ANALYSES

Le Front national et l’international : quels discours pour quelles stratégies ?

Tribune
22 juin 2011
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Il semble d’abord que nos deux spécialistes méconnaissent la prétention à l’universel qui anime tout nationalisme, et plus encore le nationalisme français, reflet d’une croyance intangible en la supériorité nationale. C’est cette prétention qui invite les partis nationalistes à investir leur nation d’une mission providentielle et à se doter d’une vision du monde extérieur dans lequel il replace celle de leur nation. Pour le FN, la France doit assumer sa mission internationale, que lui dicte son statut de plus vieille nation du monde (avec la Chine) et de fille ainée de l’église. Elle doit de ce fait se faire l’avocat de la cause des chrétiens dans le monde ainsi que des nations. A l’égard de ces dernières, Jean-Marie Le Pen avait d’ailleurs précisé en 2001 qu’il œuvrerait « au plan diplomatique dans les enceintes internationales et par des actions spécifiques pour que le fait national soit reconnu comme fondateur de l’ordre international » . Voilà pourquoi le FN se préoccupe dès l’origine du rayonnement international de la France et s’est doté, sous l’impulsion de Bruno Mégret à la fin des années 80, d’une politique étrangère chargée de perpétuer l’influence de la France dans le monde et de permettre au pays de tenir son rang. L’espace de la francophonie et l’Outremer, auxquels le Front national reste fondamentalement attaché, constituent pour ce faire autant de relais d’influence.

En outre, les propos de Caroline Fourest et Fiammetta Venner apparaissent pour le moins réducteurs, dans la mesure où ils laissent croire que le nationalisme se désintéresserait par définition des évolutions extérieures pour se focaliser exclusivement sur le devenir intérieur de la nation. Or cette distinction est toujours restée floue dans le programme du FN entièrement consacré à la survie identitaire de la nation, cet objectif justifiant à ses yeux de se préserver tout autant des ennemis intérieurs (les immigrés) qu’extérieurs (le mondialisme et les Etats-Unis), par ailleurs souvent associés dans son discours. Aussi le parti a-t-il toujours accordé une importance stratégique à la géopolitique afin de concevoir un réseau d’alliances protectrices pour la France, déterminant ses choix au gré des besoins nationaux et des rapports de force internationaux. Si au temps de la guerre froide, le parti s’est associé aux causes anticommunistes (expliquant son soutien aux dictatures militaires latino-américaines puis à Israël contre le monde arabe prétendument complice du communisme), il promeut depuis les années 90 l’alliance avec les pays qui défient le « Nouvel ordre mondial » (l’Irak, la Serbie et plus récemment la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo). Par ailleurs, il a toujours défendu l’idée que la puissance internationale était le meilleur remède contre la perte d’indépendance nationale, prélude à la disparition de la nation. Or cette politique de puissance exige là-encore la coopération internationale et une attitude nationale offensive afin de faire prévaloir les intérêts de la nation dans le monde. La lutte contre l’impérialisme américain, sur le plan culturel et économique, ou en faveur de la sortie de l’OTAN procèdent de cette intention.

Il reste, et cela est peu contestable, que la géopolitique ne passionne guère les électeurs du FN davantage préoccupés par les sujets qui influencent directement leur quotidien, au point de laisser supposer que le parti aurait délibérément ignoré les relations internationales du fait de l’indifférence de son électorat. Or c’est oublier la dimension symbolique que joue la diplomatie pour tout candidat à la présidentielle soucieux de prouver sa stature internationale. Marine Le Pen ne visait pas autre chose lorsqu’elle convoqua en avril 2011 au siège du parti la presse étrangère pour présenter sa vision du monde. En effet, cette conférence de presse était destinée à démontrer à son électorat non seulement l’audience de ses idées à l’étranger, mais encore sa compétence internationale, source de légitimité politique.

Ainsi, s’il est vrai que l’intérêt du FN pour les relations internationales est largement dicté par des préoccupations nationales, il n’en demeure pas moins que le parti n’a jamais ignoré le monde extérieur, le percevant à la fois comme un espace influent sur le devenir national et une scène nécessaire au rayonnement français. Il s’est ainsi doté d’une vision des relations internationales qui puise dans le vieux fonds de la pensée d’extrême droite et la théorie réaliste des relations internationales qui attribue une place déterminante aux Etats-nations dans le jeu mondial.

(1) C. Fourest et F. Venner, Marine Le Pen, Paris, Grasset, 2011, p. 200
(2) J.-M. Le Pen, « Le candidat de la France redevenue berger et étoile pour un troupeau de nations que la peur envahit », National Hebdo, 27 septembre 2001.

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