ANALYSES

Un « printemps démocratique » en Afrique subsaharienne ?

Tribune
18 avril 2011
Révolte militaire et soulèvement populaire au Burkina Faso : vers la fin du régime de Blaise Compaoré ?

Le régime du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis son coup d’Etat militaire contre Thomas Sankara en 1987, montre de sérieux signes d’essoufflement. La conjonction entre une mutinerie dans l’armée et la garde présidentielle au Burkina Faso et une mobilisation populaire croissante depuis plus de deux mois, peut laisser espérer une brèche dans le pouvoir de Blaise Compaoré.

Des manifestations se multiplient dans ce pays qui est l’un des plus pauvres d’Afrique, montrant l’ampleur du malaise social qui traverse l’ensemble de la société, des plus jeunes, aux syndicalistes et à l’armée. La pauvreté, l’absence de perspectives économiques et sociales notamment pour la jeunesse, et les vents démocratiques qui soufflent à travers le continent, pourraient avoir raison du régime au pouvoir depuis vingt-quatre ans. Depuis début avril, dans plusieurs villes du pays, les étudiants se mobilisent pour défendre leurs conditions d’études et demander plus de libertés publiques. Leur détermination se nourrit d’un sentiment d’injustice face à des morts d’étudiants pendant des manifestations (notamment Justin Zongo mort à Koudougou le 20 février dernier, puis six autres étudiants dans les manifestations qui suivront), décès qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes judiciaires. Ces événements se déroulent dans un contexte politique crispé par les tentatives du président pour se maintenir au pouvoir et qui expliquent en partie l’agitation au sein de l’armée. Le président cherche en effet ouvertement à modifier l’article 37 de la Constitution, qui limite l’exercice de la fonction présidentielle à deux mandats afin de pouvoir se maintenir au pouvoir. Pour l’ensemble de la population le seuil de l’intolérable semble avoir été franchi.

Dernière en date de plusieurs tentatives, la mutinerie de ces derniers jours a provoqué une réaction du président Compaoré qui a dissout son gouvernement, limogé le chef d’Etat major des armées et le chef de la garde présidentielle et nommé des fidèles à leur place. La révolte militaire s’étend dans les casernes, de Ouagadougou, à Pô, ville garnison et ville symbole où sont formées les troupes d’élites et la garde rapprochée du président. Le président cherche à montrer sa volonté de dialogue, envers les étudiants, les militaires et c’est la première fois qu’il procède à une dissolution de son gouvernement depuis l’adoption de la Constitution en 1991. Les manifestants pourront-ils maintenir la pression envers le gouvernement de Compaoré (tout juste réélu en 2010) sans que les pillages ne l’emportent sur l’expression démocratique ? Quelle est la capacité de l’opposition politique à fédérer ces mécontentements et quelle sera l’aptitude du gouvernement à ouvrir un véritable dialogue ? Pour le moment, c’est le chaos qu’il faut à tout prix éviter. Ce week-end, dans les grandes villes du pays, les militaires se sont livrés à des pillages et les commerçants pillés ont à leur tout incendié des bâtiments publics. L’ampleur de la crise doit être prise au sérieux et mener à un apaisement par le dialogue. Le printemps « arabe » pourrait se prolonger plus au sud du Sahara en apportant un espoir concret aux populations qui se mobilisent. La possibilité d’un véritable changement existe, les informations circulent et les réseaux de mobilisation s’internationalisent également en Afrique de l’Ouest. Peut-être la clé du basculement (du rétablissement de l’ordre, de la pression pour un dialogue politique…) est-il entre les mains d’une communauté internationale moins à même d’observer passivement l’enlisement de contestations démocratiques. Le rôle de la France sera observé de près. Critiquée pour son intervention dans la crise ivoirienne, on n’imagine mal ses troupes voler au secours d’un régime agonisant. Mais elle sera tout aussi critiquée pour son inaction diplomatique dans cette région stratégique de sa politique africaine.

Sortir du chaos : espoirs en Côte d’Ivoire

C’est précisément le voisin ivoirien qui doit aujourd’hui montrer que l’on peut effectivement sortir du chaos et du pillage. Après la longue agonie du régime de Gbagbo, sa pathétique extraction de son refuge présidentiel par les troupes onusiennes et françaises, l’heure est à l’espoir mêlé de scepticisme. La tâche qui incombe à Alassane Ouattara, qui semble déjà éprouvé par le pouvoir avant même de l’exercer effectivement, est énorme. Il doit d’abord et avant tout réconcilier son pays, ne pas attiser les esprits fatigués par des années de délitement social, économique et politique avec des déclarations « revanchardes ». Il faut certes s’en remettre à la justice internationale pour poursuivre les responsables de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre s’il y a lieu, mais il est tout aussi important politiquement de se prononcer clairement pour une réconciliation politique, et surtout de redonner espoir à la population, par la participation démocratique, en réanimant le tissu des institutions publiques et l’investissement économique. En Côte d’Ivoire, le crédit de Ouattara sera d’abord mesuré à sa capacité à donner du travail, s’assurer que les salaires soient versés, les médicaments distribués, les écoles en état de marche, les universités pacifiées. L’ensemble des composantes de la société ivoirienne doit être conviée pour remettre le pays en marche.

Que disent les pillages ? émeutes de la faim, vie chère et demande de dignité

De telles manifestations « contre la vie chère » se multiplient ces dernières années. Après l’embrasement généralisé du Cameroun suite à des manifestations contre la cherté de la vie en février 2008, l’Egypte, le Maroc, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Mozambique, la Mauritanie ont également connu de tels mouvements populaires au printemps 2008 à propos de la vie chère. Partout, les contraintes économiques entraînent d’importantes perturbations sociales, souvent aggravées par les crispations des pouvoirs. La faim est au cœur de toutes les mobilisations. Les économies africaines sont particulièrement vulnérables aux fluctuations économiques mondiales et le poids de la nourriture dans les dépenses des ménages africains est très élevé. Quand, face à l’expression populaire de l’inquiétude à propos de tels enjeux de survie, les pouvoirs n’affichent que de l’indifférence, le pillage et le chaos sont à craindre.

Au Swaziland, des manifestations ont eu lieu récemment, qui rappellent qu’au-delà de l’ampleur et de la permanence de la faim, c’est la reconnaissance de la justice et de la dignité humaine qui transparaît dans toutes ces mobilisations. Le président de l’association nationale des enseignants au Swaziland (interrogé par l’hebdomadaire sud-africain Mail and Guardian ) rappelle ainsi que « en Siswati le mot qui signifie ‘paix ‘ est le même mot que pour ‘silence ‘, le Roi et ses sbires veulent maintenir la paix en nous contraignant au silence. Mais nous refusons de nous taire à propos de la faim et de la souffrance que nous endurons » (1).

L’enjeu est bel et bien la réaction des pouvoirs à ces manifestations populaires qui se déroulent aussi dans des régimes dits démocratiques, et dépassent la seule revendication démocratique au sens strict. Il s’agit d’une quête de justice envers les manifestants tombés sous les balles perdues, et de reconnaissance envers la misère subie depuis tant d’années et surtout la faim, en somme une demande de dignité est commune à toutes ces mobilisations. En Afrique du Sud, qui fêtera bientôt deux décennies de démocratie, aucun « retour à la normale » n’a été enregistré sur le plan économique et social. La pauvreté, les disparités raciales, régionales, l’absence généralisée d’accès aux services les plus essentiels ont déjà entraîné de graves flambées de violence y compris envers les étrangers en mai 2008. En témoignent encore les violences policières, vendredi dernier, à la suite d’une manifestation de quelques milliers de personnes dans le township de Ficksburg, à Meqheleng, dans la province du Free State (centre du pays). Un père de famille a été violemment frappé puis abattu par la police. Il manifestait pour réclamer de meilleurs services publics.

Les mutineries et journées de violence au Burkina Faso, la sortie de crise ivoirienne, les manifestations contre la vie chère dans bien d’autres Etats ont en commun de montrer des citoyens demandant les plus élémentaires des droits humains, la reconnaissance de leur liberté et de leur dignité, dans un continent secoué par le changement. Espérons qu’un printemps africain ait commencé, et qu’il permette partout la reconnaissance politique de ces enjeux primordiaux.

(1) http://mg.co.za/article/2011-04-15-defiant-protesters-speak-out (16/04/2011)
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