ANALYSES

L’analyse juridique de la crise la dette en Europe

Tribune
18 janvier 2012
L’auteur part d’un postulat : si la crise de la dette est de nature économique et financière, elle est également le résultat de choix juridiques. C’est en effet la combinaison de règles issues des traités – et donc décidées par les Etats membres – qui est à l’origine de cette crise : la libre circulation des capitaux entre les Etats membres, étendue aux capitaux venant d’Etats tiers ; la libre prestation des services financiers et le libre établissement des sociétés de crédit européennes (les règles relatives à la libre concurrence étant applicables au secteur financier) ; enfin, il est interdit de recourir aux banques centrales – y compris la BCE – pour le financement de la dette. Or, la rédaction de l’article 123 vise moins la technique de la « monétisation de la dette », que la prohibition de toute forme de facilité financière accordée par la BCE aux Etats (notamment l’achat « direct » par la BCE des obligations émises par les Etats). C’est la force de la crise/des faits qui a conduit à interpréter ce texte comme permettant à la BCE d’acheter la dette sur le « marché secondaire ». Partant, la BCE prête aux banques privées à un taux proche de zéro, ces dernières utilisant cet argent pour prêter aux Etats à un taux plus élevé. Puis, la BCE rachète à ces banques privées les obligations étatiques assorties de cet intérêt. En pratique, comme le souligne Carlo Santulli « le résultat est que la BCE finit par payer des intérêts aux banques privées qui empruntent chez elle ». Ce mécanisme pour le moins incohérent conduit « à préférer, et dans plusieurs cas à substituer, une dette vis-à-vis des établissements de crédit étrangers à une dette vis-à-vis de la banque centrale nationale » (et donc vis-à-vis de ses propres citoyens).
Ce système « intenable » est le fruit du choix en faveur d’un régime juridique inadapté, et de la nécessité de le contourner. Pour sortir de ce cercle vicieux, l’auteur propose trois voies de sortie de crise. La première consiste à modifier le rôle de la BCE à travers la révision des traités afin d’expliciter la fonction qu’elle exerce de facto . Toutefois, le temps exigé par une telle procédure de révision ne répond pas à l’urgence de la situation. La seconde voie repose sur une « entente institutionnelle » pour admettre que, face aux dangers que la crise de la dette fait peser sur la stabilité de la « zone Euro », l’objectif de maintien de la stabilité des prix dont l’interdiction de la monétisation de la dette est le pendant, doit céder devant l’objectif principal, qui est la réalisation de l’union économique et monétaire. Suivant cette lecture finaliste des traités, il est possible de ne pas réviser les traités et d’admettre en Conseil européen la « monétisation de la dette » à titre exceptionnel. Enfin, l’auteur opte pour une troisième solution plus originale : « que des établissements de crédit public appartenant à l’Etat empruntent à la Banque centrale européenne au titre du paragraphe 2 de l’article 123. L’établissement de crédit public prêtera ensuite à l’Etat ». Une telle technique juridique – basée sur le truchement des établissements publics de crédit – se distingue nettement de la technique appliquée actuellement : « là où le rachat sur le « marché secondaire » revient à utiliser la BCE pour garantir le profit privé de la spéculation (dans le but, non atteint, de faire baisser les taux), l’utilisation des banques publiques revient à faire revenir dans le budget de l’Etat le profit de la spéculation (et, du coup, à la décourager) ». Si l’on peut critiquer une telle technique au regard de l’« esprit du Traité », elle n’en respecte pas moins la lettre.
Au regard de ce qui vient d’être décrit, le cas du Japon offre selon l’auteur une sorte de contre-modèle. Paradoxalement, bien que frappé par une crise économique et financière, aggravée par des cataclysmes naturels (et industriels), avec une dette publique de plus de 200% de son PIB, le Japon n’est pas (encore) concerné par la crise de la dette publique. Il emprunte à des taux très faible. Au lieu d’adopter des mesures d’austérité, le Japon procède à une « rallonge budgétaire » pour « relancer l’économie » ; et la valeur de la monnaie nipponne ne cesse de se renforcer. C’est que « la prétendue réalité économique de la crise de la dette n’a rien d’économique et financier ». Autrement dit, le Japon a fait des choix juridiques différents des Etats membres de la zone euro !
(1)« Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques ? », Le Monde , 2 janvier 2011.
(2) C. Santulli, « L’Euro : analyse juridique de la crise de la dette », Revue Générale de Droit International Public , Pédone, 2011, Vol. 4, p. 834 et s.

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