ANALYSES

Abbas souhaite-t-il aller jusqu’au bout de sa démarche ?

Tribune
3 octobre 2011
Par Morgan Vasner, assistant de recherche à l’IRIS
Cela était prévisible. A tel point que l’on peut se demander si Mahmoud Abbas n’avait pas une autre idée en tête que de se précipiter dès le départ dans cette entreprise qui s’annonçait comme un échec, puisqu’en dernier recours Barack Obama y opposerait son veto, seulement dans le cas où il n’aurait pas réussi auparavant à obtenir une majorité au Conseil de sécurité, et si l’arsenal de sanctions financières brandi par le Congrès américain n’aurait pas réussi à faire renoncer les diplomates palestiniens. Mahmoud Abbas a-t-il lancé cette initiative en désespoir de cause ? Ou a-t-il une stratégie plus complexe, qui n’aurait pas pour véritable objectif de déboucher sur la reconnaissance d’un État palestinien à l’ONU ?

Nous le croyons. Mahmoud Abbas est un politicien réaliste qui sait parfaitement ce qu’il peut obtenir des Américains, et ce que ces derniers ne peuvent pas lui donner. Il demande pourtant l’impossible à Obama : rien de moins qu’une douloureuse brouille avec Israël, et un sérieux obstacle à sa réélection. Si elle semble vouée à l’échec, la démarche du chef de l’Autorité palestinienne est en fait loin d’être saugrenue. Car elle place les États-Unis dans une position délicate : ceux-ci ne peuvent accéder à sa demande pour les raisons évoquées ci-dessus, mais devant l’importante adhésion de la communauté internationale à cette résolution, et parce que les observateurs y compris à Washington, savent bien que le gouvernement Netanyahu est perçu comme largement responsable de l’impasse des négociations (et continue une politique qui n’encourage pas la reprise des discussions, comme l’a montré l’accord récent donné à un projet de construction de 1100 logements à Jérusalem-Est), ils ne peuvent rester indifférents à la demande de Mahmoud Abbas, faute de perdre toute crédibilité auprès des populations arabes et dans le reste du monde, et de se voir finalement dépossédés du monopole qu’ils ont obtenu dans les années 70, sur le processus des négociations de paix entre Israël et les populations arabes voisines.

A travers sa demande, le chef de l’Autorité palestinienne cherche avant tout à faire bouger les lignes, à sortir de l’impasse et à consolider sa position auprès des Palestiniens, en demandant plus que ce qu’il pense pouvoir obtenir, pour ne pas repartir les mains vides. Et nous croyons qu’il se contentera d’une issue moins ambitieuse que celle qu’il a réclamée aux Nations Unies. Sinon pour quelle raison, à propos de la proposition du président français faite à l’Assemblée générale, qu’Israël a fermement rejetée, et qu’Obama n’a pas commenté, l’Autorité palestinienne aurait-elle en revanche déclaré l’« étudier de manière positive »(1) ? Cette initiative est pourtant bien loin du résultat escompté par la résolution palestinienne. Pourquoi le négociateur palestinien Nabil Chaas aurait-il également déclaré : « Nous allons donner du temps au Conseil de sécurité pour étudier dans un premier temps notre demande d’adhésion de plein droit avant de solliciter l’Assemblée générale(2) », si ce n’est pour signifier en langage diplomatique, que les Palestiniens préfèrent laisser du temps aux Américains pour qu’ils trouvent une porte de sortie qui soit acceptable pour tout le monde ?

Des options sont possibles, qui permettraient d’une part à la Cisjordanie d’obtenir un statut moins important que proposé dans la résolution, mais meilleur que celui dont elle jouit actuellement, et d’autre part aux Américains d’obtenir le refus de la résolution par un vote négatif à la majorité au Conseil de sécurité (et non par un veto qui constituerait un véritable aveu de faiblesse de la diplomatie américaine), tout en gardant la main sur le processus de négociations, et sans qu’Obama compromette trop sérieusement sa réélection.

De son côté Israël serait bien entendu le grand perdant d’un tel arrangement, car son opposition totale à la démarche palestinienne aura été vaine, et c’est d’ailleurs peut-être l’objectif principal de Mahmoud Abbas. Pourtant lorsque l’on regarde les options qui s’offrent à Tel-Aviv, outre un refus au Conseil de sécurité, a fortiori par un veto, qui marginaliserait encore plus Israël et son allié américain, l’option qui propose un statut d’observateur pour la Palestine semble être un moindre mal par rapport à celle envisagée dans la résolution palestinienne. Une telle proposition est inacceptable pour Tel-Aviv pas tant pour le fond qu’elle contient, que par la forme qu’elle adopte puisqu’elle résulte d’une démarche unilatérale qui laisse les Israéliens sur la touche, et place l’Autorité palestinienne en face à face avec les États-Unis avec derrière elle une bonne partie de la communauté internationale. En ce sens, les Israéliens l’ont compris en accueillant favorablement la proposition du Quartet. Mais ce plan qui propose la reprise des négociations sans conditions préalables (et donc sans gel de la colonisation), ne sera pas accepté par le chef de l’Autorité palestinienne qui ne peut désormais rentrer en Palestine avec seulement des promesses.

S’il parvient à ses fins Mahmoud Abbas aura démontré aux Palestiniens d’une part, que la négociation est une voie qui fonctionne même si elle est lente et ardue, qu’il est l’homme qui peut la conduire, et au gouvernement israélien d’autre part, que si les négociations bilatérales qu’il prône continuent de se heurter à une impasse, ou d’être soumises à des conditions inacceptables, l’Autorité palestinienne peut obtenir de manière unilatérale (en fait multilatérale) des avancées sensibles, sans passer par Israël en s’adressant directement aux États-Unis et à la communauté internationale.

(1) http://www.ladepeche.fr/article/2011/09/21/1172591-les-palestiniens-etudient-de-facon-positive-les-idees-de-sarkozy.html
(2) http://www.20minutes.fr/ledirect/792050/palestiniens-prets-laisser-temps-conseil-securite

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