de la population yéménite suite à ce départ et le rapport de force reste équilibré entre ceux qui manifestent et ceux qui soutiennent Ali Abdallah Saleh et sont donc déçus par cette nouvelle. Les choses ne sont pas en noir et blanc, ce qui explique que la situation ne se règle que partiellement et par une solution un peu bancale.

Qui peut venir après Saleh ? Comment s’organise la transition ?

Dans un premier temps, des élections présidentielles vont s’organiser avec un candidat unique, l’actuel vice-président.
Au passage, il faut rappeler que les Etats-Unis, qui accueillent Ali Abdallah Saleh, ont fait savoir que son visa n’était valable que jusqu’à la fin du mois de février. Il est donc envisageable que Saleh tente de revenir dans son pays en tant que président de son parti politique. Il n’a donc pas dit son dernier mot, et même si de nombreux observateurs l’appellent à se « réfugier » dans un pays voisin, je pense pour ma part qu’il ne l’acceptera pas.
Dans un deuxième temps, il y aura probablement la mise en place d’élections législatives. Au vu des rapports de forces actuels, il n’est pas évident du tout que les partisans d’Ali Abdallah Saleh soient minoritaires et essuient une défaite. Encore une fois, les élections resteront incertaines tant que le rapport de force restera équilibré.

Avec l’affaiblissement du pouvoir central, le « Yémen des tribus » se réveille. Faut-il craindre un éclatement communautaire ou du moins tribal ?

Je ne pense pas qu’il existe un réel risque d’éclatement du pays au sens littéral du terme mais il est vrai que la situation est très compliquée. Les tribus sont un élément constitutif de la réalité sociale au Yémen et sont partagées en deux blocs à peu près équivalents en termes de rapport de force. De ce point de vue-là, il est possible d’imaginer que ces tribus s’entendront sous la forme de compromis compliqués car personne n’a intérêt à adopter une logique jusqu’au-boutiste qui mènerait à l’éclatement.
Il y a cependant d’autres paramètres tout aussi inquiétants. La rébellion houthiste qui sévit au Nord du Yémen et qui avait été jugulée par le gouvernement Saleh, a repris ses actions à la faveur des troubles qui secouent le pays depuis quelques mois. Une partie de la zone nord du Yémen échappe désormais totalement au pouvoir central.
Enfin, le vide laissé à la tête du pouvoir depuis plusieurs mois a permis l’implantation et surtout le renforcement de groupes djihadistes se réclamant du mouvement Al-Qaïda, au Sud du Yémen. La ville de Zinjibar, sur la côte, est aux mains de ces groupes depuis déjà plusieurs mois. Pour l’instant, les troupes fidèles à Ali Abdallah Saleh n’ont pas réussi à reprendre cette ville.
Pour finir, le Yémen se retrouve dans une configuration de tribus opposées mais qui s’équilibrent tant bien que mal, avec une rébellion houthiste au Nord qui contrôle une partie du territoire, et des groupes djihadistes au Sud qui se renforcent. L’évolution du Yémen dans les six prochains mois est à suivre, mais il est impossible à ce jour de préjuger de la future situation du pays.