ANALYSES

« Sortir du nucléaire, ce n’est pas un dogme, c’est un choix de raison ».

Tribune
16 septembre 2011
Entretien avec Opale Crivello, porte-parole du Réseau « Sortir du nucléaire »
L’Allemagne vient de décider de sortir du nucléaire à l’horizon 2022, et devrait remplacer l’énergie atomique par des énergies considérées comme polluantes, telles le charbon ; cela signifie-t-il qu’aucune alternative écologiquement viable ne soit possible à si grande échelle ?
Il y aurait deux remarques à faire sur ce point.
Premièrement, l’énergie nucléaire ne va pas être remplacée par le charbon. Aujourd’hui, l’énergie provient principalement du charbon : le nucléaire a vocation à être remplacé par le renouvelable, mais aussi, à moindre échelle, par le gaz. Les Allemands ont enclenché, il y a de cela une dizaine d’années, une politique très volontaire en matière d’énergies renouvelables : à titre d’exemple, il faut savoir que l’Agence des énergies renouvelables allemande pronostique 40% d’électricité renouvelable d’ici 2020. L’Allemagne montre bien son intense volonté de se débarrasser peu à peu des hydrocarbures, comme le gaz ou le charbon. Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur le rapport entre CO2 et nucléaire. Souvent, les partisans du nucléaire opposent aux partisans des énergies renouvelables que le nucléaire est la seule alternative viable pour combattre les émissions de CO2. Nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette affirmation. Les derniers chiffres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent que si l’on voulait répondre aux exigences de réduction de CO2 telles qu’elles ont été définis par les organismes internationaux, il faudrait construire des milliers de nouveaux réacteurs au niveau mondial pour qu’un résultat soit notable. Or, on sait très bien que c’est physiquement et technologiquement impossible : physiquement par manque de place, technologiquement car il est impossible de construire autant de centrales dans le temps nécessaire pour combattre le dérèglement climatique. Cela signifierait en outre qu’il faudrait que certains pays, qui n’en ont pas les capacités – humaines, techniques, physiques, financières – puissent exploiter l’énergie nucléaire. Enfin, cela serait une véritable catastrophe sur le plan de la sûreté : les risques de catastrophes s’étendraient à 50, 60 pays voire davantage, au lieu de 30 aujourd’hui. Les zones de troubles potentiels se répartiraient par milliers dans le monde et de nouveaux objectifs d’attaques militaires et terroristes apparaîtraient dans les régions en crise (1). Les problèmes de stockage définitif et de prolifération incontrôlée d’armes nucléaires dans toutes les régions du monde, prendrait une nouvelle ampleur. Sans oublier qu’en raison de la pénurie d’uranium qui s’ensuivrait, les réacteurs à eau légère communément utilisés aujourd’hui, devraient très vite être remplacés par une industrie au plutonium encore plus risquée et plus sensible, avec du « retraitement » et des surgénérateurs rapides. Pour finir, cette extension de l’infrastructure nucléaire exigerait des moyens financiers très conséquents qui, autrement, pourraient être employés pour bien d’autres projets. Rien que pour l’Allemagne, ce serait un parc de 60 à 80 nouvelles centrales qui seraient nécessaires pour aboutir aux décisions de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, alors qu’en début 2010, 17 centrales nucléaires étaient exploitées. L’affirmation répétée selon laquelle il existerait un conflit d’objectif entre une protection climatique efficace et le renoncement simultané à l’énergie nucléaire, est une invention du lobby pro-nucléaire basée sur ses propres intérêts. Il n’est donc absolument pas question de choisir entre la peste et le choléra. Quand on voit qu’en juillet dernier, l’Allemagne a confirmé sa volonté de réduire de 40% ses émissions de CO2 d’ici à 2020, alors que la France n’est pas capable d’accepter d’en réduire 30%, on peut se demander justement pourquoi elle ne le fait pas si le nucléaire devait être une ultime réponse aux émissions de CO2. Les organisations qui militent pour le climat, par exemple le Réseau Action Climat (RAC) en France ou le Climate Allianz en Allemagne, prônent toutes une sortie du nucléaire. Ce n’est donc pas anodin : cela signifie qu’elles-mêmes, qui militent principalement pour le climat, considèrent que le nucléaire n’est absolument pas une solution écologiquement viable. Au contraire, notre fédération d’associations pense que ce sont justement les énergies renouvelables qui vont permettre de réduire ces émissions de CO2. Bien sûr, il faudra veiller à mettre en place une politique de chasse aux gaspillages et de sobriété énergétique – ce qui ne veut pas dire « revenir à la bougie », comme se plaisent à l’affirmer nos détracteurs : sinon la première économie européenne n’aurait jamais fait le choix de sortir du nucléaire. – Mais, quoiqu’il en soit, le vieux fantasme qui voudrait que le défi climatique ne puisse être relevé que par le nucléaire est complètement incohérent et inepte.

Le nucléaire ne représente toutefois qu’un quart de la production d’électricité de l’Allemagne contre environ 75% pour la France : ce même objectif est-il réalisable dans l’hexagone ? Pourquoi la France ne suit-elle pas cette même voie que ses voisins allemands, autrichiens, belges, italiens et suisses qui ont renoncé au nucléaire civil ?
Une réduction semblable à celle de l’Allemagne est tout à fait réalisable sur le plan technique, mais en tant qu’étape évidemment, pas en tant que finalité : cet objectif d’un quart d’électricité nucléaire fait partie des scenarii de sortie du nucléaire. Cet objectif est très facilement réalisable : une étude d’un cabinet de consulting Enertech, indiquait que jusqu’à 40% d’économie d’électricité pouvait être réalisée en supprimant tout ce qui fonctionne inutilement à l’échelle d’un bâtiment, le soir, le week-end, etc. Par ailleurs, une partie de la surproduction énergétique est exportée à bas coût et rapporte très peu à la France : nous n’avons pas forcément besoin de cette production-là.

La France ne suit pas cette voie pour des raisons politiques et historiques. La décision de rentrer dans une politique du « tout nucléaire » remonte à la fin de la deuxième guerre mondiale avec le Général de Gaulle. Il est important d’être conscient du lien permanent entre le nucléaire civil et militaire. Si l’on observe l’Allemagne, qui n’a pas le droit de posséder l’arme nucléaire (alors que la France a une force de dissuasion nucléaire très importante), on se rend facilement compte que la décision de sortir du nucléaire a été rendue possible par le fait que le nucléaire n’est absolument pas un enjeu pour le pays. A contrario, en France, il est de taille, d’où les divergences sur la question entre les deux pays Européens.

La deuxième chose à savoir est que depuis 50 ans, le nucléaire en France est quasi religion d’État. On forme une minorité d’élites en France (des énarques, des ingénieurs des Mines, des Polytechniciens…), qui va décider à l’unisson de l’avenir énergétique de la France en petit comité, donc sans appeler de débat démocratique, tout en se répartissant les rôles. Car l’énergie nucléaire implique forcément un état fort, avec une industrie puissante, à l’image d’EDF ou d’Areva. La meilleure illustration est le coup involontaire qu’a porté Thatcher à l’industrie nucléaire, en libéralisant l’économie et en demandant aux opérateurs de s’auto-financer. A l’inverse, les renouvelables induisent forcément une idée de grande flexibilité, de décentralisation et de production locale. Les énergies renouvelables permettent d’économiser l’énergie, en ne produisant que ce dont nous avons réellement besoin, et d’économiser les transports d’électricité sur de longues distances, qui engendrent beaucoup de pertes.

Historiquement, la France a toujours eu la volonté farouche de mettre tous ses œufs dans le même panier en matière d’énergie : aujourd’hui, la France ne sait plus quoi faire de ses vieilles centrales nucléaires, ni comment les démanteler. Surtout, ces installations ont nécessité des investissements tellement conséquents que l’Etat et les opérateurs souhaitent les rentabiliser « à tout prix ». Sur ce dernier point, on voit qu’aujourd’hui les centrales ne sont plus rentabilisées à trente ou à quarante ans dans les comptes d’EDF, mais à soixante ans, comme aux États-Unis : on peut se demander jusqu’où va aller l’exploitation des centrales.

Enfin, il faut garder en mémoire qu’EDF et Areva sont toutes deux détenues à près de 90% par l’État. Nucléaire, politique et régime centralisateur sont intrinsèquement liés, et du coup, il est très difficile de se remettre en question et de revenir sur cinquante ans de politique énergétique et stratégique.

La France est le deuxième producteur d’énergie nucléaire au monde et le premier en Europe et approvisionne de nombreux pays ; la fermeture des centrales ne serait-elle pas une grosse perte financière pour le pays ? Le nucléaire assure-t-il l’indépendance énergétique et l’emploi ? Représente-t-il un avantage pour l’économie ?
Pour répondre à la première question : non, tout simplement parce que le nucléaire nous coûte plus qu’il ne nous rapporte. Un exemple tout simple : le chantier de construction de l’EPR à Olkiluoto, en Finlande. L’accumulation du retard a fait doubler le coût du chantier. Dans ce cas de figure, c’est l’Etat français – et donc ses contribuables – qui assume le surcoût et les pénalités de retard en cas de non-respect des engagements. A l’époque où l’on a commencé à parler de prolonger la durée de vie des centrales, Monsieur Proglio, le PDG d’EDF, avait déclaré que si l’on souhaitait prolonger chaque réacteur de dix ans, cela nécessiterait un investissement de 600 millions d’euros par réacteur. Certains experts disent que ce chiffre est sous-estimé, mais cette somme laisse tout de même rêveur. Entre ces coûts « assumés » et tous les coûts cachés de gestion des déchets, de démantèlement des centrales, qui ne sont toujours pas provisionnés, on réalise que la production du nucléaire n’est pas rentable. Le nucléaire est donc, bien au contraire, un gouffre financier et un handicap certain pour l’économie française et le développement d’énergies alternatives et renouvelables.

La question de l’emploi dans le secteur du nucléaire est effectivement non négligeable. Toutefois, la majorité des emplois dans le nucléaire ne sont pas des emplois de fonctionnaires d’EDF, mais de sous-traitance, avec les conditions de travail pour le moins médiocres. Elles ont d’ailleurs fait l’objet de nombreux reportages et documentaires, et ont récemment été mises en lumière, notamment par l’émission de Capital sur M6 (diffusé le 19 juin 2011) à laquelle Monsieur Besson avait été convié et qu’il a quitté avec fracas. Les travailleurs du nucléaire exercent leur métier dans des conditions précaires, dangereuses, sont exposés à des seuils de radioactivités intolérables et ne sont pas reconnus par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) comme des travailleurs exposés, contrairement au personnel d’EDF. Ainsi, les sous-traitants du nucléaire, qui reçoivent la majorité des doses de radioactivité lors des opérations de maintenance des centrales, ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de maladie professionnelle du secteur.

Des opportunités de reconversion variées s’offrent à cette branche d’activité : si EDF décide de mettre en place une politique volontariste au niveau des énergies renouvelables, ce sera une manne d’emplois formidable pour la France. L’Allemagne a ainsi créé en moins de dix ans plus de 370 000 emplois dans le secteur du renouvelable uniquement : ce sont des emplois qui sont non seulement qualifiés, mais aussi pérennes, décentralisés et non délocalisables. De nombreux emplois seraient à créer dans tout ce que l’on ne maîtrise pas encore, comme le démantèlement des centrales. C’est une question sur laquelle on ne se penche pas, alors qu’elle va devenir incontournable, que l’on veuille ou non sortir du nucléaire. Et il va bien falloir par ailleurs, à un moment ou à un autre, s’occuper des déchets qui sont en train de s’amonceler. Les moyens de convertir les emplois ne manquent donc pas, d’autant qu’ils pourraient s’avérer bien plus satisfaisants que ceux actuellement présents dans le nucléaire.

Quant au sujet de l’indépendance énergétique de la France, précisons que la dernière mine d’uranium en France a fermé en 2001. On importe donc aujourd’hui 100% de notre uranium. Cette simple déclaration devrait suffire : comment peut-on dire que nous sommes indépendants énergétiquement alors que nous sommes dépendants à 100% des pays qui veulent bien nous fournir (Niger, Kazakhstan, Australie, Canada, etc.) ? La vraie indépendance énergétique passerait par les énergies renouvelables : personne ne peut s’accaparer le vent, personne ne peut s’accaparer le soleil, et nous avons un potentiel éolien et solaire justement beaucoup plus élevé que l’Allemagne.

Pensez-vous que la catastrophe de Fukushima ait changé les mentalités vis-à-vis du nucléaire ? L’appel récent de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre française de l’Écologie, à plus de coopération en matière de sûreté nucléaire civile au niveau international, répond-il aux besoins en matière de sécurité ?
La catastrophe de Fukushima aura eu au moins un effet : elle a permis l’émergence d’un débat en France, alors qu’il était totalement inexistant, voire tabou, auparavant. Depuis Fukushima, certains Français ont pris conscience de l’existence même des centrales sur le sol français, et de leur fonctionnement. Ils ont ainsi redécouvert que l’énergie nucléaire pouvait toujours être dangereuse, 25 ans après Tchernobyl. Les politiques se sont également saisis de la question : à observer les multiples déclarations sur le sujet des candidats à la présidentielle, le nucléaire sera un sujet incontournable pour 2012, sur lequel il faut se prononcer pour séduire son électorat. Le débat en France a également mis en lumière la volonté du gouvernement français de faire cavalier seul en Europe et de poursuivre coûte que coûte dans cette politique énergétique : l’Allemagne, première puissance économique européenne, a pris la décision de sortir du nucléaire ; l’Italie refuse d’y entrer à nouveau ; l’Espagne tirait au mois de mars plus de 50% de son électricité grâce à l’éolien ; la Pologne va réexaminer ses projets de construction de centrales ; l’Autriche a inscrit dans sa constitution l’interdiction d’avoir recours à l’énergie nucléaire et même le Vatican s’est prononcé contre l’énergie nucléaire.

Le récent appel de la ministre de l’Ecologie sur l’énergie civile est selon nous un écran de fumée. C’est une réponse à court terme et un exercice de communication destiné à rassurer la population : « Ne vous inquiétez pas, on va faire des stress tests » . Les « stress tests », je le rappelle, sont des tests de résistance de la centrale, qui se sont révélés être extrêmement lacunaires. Ils sont effectués par les opérateurs des centrales eux-mêmes : en somme, c’est un peu comme si les élèves de Terminale passaient leur Bac en s’auto-évaluant. Dans le cas des centrales françaises, l’ASN joue le rôle de surveillant, et vérifie le constat des opérateurs par rapport à leurs propres centrales. Ces stress tests sont bien moins exigeants que ceux qui sont effectués en Allemagne, par exemple : la France a volontairement exclu plusieurs facteurs graves, comme le facteur humain (notamment l’erreur humaine, à la base de l’accident de Tchernobyl), ou le facteur terroriste, qui est malheureusement envisageable. Que se passerait-il si des transports de matière radioactive étaient détournés ou encore si un avion tombait sur une centrale ? Pourquoi les autres pays qui ont choisi de mettre à l’épreuve leurs centrales ont choisi des critères de résistance bien plus exigeants ? (2)

Fukushima s’est révélé être un énorme appel du pied pour le gouvernement, qui cherche à vendre son EPR à l’étranger. Cette technologie est un énorme flop économique : le gouvernement pensait tenir là un best-seller international, mais le bilan s’est révélé bien maigre : un en Finlande, deux en Inde (au lieu de six), deux en Chine et un en France. Après le 11 mars 2011, les différents membres du gouvernement ont successivement présentés l’EPR comme « l’anti-Fukushima », arguant qu’avec une telle technologie, la catastrophe n’aurait pu avoir lieu. Outre les nombreuses défaillances pointées par les différents experts qui le rendent extrêmement dangereux, rappelons que l’EPR n’a pour l’instant jamais fonctionné, et qu’il est bien présomptueux d’asséner de telles certitudes.

Certains pays, comme l’Australie, le Danemark, la Grèce, l’Irlande et la Norvège ont inscrit dans leur loi nationale la non-utilisation de l’énergie nucléaire. Quels modèles énergétiques suivent-ils ?
Globalement, la décision d’utiliser ou non l’énergie nucléaire ne provient pas de préoccupations énergétiques, mais politiques et militaires. Comme je l’ai déjà évoqué, le nucléaire civil est foncièrement corrélé au nucléaire militaire : ce n’est pas anodin si la France, qui a une force de dissuasion nucléaire parmi les plus importantes au monde, a un parc nucléaire si développé. Les États-Unis possèdent le plus grand parc de réacteurs au niveau mondial, mais la France reste le pays où le ratio réacteur/population est le plus élevé, et où le pourcentage d’électricité d’origine nucléaire est le plus important. La décision du recours au nucléaire n’est donc certainement pas motivée par des choix énergétiques, mais bel et bien de gouvernance.

Les solutions mises en places par les autres pays sont choisies en fonction des ressources du pays. L’Australie base sa politique énergétique principalement sur les ressources fossiles ; le Danemark possède de nombreuses centrales thermiques et un grand parc éolien, tout comme la Grèce. L’Irlande a un parc éolien très important et utilise ses ressources en gaz naturel ; la Norvège enfin possède beaucoup de ressources naturelles et produit son électricité grâce à des centrales hydroélectriques, a développé de manière très importantes les hydroliennes et complète son mix énergétique grâce à l’éolien. Ces pays n’ont pas l’arme atomique, et ont décidé de subvenir aux besoins et au confort de leurs populations en développant des solutions alternatives. Par ailleurs, nombre de pays fonctionnent de manière décentralisée à l’échelle régionale ; le nucléaire ne répond donc pas à leur organisation fédérale. Il est important de noter que la politique énergétique nucléaire de la France pousse à la surconsommation énergétique : on consomme en France 1,3 fois plus d’électricité qu’ailleurs en Europe, et 10 réacteurs sont consacrés uniquement au chauffage électrique individuel. A titre de comparaison, le chauffage électrique est interdit par la constitution autrichienne…

Concrètement, quelles sont les énergies alternatives les plus prometteuses ?
On constate qu’il y a eu beaucoup d’efforts et de progrès réalisés ces derniers temps. Dernièrement, c’est l’aéronef solaire Solar Impulse qui a fait beaucoup rêver. Imaginez, un avion solaire complètement autonome qui peut voler de jour comme de nuit ! De même pour l’éolien : on arrive aujourd’hui à construire des éoliennes qui s’intègrent parfaitement aux paysages citadins, qui ressemblent à s’y méprendre à des lampadaires et qui sont silencieuses, ce qui était un des principaux reproches faits à cette technologie jusqu’à présent.

Les alternatives ne se résument pas à l’éolien et au photovoltaïque. Nous avons également la cogénération, qui est l’utilisation de la chaleur pour produire de l’énergie, comme par exemple la chaleur d’une chaudière. La France n’utilise que très peu cette technique, alors que d’autres pays comme le Danemark tirent plus de 50% de leur production électrique par ce biais là. La géothermie – l’utilisation de la chaleur de la Terre pour produire de l’énergie – est également utilisée dans certains pays comme les Philippines, et est exploitée depuis des milliers d’année dans le bassin méditerranéen. Cette énergie est inépuisable, et pourtant très peu exploitée en France.

Il y a également la biomasse, c’est-à-dire tout ce qui est issu du végétal, dont le bois comme énergie principale, mais également la méthanisation des déchets : on récupère les déchets organiques, et on utilise le processus de dégradation naturelle pour créer du méthane, qui sera ensuite stocké et utilisé comme du gaz.

Quelle que soit la solution préférée, il est important de ne pas reproduire le même schéma précédemment mis en œuvre avec l’énergie nucléaire, et se complaire dans une seule « technologie miracle ». Nous avons la chance en France d’avoir des ressources très diversifiées, avec un potentiel solaire et éolien bien supérieur à celui des allemands, un secteur agricole fort, une biomasse très importante, etc. Avec une consommation maitrisée, l’électricité dont nous avons vraiment besoin peut être produite grâce à toutes ces alternatives. Mais pour se passer du nucléaire, la sobriété énergétique est la première solution à mettre en œuvre. Le terme de « sobriété » peut paraître austère, mais il s’agit au contraire de faire mieux avec moins : c’est d’abord éviter les consommations inutiles : a-t-on vraiment besoin des panneaux publicitaires vidéo, qui prolifèrent dans les métros et qui consomment trois fois plus d’électricité qu’une famille pendant un an ? La justification de la construction de réacteurs en France a poussé ses habitants à consommer, voire gaspiller de l’électricité à outrance. Du fait de ces politiques incitatives, une étude de Global Chance réalisée en mai 2011 démontrait à quel point la France consommait bien plus d’électricité que sa voisine allemande (10%)(3).

Outre la chasse au gaspillage énergétique (chauffage électrique, consommation d’appareils en veille), l’efficacité énergétique est une étape incontournable dans la sortie du nucléaire. Le concept est plutôt simple : en recourant à des technologies plus économes, on réduit la quantité d’énergie nécessaire pour répondre à nos besoins. Inciter les constructeurs d’électroménager à ne faire que des appareils classés A+ ou A, rénover des bâtiments pour les isoler, construire des bâtiments « passifs » qui consomment très peu d’énergie… Il existe beaucoup de possibilités à ce niveau-là, et si s’instaurait une véritable politique, on pourrait, à confort égal, réduire de manière très significative nos besoins électriques.

Je souhaiterais terminer sur l’idée que l’Allemagne est la première économie européenne, et est toujours considérée comme un modèle par la France. Aujourd’hui, ce grand pays sort du nucléaire, sans pour autant renoncer à son confort. Je pense que c’est ce que nous devons tous retenir. Sortir du nucléaire, ce n’est pas revenir à la bougie, et ce n’est pas renoncer à son confort : c’est envisager l’énergie autrement. Sortir du nucléaire, ce n’est pas un dogme, c’est un choix de raison.

(1) Pour plus d’informations sur la corrélation entre nucléaire civil et militaire, consulter le dossier « Le double jeu du nucléaire » sur le site du Réseau ‘Sortir du nucléaire’ : http://www.sortirdunucleaire.org/index.php?menu=sinformer&sousmenu=brochures&soussousmenu=nucleaire-militaire&page=index
(2) Pour en savoir plus sur les « stress-tests », consulter le dossier « Stress-tests des réacteurs : EDF pas trop stressée… » sur le site du Réseau ‘Sortir du nucléaire’ : http://groupes.sortirdunucleaire.org/Stress-tests-des-reacteurs-EDF-pas
(3) Pour télécharger l’étude « la consommation d’énergies en Allemagne et en France : une comparaison instructive » de Global Chance : www.global-chance.org/IMG/pdf/Laponche_AllFr13_02juin2011.pdf


Entretien réalisé fin juillet 2011
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