ANALYSES

Jean-Vincent Brisset : « La réussite sera au rendez-vous en Libye si cela se finit vite. »

Tribune
21 mars 2011
Plus généralement, la planification est faite de deux manières. Il y a une planification dite générique, qui est élaborée longtemps à l’avance, pour des objectifs bien précis à 1000, 2000, 3000 km, avec telle ou telle contrainte. Ensuite, reste à intégrer le nom du vrai pays et de la vraie cible, pour organiser une deuxième planification au jour le jour. Pour cette dernière, il y a ce qu’on appelle un Air Task Order , organisé à Ramstein Air Base (ndlr : base aérienne américaine située près de la petite ville de Ramstein en Allemagne) avec les Français, même si parfois, ils ne sont pas physiquement présents. On a également une permanence en l’air et au sol, qui est organisée de manière régulière. Les créneaux attribués à tel pays ou à tel type de moyen sont par exemple planifiés 24 heures à l’avance.
Petite aparté : c’est la première fois que la France engage le Rafale sur ce type de mission. C’est intéressant car, au vu de sa polyvalence, il n’y a pas besoin d’escorter les Rafales chargés des missions d’attaques au sol, le Rafale étant capable d’assurer sa propre défense du fait de sa modernité.

L’armée de Kadhafi est-elle à même de faire face aux assauts de la coalition ? Quels sont ses atouts en termes d’équipement ?

Sur le plan aérien, l’affaire est pratiquement terminée pour l’armée de Kadhafi. Ils n’ont que peu de moyens : peut-être encore quelques hélicoptères un peu dispersés. En revanche, sur le plan terrestre, vu le grand nombre de véhicules dont dispose l’armée de Kadhafi, qu’ils s’agissent de blindés ou de véhicules plus légers, il est évident qu’il sera très difficile de tous les neutraliser tant qu’ils continueront d’essayer de combattre.

La Ligue arabe, la Chine et la Russie estiment que les frappes de la coalition ne respectent pas la résolution 1973. Est-ce justifié ? La coalition sort-elle de ses prérogatives ?

Alors que le chapitre sur la zone d’exclusion aérienne n’était pas sujet à débat, il était à prévoir que le chapitre sur la protection des populations civiles aller poser problème. Il n’y a pas vraiment de limite claire fixée par le texte, et on peut effectivement l’interpréter de différentes façons. La formule « par tous moyens nécessaires » peut signifier jusqu’à la destruction entière du centre de Tripoli, par exemple.

Le succès de cette intervention est discuté. Peut-on vraiment dire, dès maintenant, que l’opération est une réussite ? La coalition pourrait-elle a contrario se retrouver dans une situation qui l’obligerait à engager des forces terrestres ? En aurait-elle les moyens ?

Engager des forces terrestres est a priori hors de question puisqu’il y aura un veto à l’ONU si jamais une telle opération est proposée. La réussite sera au rendez-vous si cela se finit vite. Mais cela sera difficile, tant que les armées de Kadhafi restent décidées à résister. Ce que les membres de la coalition espèrent, c’est un effondrement rapide sur le plan politique.

L’Amiral Lanxade, ancien ambassadeur en Tunisie et ancien Chef d’état-major des Armées, estime qu’on est déjà dans une partition de la Lybie. Qu’en pensez-vous ?

On a beaucoup dit que c’était la révolution de tout un peuple opprimé par un dictateur. Je pense qu’on a un peu oublié que la Libye est une construction artificielle et qu’elle est d’ores et déjà divisée en trois : d’un côté la Cyrénaïque et de l’autre côté le Fezzan et la Tripolitaine plus proches l’un de l’autre. Je pense que Kadhafi jouit d’un soutien populaire au Fezzan et en Tripolitaine nettement supérieur à ce qu’on avait estimé.