ANALYSES

Monde arabe : « La place qu’occupent les femmes dans la transition démocratique de leur pays est très contrastée. »

Tribune
27 juin 2011

Les femmes ont joué un rôle fondamental durant la révolution tunisienne. Jouent-elles un rôle dans la transition démocratique?



Les femmes tunisiennes ont joué un rôle indéniable dans la révolution. Elles ont été au premier plan des mouvements de revendication. On peut dire que la révolution tunisienne a été véritablement mixte, associant hommes et femmes dans le combat pour les libertés, la dignité et l’égalité.
Aujourd’hui, les associations de femmes se battent à la fois, sur le plan général, pour l’avènement rapide de la démocratie en Tunisie, et pour leurs propres droits. Premièrement, elles se mobilisent pour que l’égalité des sexes soit explicitement inscrite dans les textes servant à la préparation de la nouvelle Constitution. Deuxièmement, elles demandent au gouvernement de transition de préparer la levée de toutes les réserves émises par la Tunisie lors de sa ratification de la Convention internationale contre toutes les discriminations à l’égard des femmes (CEDAW, de par son acronyme anglais). Elles revendiquent la levée de ces réserves qui aboutirait à une modification de la loi dans le sens d’une égalité effective des sexes. Ainsi, les femmes tunisiennes se battent aujourd’hui contre toutes les discriminations qui subsistent, autant sur le plan juridique que dans les faits. Elles ont déjà obtenu une grande victoire. En effet, la loi électorale qui a été votée pour les élections du 23 octobre a entériné le scrutin proportionnel de listes qui doivent être obligatoirement paritaires. Non seulement ces listes doivent être paritaires, représentant ainsi une première dans le monde arabe, mais si une liste ne répond pas à cette exigence, elle sera annulée, ce qui est une première mondiale. Les partis politiques ne peuvent donc pas présenter de liste qui ne soit pas paritaire, au risque de la voir automatiquement annulée. Il s’agit là d’une avancée considérable. En effet, pour que la prochaine Constitution puisse être véritablement égalitaire, il faut que les femmes soient représentées au sein de l’Assemblée constituante.
Pour autant, tout ne va pas non plus pour le mieux. Les femmes, qui ne sont que deux dans le gouvernement de transition actuel, restent largement sous-représentées. Elles le sont également au sein de la Commission électorale indépendante qui a été élue afin de surveiller la totalité du processus électoral, puisqu’elle est composée de seulement deux femmes sur seize membres. Les femmes demandent donc que les commissions régionales qui seront nommées dans chaque circonscription soient paritaires, ou tout du moins qu’elles y soient représentées.
Nous pouvons donc dire que les choses avancent, peut-être pas suffisamment vite mais qu’elles avancent néanmoins.


Plus généralement, quelle est la place des femmes dans la transition démocratique du monde arabe ?



Cela dépend du pays sur lequel on se penche. Le Maroc, par exemple, est dans un processus de réformes qui n’a pas pris le même chemin que celui en Tunisie. En effet, ces réformes ne sont pas issues d’une révolution, ni d’un changement de régime. Elles ont été initiées par la monarchie à la suite des manifestations de février dernier. La nouvelle Constitution marocaine, qui sera soumise à un référendum le 1er juillet prochain, institue explicitement en son article 19 l’égalité des sexes. De plus, le Maroc vient de lever la plupart de ses réserves à la CEDAW, ce qui va l’obliger à réformer sa législation afin qu’elle réponde au principe d’égalité des sexes. La nouvelle Constitution établit également que les conventions internationales ratifiées par le Maroc auront une prééminence sur les lois nationales. On peut donc constater que de nombreux progrès ont été réalisés au Maroc. En Egypte, en revanche, la réforme constitutionnelle qui a été adoptée par référendum en mars dernier n’apporte aucune amélioration à la condition des femmes. Les soulèvements étant toujours en cours dans de nombreux pays du monde arabe comme en Libye, au Bahreïn et en Syrie, il est bien évidemment difficile de se prononcer sur cette question. L’Arabie Saoudite, quant à elle, a réitéré en mars dernier son refus d’accorder le droit de vote aux Saoudiennes.
Les situations, comme on vient de le voir, sont donc très contrastées.


Quels sont les défis les plus pressants du gouvernement de transition tunisien ?



Le gouvernement de transition doit d’abord mener à bien et pacifiquement la transition jusqu’à l’élection de l’Assemblée constituante, qui a été reportée au 23 octobre prochain. Mais plus particulièrement, ce gouvernement est confronté à deux défis majeurs. Il doit tout d’abord faire face à un défi économique. A ce jour, la Tunisie est incontestablement en situation de crise économique, avec une croissance du produit intérieur brut qui ne sera pas supérieure à 1% au cours de l’année 2011, ce qui est extrêmement faible. Par ailleurs, la saison touristique sera très probablement médiocre et le chômage a significativement augmenté puisqu’aujourd’hui plus de 700 000 Tunisiens sont demandeurs d’emplois sur un pays qui compte 10,5 millions d’habitants. Le gouvernement actuel est confronté à une situation particulièrement difficile dans la mesure où les attentes sociales sont extrêmement fortes dans un contexte de récession économique. Elles ne seront donc pas toutes satisfaites dans l’immédiat.
Le deuxième défi auquel le gouvernement doit faire face est un défi sécuritaire qui s’opère à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la Tunisie a une guerre à ses frontières. La guerre en Libye a des répercussions extrêmement importantes sur le pays. Tout d’abord, elle contribue d’aggraver la crise économique à laquelle est confrontée la Tunisie, puisque cette dernière entretenait des relations économiques très étroites avec Libye, qui sont aujourd’hui au point mort. De plus, la Tunisie a vu passer environ plus de 500 000 réfugiés venant de Libye sur son territoire. Or elle a dû gérer cet afflux sans aucun soutien financier de la part des pays occidentaux.
Par ailleurs, la Tunisie est confrontée à des problèmes de sécurité intérieure. En effet, après 23 ans de dictature, les forces de police n’ont pas encore été totalement réorganisées. De plus, les nostalgiques de l’ancien régime profitent de la moindre occasion pour accroître le désordre. L’exacerbation des conflits régionaux est également préoccupante.


Comment analysez-vous le procès de Ben Ali ? Le jugez-vous précipité ?



Je déplore effectivement que ce procès ait été organisé si rapidement. Il fallait, bien sûr, répondre aux attentes de la population qui demandait à ce que les responsables de la dictature soient jugés. Mais j’estime qu’il eut fallu prendre davantage de temps pour que ce procès soit exemplaire. Or, même si les formes ont été respectées, il a été quelque peu expédié, comme l’illustre l’absence de plaidoiries.
D’autres procès vont avoir lieu, et j’espère qu’ils seront préparés avec davantage de minutie que le procès de Ben Ali , qui me semble-t-il, a été bâclé.