ANALYSES

Mort de Ben Laden : le succès de la smart diplomacy

Tribune
6 mai 2011
On se souviendra ainsi que c’est Barack Obama qui a mis fin à une chasse à l’homme engagée dès les années 1990, et les références utilisées de manière régulière et outrancière par les milieux conservateurs, associant depuis deux ans-et-demi les noms Oussama et Obama, perdent tout leur crédit. Mais au-delà de la satisfaction pour le locataire de la Maison-Blanche, qui pourrait renforcer de manière très nette sa popularité et peser de tout son poids dans la campagne électorale de 2012, c’est surtout une certaine manière de pratiquer la politique étrangère des Etats-Unis qui a porté ses fruits. A peine arrivé au pouvoir en janvier 2009, l’administration Obama mit en avant ce qu’elle qualifia de smart diplomacy, associant avec soin les éléments de soft power pour influencer et de hard power pour imposer en certaines circonstances. Si elle se généralisa sur l’ensemble des théâtres d’opérations sur lesquels les Etats-Unis se sont engagés dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », cette pratique fut particulièrement visible au Pakistan, où le fondateur d’Al-Qaïda fut finalement localisé et mis hors d’état de nuire.

C’est en effet grâce à des complicités locales que le chef terroriste parvint à se cacher au Pakistan depuis une période indéterminée, qui pourrait remonter aux premiers jours de l’opération militaire en Afghanistan. Or, l’administration Bush s’était montrée dans l’incapacité de s’associer de manière décisive aux autorités pakistanaises pour identifier et lutter contre la permanence de groupes terroristes sur le territoire pakistanais. Avec l’aide de Richard Holbrooke, décédé depuis, et ancien artisan des accords de Dayton en Bosnie, Obama s’efforça de redéfinir la politique afghane, en l’étendant à son voisin pakistanais. Les bases de l’AfPak furent ainsi jetées quelques semaines seulement après l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche. En intensifiant les opérations de lutte contre le terrorisme au Pakistan, et relançant dans le même temps la coopération entre les deux pays afin de chercher à réduire les risques de voir le risque terroriste croitre – même si les effets restent limités – Washington a retrouvé sa place dans un pays qui restait hors de tout contrôle, et dans lequel des responsables terroristes et talibans étaient de façon notoire repliés.

La smart diplomacy stipule une plus grande coopération entre les Etats-Unis et ses partenaires, et surtout une plus grande responsabilité de la part des uns et des autres. Washington ne veut plus ainsi se contenter d’imposer ses vues, mais cherche à s’imposer en ravivant le soft power très présent dans les années 1990. Le contexte international ayant depuis évolué, il était impossible pour l’administration Obama de revenir en arrière sans tenir compte de la nécessité de maintenir une main ferme sur certains dossiers, et c’est ainsi que cet équilibre entre hard et soft power fut trouvé. En d’autres termes, les Etats-Unis s’efforcent désormais d’attaquer le mal à la racine, plutôt que de renforcer leur impopularité sur le terrain en agissant de manière trop brutale. Dans le même temps, cette plus grande souplesse ne doit pas être assimilée à une faiblesse, et c’est pourquoi elle s’accompagne de mesures de fermeté. C’est grâce à cette redéfinition de la politique étrangère américaine que les Etats-Unis sont parvenus à reprendre pied au Pakistan, et nous pouvons considérer que c’est grâce à cet effort de coopération qu’un succès comme la mort de Ben Laden fut rendu possible.

La disparition de Ben Laden est enfin une victoire pour les services de renseignements américains, près de dix ans après leur plus grande faillite dans l’histoire récente, et au terme d’une décennie marquée par de multiples déconvenues qui en accélérèrent la réforme en profondeur. La traque de l’homme le plus recherché au monde se cristallisa au cours des derniers mois, et fut menée dans l’ombre, en liaison avec la Maison-Blanche et un président qui fut, de bout en bout, tenu informé de l’évolution des opérations. Cette volonté de faire les choses en privilégiant l’efficacité plutôt que le discours est elle-aussi significative de cette smart diplomacy.

Barthélémy Courmont publiera avant l’été un ouvrage intitulé ‘L’ennemi sans visage. L’après Ben Laden’, chez François Bourin éditeur.
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