ANALYSES

« Iran: the sanctions are … not working »

Tribune
30 mars 2011
En général, l’analyse faite à Téhéran est que ces évènements, en provoquant le remplacement des gouvernements ennemis de l’Iran par des pouvoirs plus légitimes, pourraient renforcer l’influence iranienne dans la région. Cependant, ces troubles renvoient également aux propres divisions existant à l’intérieur de la République islamique d’Iran avec la réémergence du mouvement vert. Dans tous les cas, Téhéran suit avec une attention particulière les évènements récents au Bahreïn et les journaux iraniens font leurs gros titres sur « l’agression du régime bahreïni et de l’Arabie Saoudite ».

Ces tensions régionales interviennent dans un environnement économique un peu mieux orienté depuis la crise de 2008-2009. Selon le FMI, la croissance, qui avait très fortement ralenti en 2008-2009 avec une hausse de moins de 1 %, serait montée depuis à 1,6 % en 2010 et pourrait atteindre 3 % en 2011. Cette légère amélioration (qui est toutefois très loin des hausses de 6 % atteints dans les années 2000) est liée à la meilleure orientation du prix du pétrole. Selon le rapporteur de la commission énergie du parlement, Saïd Ahmad Hosseini, le prix du pétrole exporté par l’Iran durant les neuf premiers mois de l’année 2010/2011 (l’année iranienne commence le 21 mars) a été de 76 dollars le baril alors que le budget prévoyait 65 $. En outre, la hausse récente du prix du pétrole (conséquence notamment des troubles régionaux) avec une hausse du baril de Brent de 80 $ fin novembre 2010 à près de 115 $ fin mars 2011, devrait entrainer une accélération de la croissance qui pourrait dépasser la prévision du FMI. Il est à noter que le gouvernement iranien a retenu un prix du pétrole à 85 dollars dans son projet de budget pour 2011-2012.

L’Iran a donc bénéficié de la bonne tenue de ses exportations pétrolières. Selon l’OPEP, les exportations de pétrole brut de l’Iran ont atteint 64 milliards de dollars sur les onze premiers mois de 2011 (contre 53 milliards en 2009). On peut d’ailleurs noter que selon les propres statistiques de la Commission européenne, les exportations de brut de l’Iran ont représenté 5 % des importations totales de l’UE sur les huit premiers mois de 2010 … Plus généralement, les sanctions ne semblent pas avoir désorganisé le commerce extérieur. Selon les douanes iraniennes, les importations ont progressé en valeur en 2010 (+15,1 %) mais ont stagné en volume. Par ailleurs, les exportations non pétrolières ont progressé de 38,8 % en 2010 pour atteindre plus de 59 milliards de dollars. Les principaux pays clients des exportations non pétrolières de l’Iran sont la Chine (17,3 %), l’Irak (17%), les Emirats Arabes Unis (EAU – 13,4%), l’Inde (6,5 %), l’Afghanistan (5 %). Par ailleurs, les principaux exportateurs sur le marché iranien sont les EAU (32 %), la Chine (8 %), l’Allemagne (7 %), la Turquie (6,3 %) et la Suisse (6,2 %). On constate que du fait des sanctions (notamment financières), le commerce extérieur iranien s’est réorienté vers l’Asie et les pays limitrophes comme la Turquie, l’Irak et l’Afghanistan. L’Asie est maintenant le premier partenaire commercial de l’Iran puisque cette région a été la destination de 84 % des exportations iraniennes en 2010 tout en étant à l’origine de 64 % des importations. On constate par ailleurs que la France ne fait plus partie des premiers exportateurs sur le marché iranien, même si, en réalité une partie des exportations françaises passent maintenant par Dubaï. Si l’on prend également en compte l’importance du commerce de transit qui passe par l’Iran (notamment à destination de l’Asie centrale), on ne peut que constater que les sanctions n’ont pas vraiment conduit à un isolement économique de l’Iran.

Cela ne veut pas dire que les sanctions financières n’ont pas pesé sur l’économie iranienne. Les pressions exercées par les Etats-Unis sur de nombreuses banques ont conduit ces dernières à stopper leur coopération avec l’Iran. Ceci a évidemment gêné le commerce extérieur iranien puisqu’il était difficile pour des banques iraniennes de trouver des partenaires à l’étranger. Par exemple, les banques des pays enregistrés à la Banque des Règlements Internationaux ont réduit leurs engagements sur l’Iran, leur stock de créances passant de 20,4 milliards de dollars fin 2008 à 17,1 en septembre 2010. Ces difficultés ont d’ailleurs provoqué une brusque dépréciation du rial contre le dollar sur le marché noir en octobre 2010. Par ailleurs, les activités à l’étranger d’un certain nombre de banques publiques (cas des banques Saderat et Sepah) ont été limitées du fait des sanctions. Toutefois, les banques iraniennes travaillent maintenant avec des banques de second rang, ce qui augmente le coût de leurs opérations. Par ailleurs, le développement des banques privées peu touchées par les sanctions a permis de compenser la moindre activité des banques publiques dans le financement du commerce extérieur. Il ne faut pas oublier que l’Iran reste un pays solvable, les autorités annonçant un montant de 100 milliards de dollars de réserves en devises en octobre 2010, et faiblement endetté (la dette extérieure étant proche de 8 % du PIB fin 2010).

Par ailleurs, sur le plan intérieur, la mise en place de la très attendue diminution des subventions s’est plutôt relativement bien déroulée. Le gouvernement iranien a en effet commencé fin 2010 de réduire la plupart des subventions qui bénéficiaient à de nombreux biens et services dans les secteurs de l’énergie ou de l’alimentation. L’objectif est pour l’Etat de limiter ses dépenses ainsi que de contraindre la population à limiter sa consommation d’énergie (traditionnellement élevée en Iran). Par ailleurs, l’objectif était également de refondre le système d’aides sociales puisque ces subventions bénéficiaient à toutes les classes sociales. Il était ainsi prévu que l’Etat utilise une partie des économies réalisées pour effectuer des versements aux classes les plus défavorisées. Or, si le gouvernement iranien a longtemps hésité avant d’appliquer ce plan (voté en mars 2010), sa mise en place, à la fin de l’année dernière, n’a pas conduit à de fortes tensions sociales et a mené à une réduction de la consommation d’énergie. La population a sans doute admis la nécessité de ce plan. Mais ce sont davantage les paiements compensatoires (40 $ par mois par personne) qui ont permis de limiter les mécontentements induits par les hausses de prix.

Cependant, si l’économie iranienne n’a pas été asphyxiée par les sanctions, il n’en reste pas moins vrai que les difficultés économiques continuent d’alimenter le mécontentement populaire. On a ainsi constaté une accélération de l’inflation depuis quelques mois qui, de 10 % en juillet 2010, a atteint près de 16 % en janvier 2011 (avec une hausse de près de 26 % pour l’alimentation). Or, il est possible que la politique de suppression des subventions soit à l’origine de ces tensions inflationnistes. Ce qui signifie que la poursuite de cette politique pourrait conduire à de futures hausses de prix et à des réductions de pouvoir d’achat. Le gouvernement vient ainsi d’annoncer une augmentation de 8,5 % du salaire des ouvriers du secteur public en 2011, ce qui laisse présager un recul de leur pouvoir d’achat. Cette peur des réactions populaires a d’ailleurs conduit le gouvernement iranien à annoncer qu’il allait continuer ses versements compensatoires à toute la population iranienne. Or, cette politique va conduire à des coûts budgétaires plus élevés que prévus puisqu’initialement, seules les classes les plus défavorisées devaient recevoir ces versements. De plus, la question du chômage continue d’être pressante en Iran. Celui-ci a progressé, selon les autorités, de 11,1 % en 2009 à 14,6 % en 2010. Ces difficultés économiques pourraient exacerber les tensions politiques existant depuis l’élection présidentielle de 2009, même si la hausse récente du prix du pétrole accroît les marges de manœuvre du gouvernement.

On le voit, la politique de sanctions pour faire évoluer la position officielle de l’Iran sur le nucléaire ne semble pas véritablement fonctionner. Au contraire, on a plutôt l’impression que ces sanctions conduisent à un raidissement de la position iranienne, comme en témoigne la dernière réunion à Istanbul entre les 6 et l’Iran. Par contre, la situation économique reste tendue et la poursuite de l’application de la politique de suppression des subventions s’annonce délicate. On peut donc penser que cet environnement économique compliqué contribuera plutôt à exacerber les tensions politiques entre le régime et l’opposition verte mais aussi à l’intérieur du régime entre les groupes proches d’Ahmadinejad et des conservateurs plus modérés comme l’influent député, Ali Motahari, qui a, notamment, proposé la création d’une troisième voie regroupant les conservateurs et les verts les plus modérés pour sortir de la crise politique actuelle …

(1) Ces statistiques portent sur les 9 premiers mois de l’année iranienne commençant en mars 2010 (Douanes d’Iran).