ANALYSES

De quoi le choix du directeur général du FMI est-il le nom ?

Tribune
28 juin 2011
Le FMI charrie une charge symbolique non négligeable. Produit historique de la Seconde guerre mondiale, son action s’inscrit désormais dans un monde multipolaire, complexe et interdépendant. Le leadership américain se vérifie encore, mais se trouve contesté par les nouveaux équilibres économiques mondiaux. La fonction de régulation financière mondiale qui échoit au FMI lui interdit – plus que jamais – de s’afficher comme l’instrument d’une puissance nationale. C’est pourquoi les rapports de force en son sein font l’objet d’une attention toute particulière.
C’est au Conseil d’administration du FMI – composé des administrateurs/représentants de vingt-quatre Etats membres ou groupes d’Etats membres – qu’il revient de désigner le successeur de Dominique Strauss-Kahn. Bien que le Conseil d’administration puisse sélectionner un candidat à la majorité des voix exprimées, la sélection du Directeur général s’opère traditionnellement par voie de consensus. Il n’empêche, la répartition des quotes-parts à chaque Etat membre en fonction de son poids relatif dans l’économie mondiale – système sur lequel est fondé le FMI – constitue un véritable enjeu de pouvoir. La quote-part d’un Etat membre détermine en effet le nombre de voix qui lui est attribué et donc l’influence qu’il exerce dans les décisions du FMI. La dernière révision générale des quotes-parts décidée par le Conseil des gouverneurs – mais initiée par la réunion du G20 de Séoul les 21 et 22 octobre 2010 – s’est traduite par une augmentation de 100 % du total des quotes-parts et un réalignement majeur des quotes-parts relatives, afin de mieux refléter l’évolution du poids des Etats membres dans l’économie mondiale. L’entrée en vigueur de la réforme (en mars dernier) a permis le renforcement de la représentation des « pays émergents dynamiques » et des pays à faible revenu. Cette évolution a donné lieu à un affaiblissement du poids de l’Europe, qui ne détient plus que sept (au lieu de neuf) des 24 sièges du conseil d’administration du FMI. Les Etats-Unis conservent leur droit de veto sur les décisions importantes prises par le FMI. À l’image de la montée en puissance de son PIB, la Chine, qui était sixième pays en termes de quotas, dépasse désormais l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne pour devenir l’un des trois Etats les plus importants du FMI. Il n’empêche, avec les Etats-Unis et le Japon, les pays occidentaux du G8 totalisent 47,75 % des suffrages au FMI.

Malgré le caractère quasi-universel du FMI, l’élection de ses Directeur général et directeurs généraux adjoints ne répond pas à une exigence ou logique de représentativité. Suivant une convention non écrite qui remonte à 1946, l’Europe « hérite » de la direction du FMI (tandis que la présidence de la Banque mondiale revient de facto aux Etats-Unis). Détachée de la réalité économique mondiale, cette règle est à peine remise en cause par la faible diversité des candidatures qui ont été déposées auprès du FMI. Toutefois, les soutiens aux deux candidats officiels encore en lice ne correspondent à un quelconque clivage pays occidentaux/pays émergents. Certes, la croissance économique des puissances émergentes s’accompagne logiquement d’une volonté de puissance qui s’exprime jusque dans les enceintes institutionnelles qui structurent la gouvernance mondiale. Il n’empêche, le candidat mexicain est soutenu non seulement par des pays d’Amérique latine – dont le poids au Conseil d’administration est relativement faible – mais aussi par des pays comme l’Australie et le Canada. Pis, la coordination institutionnelle et politique au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a fait défaut. Face à leur incapacité à former un front uni et à définir une stratégie cohérente, le candidat mexicain n’a pas réussi à s’imposer comme le candidat/représentant des pays en développement. Inversement, si le noyau dur des soutiens de Christine Lagarde est constitué des pays européens, sa candidature est également soutenue par des pays arabes, asiatiques et africains. Le symbole est fort : la Chine a mis fin à sa neutralité en soutenant Christine Lagarde, selon une déclaration du gouverneur de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan. Quant aux Etats-Unis, derrière leurs hésitations tactiques, la logique des jeux de pouvoir auquel n’échappe pas la gouvernance mondiale devraient l’emporter. Washington aura en effet besoin des voix des Européens pour conserver le poste de président de la Banque mondiale en juin 2012.
Enfin, les Européens ont fait preuve de réactivité et d’efficacité en faisant bloc autour de la candidature de Christine Lagarde. Afin d’échapper à son « européanité » et de ne pas apparaître comme la candidate du monde occidental, Christine Lagarde a martelé un certain nombre de messages durant sa « tournée électorale » : sa candidature est « transparente et fondée sur les seuls mérites, indépendamment de la nationalité » ; le FMI « doit non seulement jouer son rôle en Europe, mais aussi répondre aux demandes d’assistance des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord » ; en cas d’élection, elle s’engage à assurer une meilleure représentativité des pays émergents au sein du FMI. Plus largement, la candidate franco-européenne a opté pour une diplomatie de la conciliation et de l’argumentation. Il est vrai qu’au-delà du calcul des quotes-parts, la gouvernance financière mondiale en ce début de XXIe siècle suppose une maîtrise d’un art de la négociation multilatérale d’autant plus difficile que les rapports de force sont mouvants. Forte de son expérience d’avocate dans un grand cabinet américain, Christine Lagarde incarne la globalisation du monde économique et financier. Ni Française, ni Européenne, elle est Globale. Sa désignation à la direction générale du FMI permettrait de mettre un nom sur la chose globale. En cela, elle s’inscrirait dans la lignée de son prédécesseur : DSK.

Si logiquement Christine Lagarde devrait être désignée comme la première femme à diriger le FMI, la réalité politico-judiciaire franco-française pourrait malgré tout rattraper ce symbole de la parité dans un monde global.
Sur la même thématique
Une diplomatie française déboussolée ?