ANALYSES

La communauté internationale face au VIH/sida : vers l’accès universel aux traitements ?

Tribune
8 juin 2011
Près de trente ans après l’apparition des premiers cas de sida aux Etats-Unis, et dix ans après un tournant majeur dans la lutte contre le sida avec les premiers patients mis sous traitement dans le monde en développement, une réunion de haut niveau est conviée par l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, du 8 au 10 juin dont la déclaration finale devrait fournir des indications sur la lutte contre le sida dans les années à venir. Aujourd’hui 34 millions de personnes sont porteuses du VIH à travers le monde et seulement 6,6 millions bénéficient d’un traitement antirétroviral permettant de ralentir la progression du virus et d’étendre considérablement les chances de survie. Selon le programme commun des Nations Unies pour le sida, l’Onusida, 9 millions de personnes éligibles pour un traitement n’y avaient pas accès fin 2010(1) . Les médicaments antirétroviraux sont efficaces, disponibles dans les pays du Nord et de plus en plus, à des prix abordables, dans les pays du Sud. Comment parvenir à l’accès universel ?

Un élan international exceptionnel en 2001
En juin 2001, tandis que les taux de prévalence du VIH atteignaient des niveaux très élevés dans le monde et en particulier en Afrique avec des conséquences dramatiques sur les plans sociaux, économiques et politiques, l’Assemblée générale des Nations Unies convoquait une Session Spéciale sur le sida (UNGASS). Lors de cette réunion, les Etats membres s’entendaient sur la nécessité d’accroître significativement les financements internationaux pour la lutte contre le sida, en vue de permettre la prise en charge médicale de la maladie et de rendre les traitements antirétroviraux disponibles pour les pays du Sud. Ce niveau d’engagement exceptionnel a permis la création du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui, en près de dix ans a aidé plus de 150 pays à lutter contre ces trois maladies transmissibles en leur octroyant plus de 21 milliards de dollars. D’autres sources de financement ont participé à cet élan international : le plan d’urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR) en 2003 ainsi que des organisations philanthropiques telles que la fondation Bill et Melinda Gates devenues incontournables dans le financement des programmes de santé dans le monde.

Tout au long de la décennie 2000, on assiste à une augmentation significative du nombre de personnes mises sous traitement, notamment en Afrique alors que de nombreux observateurs doutaient de la possibilité de généraliser ces traitements exigeants (nécessité de les prendre à heure fixe, à vie) dans des systèmes de santé déjà surchargés. Pour autant, les objectifs fixés de la communauté internationale – l’initiative « 3 by 5 » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour procurer des traitements à 3 millions de personnes en 2005 puis en 2006, la promesse d’un accès universel en 2010 – n’ont pu être atteints. Que peut-on espérer de la réunion de haut niveau qui s’ouvre ce mercredi à New York ?

L’accès universel aux traitements en 2015 ?
L’accès aux médicaments antirétroviraux demeure l’enjeu majeur de la lutte contre le sida. Les thérapies antirétrovirales sont efficaces et les bénéfices s’étendent bien au-delà de la survie individuelle. Les bénéfices en termes de santé publique sont évidents : traiter les patients séropositifs permet d’alléger l’ensemble du système de santé et l’économie nationale. La mortalité due au sida a considérablement baissé et de nombreuses infections ont pu être évitées notamment celles des jeunes enfants grâce à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant qui s’accroit progressivement dans les pays du sud (selon l’Onusida, 53% des femmes enceintes séropositives bénéficient d’un traitement antirétroviral pour réduire le risque de transmission du VIH à l’enfant).

Surtout, plusieurs études scientifiques ont désormais établi que le traitement biomédical en population générale est fondamentalement un outil de prévention. Les personnes qui suivent un traitement voient leur charge virale baisser et sont donc beaucoup moins susceptibles de transmettre le virus. Les résultats d’une étude financée par les Instituts nationaux de santé aux Etats-Unis (essai HPTN052) viennent de confirmer avec force ce que l’on pressentait déjà : dans les couples séro-discordants (l’un est séropositif, l’autre séronégatif) la prise de traitement par le partenaire séropositif permet de réduire de 96% le risque de transmission. Les résultats étaient tellement éloquents que l’étude clinique a été arrêtée plus tôt que prévu. Rendus publics le 12 mai dernier, ils font cependant l’effet d’une bombe à retardement. Ils impliquent en effet que pour enrayer définitivement la progression de l’épidémie, il faut plus que jamais traiter toutes les personnes qui en ont besoin, le plus rapidement possible.

Ce « tournant biomédical » dans la prévention des nouvelles infections à VIH(2) doit favoriser l’engagement pour l’accès universel sans faire oublier qu’une lutte efficace contre le sida est conditionnée par le respect des droits humains, la lutte contre les discriminations et les inégalités.

Peut-on espérer un tel niveau d’engagement aujourd’hui ?
Afin de mettre en œuvre des politiques publiques favorisant l’accès aux médicaments antirétroviraux (achat des médicaments, formation des soignants, renforcement des structures de santé, etc.), la communauté internationale doit augmenter son engagement financier d’au moins un tiers dans les années à venir. Les contributions financières au Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ont déjà connu un ralentissement et certains pays menacent de suspendre leur contribution en raison de soupçons de détournements de fonds par des pays bénéficiaires. Dans un contexte de récession économique globale, une forte augmentation des contributions étatiques semble peu probable. La réunion du G8 qui vient de se tenir à Deauville va plutôt dans le sens d’une implication déclinante des pays riches qui s’en tiennent à une déclaration vague et dénuée d’objectifs chiffrés alors que le G8 de Glenneagles en 2005 plaidait pour l’accès universel en 2010.

C’est en partie sur la question des chiffres qui risque de cristalliser les tensions lors de la réunion de l’Assemblée Générale de l’ONU. Les associations aux côtés des organismes internationaux cherchent à faire accepter un objectif de 9 millions de personnes supplémentaires sous traitement en 2015 pour obtenir un population totale de 15 millions. L’Union européenne refuse de s’engager sur des objectifs chiffrés et cherche aussi à éviter dans la déclaration finale l’utilisation d’un vocabulaire explicite sur l’accès à des ‘médicaments génériques, efficaces et abordables’. L’Union européenne est suivie par les Etats-Unis et le Japon dans la défense de la propriété intellectuelle ce qui est susceptible de remettre en cause l’objectif de l’accès universel.

La protection de la propriété intellectuelle
L’accès aux antirétroviraux dans les pays du Sud est jalonnée par les enjeux commerciaux liés à de la protection des droits de propriété intellectuelle garantie par les accords signés sous l’égide de l’OMC (accords ADPIC) en 1994. En vertu de ces accords, les compagnies pharmaceutiques ont l’exclusivité de la production et de la commercialisation des molécules pour lesquelles elles ont déposé un brevet. Or, malgré ce principe les prix ont considérablement chuté depuis les années 2000. Les prix ont baissé grâce à la pression des activistes, à des mécanismes de réduction de prix (sous l’égide de l’OMS et de l’ONUSIDA, de l’UNITAID et de la fondation Clinton) et surtout la production de médicaments génériques à bas coût, notamment en Inde, pays qui ne faisait pas partie des accords ADPIC avant 2005. Aujourd’hui, grâce à la présence de génériques sur le marché, tous les prix ont baissé et le régime antirétroviral de première ligne est disponible à des prix allant de 65 à 150 dollars (des plus anciens aux plus récents protocoles) par patient et par an. Mais de nombreux patients ont besoin de bénéficier maintenant d’un régime de seconde ligne (protégés par des brevets) dont les coûts sont considérablement plus élevés et les formulations pédiatriques demeurent sous-développées par les laboratoires pharmaceutiques.

La négociation d’accords bilatéraux de libre-échange avec des pays du Sud (par les Etats-Unis et maintenant l’Union Européenne) vient ajouter un nouvel obstacle à l’accessibilité des médicaments génériques. Les exceptions aux accords ADPIC (comme les licences obligatoires en cas d’urgence sanitaire) sont extrêmement difficiles à mettre en oeuvre pour les pays du Sud sur le plan politique et juridique (seuls des pays comme la Thaïlande et le Brésil sont parvenus à s’en prévaloir). L’Union européenne est en train de négocier des accords de libre-échange avec l’Inde dans lesquels sont inclus les médicaments et s’oppose donc à l’adoption d’une position favorisant l’accès aux médicaments génériques. L’accès aux médicaments n’est pas uniquement une question de contributions financières de la part des pays riches, elle est au coeur d’enjeux politiques et commerciaux qui relèguent la santé publique au second plan par rapport aux intérêts économiques des pays occidentaux dans le commerce mondial.

Enfin, trente ans après les premiers cas de sida, la maladie est encore souvent l’objet de discriminations et de violences. Des populations entières sont négligées par les programmes de prévention et d’accès aux soins comme les usagers de drogue ou les hommes ayant des relations avec des hommes en raison de politiques répressives. Le texte qui sera adopté par les représentants de haut niveau réunis à l’ONU, s’il s’engage vers l’accès universel aux traitements doit fermement condamner les atteintes aux droits humains et la répression qui s’exerce encore, dans certains pays, envers les homosexuels ou les militants de la lutte contre le sida.

(1) Voir le communiqué de presse du 3 juin 2011
(2) Le « traitement comme prévention » ou « TasP Treatment As Prevention», est à mettre en relation avec une série d’avancées biomédicales dans le traitement et la prévention du VIH comme la prophylaxie pré-exposition (prise d’antirétroviraux dans des situations d’exposition sexuelle au risque de contracter le VIH) et la mise au point d’un gel microbicide à base d’antirétroviral afin de limiter le risque de contamination dans les rapports sexuels.