ANALYSES

La crise financière : entre la faiblesse des politiques et les forces du marché

Tribune
21 novembre 2011
Au-delà des signes des marchés financiers, l’analyse de la crise doit prendre en compte : (1) ses origines lointaines liées aux dérèglementations à outrance, à la disjonction entre la finance et l’économie productive. L’imprudence des banques puis l’impudence de leurs profits et de la rémunération des traders a aujourd’hui décrédibilisé la majorité des grandes banques. La réponse à la crise de 2008 a accéléré dans les pays de l’OCDE une explosion de la dette publique ; (2) la mondialisation du capitalisme productif et financier et la disjonction entre les pouvoirs économiques largement mondialisés et les pouvoirs politiques largement nationaux et caractérisés par des conflits d’intérêts de puissance ; (3) le déplacement des centres de gravité vers les pays émergents plutôt bénéficiaires de cette crise et pouvant, moyennant contreparties, apparaître comme des sauveurs. L’histoire du monde est en train de s’écrire non plus par le seul Occident, et le découplage relatif Nord/Sud s’accompagne d’un couple Sud/Sud.

La crise actuelle de 2008-2011 s’insère dans la mondialisation mais touche les Etats-Unis et l’Europe. Elle est systémique, avec effets de dominos, globale avec interdépendance asymétriques entre économies nationales et pluridimensionnelle (monétaire, financière, économique, sociale, et environnementale).

Quelles pistes permettraient de redonner force au politique ?
Face à ce risque de tsunami, les politiques devraient différencier clairement les temporalités. L’urgence est évidemment que les effets domino d’une crise systémique soient enrayés par des mesures politiques crédibles. Mais la question de la dette comme celle de la gestion des retraites ou des flux scolaires suppose un contrat intergénérationnel.

La réponse pour les pays de l’OCDE, et notamment la France, n’est pas la démondialisation illusoire et très coûteuse ; 1/4 des travailleurs français travaillent pour l’exportation, les économies européennes sont fortement intégrées économiquement et les territoires nationaux sont insérés dans des chaînes de valeur mondiales. Mais elle est la régulation du capitalisme financier, la fiscalisation mondiale des firmes mondialisées, les taxations à taux faibles sur les transactions financières et la protection de certains secteurs et territoires menacés. Il s’agit de se repositionner dans les chaînes de valeur mondiale, non dans une attitude de repli mais de compétition/coopération avec les nouveaux partenaires.

La question n’est pas la sortie de l’euro qui serait suicidaire économiquement et financièrement et difficile d’un point de vue technique et juridique. Elle est dans la mise en place d’un pacte européen de sauvetage et de solidarité, expliqué aux opinions publiques et crédible auprès des marchés pour à la fois maintenir la demande globale évitant la récession, et restaurer la confiance. Elle suppose des contreparties pour les pays « vertueux ». L’avancée du Fonds européen de stabilité financière n’est pas à la hauteur des défis financiers. L’Europe, perçue comme lointaine, technocratique, ne fait plus rêver. Elle doit relancer des projets dans la recherche, les énergies nouvelles, la culture notamment, en lançant un grand emprunt. Un fédéralisme budgétaire européen fondé sur une base démocratique en phase avec la politique de la BCE doit être l’objectif à terme. La question n’est pas la décroissance, source de chômage généralisé, mais des valeurs ajoutées fondées sur des activités innovantes, réductrices des inégalités, créatrices d’emplois et respectueuses de l’environnement. Le secteur non marchand peut également jouer un rôle croissant. La taxe carbone appliquée également aux produits nationaux et étrangers apporterait un double dividende fiscal et environnemental sans créer de distorsions au niveau international.
La question fondamentale demeure plus que jamais la réduction des inégalités infra nationale et internationale ainsi que la refondation d’un pacte républicain créant du lien à différentes échelles et qui s’oppose au nationalisme prônant le rejet de l’autre. Les projets mobilisateurs doivent s’attaquer aux peurs et au pessimisme face à l’avenir. La hiérarchie préconisée par les grands économistes (y compris Keynes) est celle des valeurs, de la politique et enfin de l’économie. Plus de morale chez les gouvernants coïncidera aussi avec plus de moral pour les gouvernés.

*Philipe Hugon est co-auteur de Les nouvelles régulations de l’économie mondiale avec Ch. A Michalet, Paris, Karthala 2005.