ANALYSES

Qui doit commander les opérations militaires en Libye ?

Tribune
24 mars 2011
Une lecture historique et politique permet de comprendre le problème qui est posé.

Guerre du Golfe 1991 : Les Etats-Unis sont à la tête d’une coalition ad hoc de 28 pays pour reconquérir le Koweït envahi par Saddam Hussein. La coalition réunit des pays de l’OTAN, des pays européens et des pays arabes. Les Etats-Unis en assurent la coordination. Malgré une préparation des opérations de plus de quatre mois, des problèmes de coordination militaire se font jour durant les opérations qui débutent le 17 janvier 1991. Et cela y compris entre les différentes armées américaines qui ne sont pas capables de planifier en commun leurs opérations aériennes.

Guerres balkaniques milieu des années 90 : L’échec de la communauté internationale et de l’ONU est patents notamment au niveau des opérations militaires de la FORPRONU qui n’a pu éviter le massacre de Srebrenica. Après les accords de Dayton, c’est l’OTAN par le biais de l’IFOR puis de la SFOR qui est chargée de faire respecter les accords de paix car on considère que la chaîne de commandement de l’OTAN est plus fiable que celle de l’ONU.

A partir de cette date, l’OTAN devient une sorte de référence pour la planification et le commandement d’opérations militaires lourdes impliquant plusieurs pays et se traduisant par des opérations militaires combinées.

1999 : L’Union européenne se dote de structures militaires pour appliquer la politique européenne de sécurité et de défense commune (PESDC). La PESDC devient opérationnelle au 1er janvier 2003. Toutefois, aucune chaîne de commandement n’est prévue. La planification des opérations est, soit confiée à un des cinq Etats (dont la France) qui a la capacité d’être nation cadre, soit à l’Union européenne qui peut faire appel aux capacités de planification et de commandement de l’OTAN par le biais des accords dits de « Berlin plus », après accord des pays de l’OTAN.
Mars 2003 : Deuxième guerre d’Irak. Les Etats-Unis engagent les opérations en Irak à la tête d’une coalition. Les opérations militaires initiales sont conduites par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. On apprendra par la suite que les premières discussions entre les trois pays sur la planification des opérations avaient commencé près d’un an auparavant.

Avril 2003 : La France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg demandent à ce que l’Union européenne se dote d’une cellule de planification opérationnelle autonome. Cette demande sera systématiquement refusée par l’Union européenne, du fait notamment du blocage britannique. La création en 2007 d’un centre européen d’opérations et la création d’une petite cellule de planification et de conduite des opérations civiles ne changent rien à cette situation. La création de cette cellule de planification était un des objectifs principaux que la France souhaitait atteindre en réintégrant le commandement militaire intégré de l’OTAN mais Paris a manifestement échoué.

Août 2003 : L’OTAN reprend à son compte la mission de l’ISAF en Afghanistan. Auparavant cette mission était confiée à un Etat avec une présidence tournante tous les 6 mois. L’extension du mandat de l’ISAF d’un périmètre de 40 km autour de Kaboul à l’ensemble du territoire afghan a rendu nécessaire l’appel à l’OTAN seule capable de planifier de telles opérations dans la durée.

L’imbroglio sur le commandement des opérations en Libye vient donc d’une non-concordance entre les critères d’efficacité politique et les critères d’efficacité militaire de l’opération.

Seule l’OTAN est aujourd’hui capable dans le monde de planifier une opération militaire multinationale d’envergure comme c’est le cas en Libye. Or l’OTAN est aussi une organisation politique – son Secrétaire général ne manque pas de le rappeler en toutes occasions -, qui a été créée en 1949 par les Occidentaux pour faire face à la menace soviétique.

La France considère aujourd’hui, à juste titre, qu’une intervention de l’OTAN en Libye donnerait une coloration occidentale à l’opération qui dissuaderait les contributeurs arabes potentiels et rendrait impopulaire l’opération militaire dans l’opinion publique arabe. Au final, le résultat serait contraire aux objectifs fixés. C’est d’ailleurs une des faiblesses de l’opération de l’OTAN en Afghanistan.

Sachant que des pays comme l’Italie, la Norvège, mais aussi le Royaume-Uni et les Etats-Unis souhaitent que l’OTAN soit directement impliquée dans l’opération en Libye, la France a fait une proposition pour sortir de l’impasse consistant à donner aux seuls pays impliqués dans la coalition, comprenant donc certains pays arabes, le pilotage politique d’une opération qui serait conduite avec les moyens de l’OTAN, c’est-à-dire les moyens de planification et de C3I (command, control, communication and information).
L’OTAN deviendrait une sorte de prestataire de service en moyens militaires, à disposition des pays de la coalition. Ce système est en fait calqué sur les accords « Berlin plus » qui prévoient que les moyens de l’OTAN peuvent être mis au service des pays de l’Union européenne.

Pour le moment la solution semble difficile à trouver. Or le problème qui est posé aujourd’hui est appelé à se répéter à l’avenir. Seules deux solutions apparaissent envisageables :

1) L’OTAN devient un prestataire de service militaire

L’Otan devient un prestataire de service militaire à destination de la communauté internationale pour planifier et conduire des opérations militaires multinationales complexes.

Cette solution de l’OTAN prestataire de service existe déjà aujourd’hui avec l’Union européenne dans le cadre des accords « Berlin plus ». Il faudrait pouvoir étendre cette possibilité de mise à disposition des moyens militaires de l’OTAN à des coalitions ad hoc ainsi qu’au département des opérations de maintien de la paix des Nations-Unies.

C’est ce que la France préconise en Libye. Pour être efficace, cette solution requiert deux conditions :
– la mise à disposition des moyens de l’OTAN se fait automatiquement sur requête de l’autorité politique qui conduit l’opération ;
– l’opération est légitimée au regard du droit international par une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Si cela était le cas, il y aurait dès lors deux types d’opérations de l’OTAN à l’avenir :
– les opérations conduites politiquement par l’OTAN et se déroulant sous le drapeau otanien ;
– les opérations où l’OTAN loue ses capacités militaires, comme le fait un prestataire de service, à une entité politique qui est autre que l’OTAN et sous le drapeau de laquelle se déroule l’opération.

Cette solution aurait le mérite de l’économie. C’est d’ailleurs cet argument financier qui a été employé pour refuser la constitution d’une cellule de planification au sein de l’Union européenne. Cela signifierait que les pays membres de l’OTAN acceptent de découpler la fonction militaire de la fonction politique de l’OTAN. Pour que cette solution soit appliquée, il faut que les Etats membres de l’OTAN répondent positivement à deux questions :
– Sont-ils prêts à accepter de mettre au service d’autres entités politiques, à condition que le coût de cette mise à disposition soit payé, les moyens militaires qu’ils ont contribué à mettre sur pied au sein de l’OTAN ?
– Sont-ils prêts à accepter le principe d’automaticité de la mise à disposition de ces moyens à partir du moment où une résolution du Conseil de sécurité autorise l’ONU, l’Union européenne, ou une coalition ad hoc à conduire une opération militaire ?

Il faut que les Etats de l’OTAN répondent clairement à ces deux questions si on veut mettre en pratique cette solution. Aujourd’hui il faut bien reconnaître que celle-ci apparaît aléatoire. Les accords « Berlin plus » entre l’OTAN et l’Union européenne fonctionnent mal notamment du fait du blocage turc lié à la question chypriote, et ce alors que les enjeux sont de bien moindre importance qu’en Libye.

2) La création de cellules de planification et de commandement en dehors de l’OTAN

Si la première solution n’est pas acceptée, il deviendra nécessaire de dupliquer les moyens de planification et de commandement d’opérations multinationales qui existent à l’OTAN. Il y aura certes un coût financier à cette duplication mais celui-ci sera de toute manière bien inférieur au coût politique d’une intervention tous azimuts de l’OTAN en cas de crise internationale.

Peut-on penser en effet que les 190 Etats que compte notre planète acceptent que toutes les opérations militaires multinationales (fussent-elles décidées dans le cadre des Nations-Unies) soient conduites politiquement par 28 pays occidentaux ? Cela ne semble pas raisonnable.

Dans ce cas de figure, la création de la cellule de planification et de commandement de l’Union européenne s’impose mais il sera également nécessaire de renforcer ce type de capacités au niveau de l’ONU.
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