ANALYSES

Nouvelle étape pour la révolution syrienne ?

Tribune
14 novembre 2011
Par Wassim NASR, Veilleur analyste Proche/Moyen-Orient, diplômé d’IRIS Sup’
De son côté, l’opposition demeure désunie et en deçà des attentes des manifestants, tout comme plusieurs évènements le démontrent, à l’image de la foule qui a empêché les représentants « historiques » de l’opposition syrienne, comme Michel Kilo, d’atteindre les locaux de la Ligue arabe au Caire, aux accusations qui fusent de part et d’autre, ou encore à la tension entre Bourhan Ghalyoun, à la tête du Conseil, et Bassma Koudmani, porte-parole de ce même Conseil (qui bénéficierait du soutien de la France et de la branche islamique de l’opposition). Abdel Halim Khadam, figure du régime baathiste et ancien vice-président de Bachar el-Assad (à qui il était jusqu’alors interdit de s’exprimer depuis la France), a fait sa première conférence de presse depuis Paris le 5 novembre. Rifaat el Assad, frère du défunt président Assad, qui fut l’organisateur opérationnel de la répression des Frères Musulmans à Hama en 1982 avant de s’exiler, a organisé à son tour une conférence de presse dans la capitale française. Il y a annoncé la création du « Front pour Unir l’Opposition Syrienne », qui pourrait constituer une porte de sortie pour la communauté alaouite.

D’une certaine manière, on perçoit une évolution dans la position française vers plus d’implication dans le dossier syrien, à travers une « ouverture » à toutes les composantes de l’opposition syrienne.
Trois courants principaux peuvent être distingués dans cette opposition : certains réclament une intervention étrangère, tandis que d’autres préconisent un changement de régime sans intervention internationale et que les derniers penchent pour opérer des réformes du régime depuis l’intérieur. La formation du Conseil National Syrien (CNS) n’a pas permis de réduire les antagonismes entre ces différents groupes, qui plus est entre les manifestants, opposants historiques, expatriés et combattants armés.

Début d’une résistance armée et organisée ?

Les dernières attaques contre l’armée loyaliste ont été ouvertement revendiquées par l’Armée Syrienne Libre, formée en juillet dernier. Une revendication étouffée par les autorités de Damas, qui tentent de minimiser l’impact des frictions au sein des forces armées et continuent de qualifier les assaillants de « groupes terroristes ».
Le Colonel Riyad el Assaad et ses hommes seraient réfugiés en Turquie, « pour des raisons humanitaires » , selon la version officielle d’Ankara. Néanmoins, Assaad est constamment sous la protection directe d’un contingent de dix militaires turcs et ne peut s’exprimer officiellement que par le biais du ministère des Affaires étrangères turc.
Ce gradé, qui a rejoint la Turquie suite à la répression sanglante qui a touché son village natal de Bdita, et causé le mort de plusieurs membres de sa famille, dit avoir plus de quinze milles combattants sous ses ordres, répartis en dix-huit bataillons et en plusieurs cellules secrètes. Le colonel syrien assure être en contact opérationnel avec tous les chefs de bataillons sur le terrain et endosse la responsabilité pour toutes les attaques, passées et en cours, contre l’armée loyaliste ; et cela malgré l’avis de plusieurs spécialistes en la matière qui décrivent des opérations non organisées et non coordonnées.

La Turquie affirme ne pas fournir d’armes à ce groupe, mais le Colonel ne cache pas ses intentions d’en acquérir. Néanmoins, il nie tout lien avec l’opposition et appelle la communauté internationale à l’aider dans sa quête « pour la protection du peuple syrien » , en affirmant notamment sa capacité à faire chuter le régime et sa volonté de « transformer la révolution syrienne en une insurrection militaire » .

D’où proviennent les armes ?

Paradoxalement, les trafiquants qui se sont afférés dans la contrebande, en particulier vers le Liban et l’Irak, des dizaines d’années durant et maintes fois au service du régime baathiste, sont les mêmes qui approvisionnent aujourd’hui les révolutionnaires en matériel de communication ainsi qu’en armes. Ces groupes, qui opèrent souvent par famille ou par clan, favorisent désormais le trafic d’armes (kalachnikov, pistolet, grenade, fusils de chasse, etc.), cette activité étant tout simplement devenue plus lucrative. La motivation de ces groupes n’est pas « politique » : beaucoup seraient simplement motivés par la « vengeance », compte-tenu des rapports historiques qu’ils entretiennent avec les autorités syriennes. Il faut tout de même se souvenir que les affrontements qui ont eu lieu au début de la contestation, et que les médias ont hâtivement qualifiés de combats entre armée syrienne et groupes dissidents, se tenaient en fait entre trafiquants et Haganah (gardes-frontières syriens) à la frontière libanaise.
Le trafic y est florissant, mais les acheteurs ne sont pas exclusivement des opposants au régime. Les Alaouites et les Chrétiens, qui jusqu’alors soutiennent Assad et appréhendent un changement de régime, en font désormais partie, tant ils craignent de voir se dessiner les prémices d’un nouvel Irak. Cette nouvelle demande augmente considérablement les prix sur le marché noir. À titre d’exemple, une kalachnikov dont le prix variait entre 300 et 800 dollars est désormais vendue 1500 dollars.
La frontière de 330 kilomètres entre la Syrie et le Liban est très difficilement contrôlable. On compte plus de 50 passages illégaux « connus » entre les deux pays et autant de passages inconnus par les autorités, malgré les efforts des autorités libanaises, qui poursuivent leur coopération avec Damas, et ce bien que les incursions syriennes en territoire libanais et le minage de quelques parcelles côté syrien perdurent.

D’un autre côté, plus à l’Est, la prise de position irakienne début octobre a bénéficié d’une très faible couverture médiatique. Pourtant, le gouvernement irakien a manifesté officiellement et à plusieurs reprises son soutien au régime syrien, des forces ont été déployées à la frontière entre les deux pays et les trafiquants poursuivis jusqu’en territoire syrien dans la région frontalière du Bou-Kamal. Pour comprendre cela, il faut garder en mémoire les liens historiques qui unissent l’actuel pouvoir à Bagdad et le régime syrien, qui a donné refuge à beaucoup de ses hommes, persécutés par Saddam Hussein. À titre d’exemple, Jalal Talbani voyageait avec un passeport diplomatique syrien avant de devenir le premier président kurde de la République irakienne. Néanmoins, les tribus sunnites vivant des deux côtés de la frontière soutiennent les opposants syriens et la délégation irakienne au Caire a voté contre le régime d’Assad.

Le rôle décisif de la Turquie

Le dernier discours du Premier ministre turc Recep Tayeb Erdogan est sans ambiguïté : il assure que le « peuple syrien arrivera à ses fins » tout en qualifiant les morts parmi les opposants de « martyrs » .
Ankara « permet » de fait aux « déserteurs » syriens d’organiser des opérations et de se replier dans des camps protégés par son armée. Sans oublier son hébergement de l’opposition syrienne et son rôle dans la formation du Conseil National syrien, l’équivalent du Conseil de National de Transition libyen, qui a tenu son premier congrès à Istanbul.
Avec la répression qui continue, la demande populaire d’une zone d’exclusion aérienne (à l’instar du dispositif mis en place en Libye) est de plus en plus claire et pressante ; le dernier appel populaire de Homs en atteste. Les militaires qui ont rejoint l’Armée Syrienne Libre tentent effectivement de créer un noyau de résistance au nord-ouest du pays, dans des zones montagneuses frontalières de la Turquie, à Jisr-el-Choughour et Djebel-el-Zaouia. Un stratagème évoqué par le régime il y a sept mois pour justifier sa première campagne militaire d’envergure qui frappa ces régions.

Dans un dernier rebondissement à ce sujet, Ammar Kourabi, dirigeant de l’Organisation Nationale des Droits de l’Homme, a annoncé qu’une zone de sécurité tampon à la frontière turco-syrienne serait discutée à l’occasion de la prochaine réunion des ministres arabes des Affaires étrangères à Rabat. Toujours selon Kourabi, le ministre des Affaires étrangères turc Ahmet Davutoğlu devrait y être convié. Les Turcs souhaiteraient que cette zone s’étende jusqu’à 5 kilomètres en profondeur du territoire syrien, tandis qu’une partie de l’opposition souhaiterait qu’elle aille jusqu’à 30 kilomètres, afin qu’elle puisse englober la ville de Jisr-el-Choughour, qui pourrait jouer un rôle équivalent à celui de Benghazi en Libye.
La fin des opérations turques au Kurdistan irakien pourrait accélérer et augmenter l’implication d’Ankara dans le dossier syrien. Assad est privé d’une capacité de nuisance non négligeable, de par les liens historiques entre les services syriens et le PKK, instrumentalisé du temps d’Assad père, à l’heure du conflit avec la Turquie. Mais le poids de la coopération irano-turque dans le combat contre le PKK et son équivalent iranien le PKJ, limite considérablement la marge de manœuvre de Damas dans son usage de la carte kurde.

Les dernières déclarations de Moscou, de Pékin et même de Téhéran, qui viennent s’ajouter au vote sans équivoque de dix-huit pays de la Ligue arabe contre le régime baathiste (à l’exception du Yémen et du Liban qui ont voté contre cette décision, et de l’Irak qui s’est abstenu), accentuent l’isolement de Damas. Les foules qui attaquent les ambassades démontrent que le régime est à court d’options. D’un autre côté, l’implosion de la société syrienne paraît de plus en plus inévitable, occultant de jour en jour la volonté pieuse d’une révolution pacifique dans un Levant qui baigne dans le sang… depuis des siècles.

http://www.thedailybeast.com/articles/2011/10/28/syrian-army-defector-only-armed-uprising-will-topple-dictator-assad.html

http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/8857898/Assad-challenge-Syria-at-your-peril.html

http://www.nytimes.com/2011/10/28/world/europe/turkey-is-sheltering-antigovernment-syrian-militia.html?pagewanted=2&_r=2&ref=middleeast
http://www.aljazeera.net/NR/exeres/5D6812E2-A76D-4094-8D38-EE63D320F3E8.htm

http://www.hurriyetdailynews.com/n.php?n=the-associated-press-2011-11-01

http://www.bbc.co.uk/arabic/middleeast/2011/10/111016_syria_weapons_smuggling.shtml

http://www.akhbarboom.com/2011/11/%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%B9%D8%A7%D8%B1%D8%B6%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%B3%D9%88%D8%B1%D9%8A%D9%91%D8%A9-3-%D8%AA%D9%8A%D8%A7%D8%B1%D8%A7%D8%AA-%D8%A8%D8%B9%D9%8A%D8%AF%D8%A9-%D8%B9%D9%86-%D8%A7%D9%84%D8%B4/

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