ANALYSES

Minerais rares : vers un alignement des pays émergents sur les pratiques chinoises ?

Tribune
28 février 2011
Par Augustin Roch, chercheur associé à l’IRIS
Prolifération des restrictions aux exportations et début de réponse des consommateurs

Un précédent article->http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article3750] se focalisait sur les enjeux liés à l’exploitation des terres rares. Il montrait, notamment, en quoi la stratégie des Chinois redéfinissait les positions des acteurs industriels et étatiques occidentaux ainsi que les [solutions envisagées->http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article3750] par ceux-ci. Néanmoins, il convient de rappeler que les pratiques chinoises tendent à être adoptéeser, de plus en plus, par d’autres pays émergents. Ainsi, la Commission européenne, dans son « [initiative matières premières->http://ec.europa.eu/enterprise/policies/raw-materials/index_en.htm] » de novembre 2008 constatait, sur les seules restrictions aux exportations, plus de [450 mesures pratiquées par des pays émergents sur plus de 400 matières premières différentes (métaux, denrées agricoles, pêche et sylviculture).

Or, pour contrecarrer cette prolifération, l’arsenal du droit commercial reste un des moyens privilégiés par les Occidentaux pour réduire la pression des pays émergents sur certains secteurs. En effet, les politiques publiques internes – création d’une réserve stratégique, structuration de la filière autour d’entreprises publiques, etc. – sont difficilement influençables pour les Occidentaux, le droit international actant qu’un pays dispose d’un droit souverain dans l’exploitation de ses ressources.

Toutefois, deux situations existent. Dans le cas de pays-membres de l’OMC, une plainte devant l’Organisme de règlement des différends est la solution envisagée. C’est le cas concernant l’action des Etats-Unis->http://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds394_f.htm], du [Mexique->http://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds398_f.htm] et de [l’Union européenne->http://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/cases_f/ds395_f.htm], initiée au premier semestre 2009, alléguant que la Chine applique des restrictions à l’exportation de terres rares, ce qui est interdit par le droit commercial international. A l’inverse, les Chinois s’en défendent en avançant que les restrictions ont pour finalité de [protéger l’environnement… et sont en accord avec les règles de l’OMC.

Dans le cas où le pays producteur n’est pas membre de l’OMC – cas du Kazakhstan ou de la Russie qui disposent de taxes à l’exportation sur les produits miniers –, la résolution de ce conflit ne peut se faire que par des discussions bilatérales d’autant plus longues et aléatoires que le pays producteur est très dépendant de sa rente minière. Dès lors, la problématique des minerais rares soulève plusieurs interrogations.

Enjeux concurrentiels et stratégiques : une différence de temps

Il serait faux de croire que la question centrale est : qui va gagner ? Certes, le mérite d’une organisation internationale est de borner les actions de ses membres afin d’éviter des comportements dommageables au niveau international. Néanmoins, dans le cas des contentieux sur les métaux rares portés à l’OMC – celui sur les terres rares est le seul actuellement –, une bataille d’arguments va se jouer sur un laps de temps relativement long. Même si elle fera jurisprudence, à la fois, sur la nature des minerais dont la liste s’allongera sans doute, et sur la tactique employée par les Etats, la décision finale n’interviendra qu’après les réunions des groupes spéciaux ad hoc sur chaque minerai, les décisions et, les appels possibles par les acteurs en présence… Or, c’est ce délai qui favorise la prolifération de taxes et quotas aux exportations… affaiblissant du même coup la crédibilité de l’OMC.

Toutefois, les entreprises/pays consommateurs ne se focalisent pas spécifiquement sur les décisions de l’organisation internationale, même si elles restent importantes, et ont déjà lancé des contremesures, plus ou moins efficaces. Les stratégies japonaise ou allemande – création d’organisme public de sécurisation des ressources, groupement d’intérêt économique portant les enjeux industriels intersectoriels, etc. – semblent plus pertinentes et réactives que l’initiative française qui tente d’agréger les intérêts publics et privés, d’une part, et intersectoriels, d’autre part.

La question du temps est donc centrale. Quel acteur peut se permettre de rester sur ses positions et d’attendre une décision juridique qui ne peut être qu’aléatoire ? Aux Etats-Unis, le General Accountability Office->http://www.gao.gov/new.items/d10617r.pdf] a ainsi estimé qu’il fallait 15 ans pour reconstruire la filière industrielle des terres rares, sous réserves de modération de la législation sur l’extraction minière, d’aides financières, de mesures dans la formation des praticiens (géologues, ouvriers spécialisés, etc.) et d’achats de brevets et licences détenus par des entreprises chinoises. L’action devant l’OMC, pour les Etats-Unis, n’est donc qu’une partie de leur stratégie visant à se défaire de l’emprise chinoise sur l’approvisionnement en terres rares. Par ailleurs, les acteurs privés américains ne manquent pas de mettre en œuvre une stratégie offensive. Par exemple, concernant le molybdène, les réserves se situant essentiellement en Amérique du Nord (plus de 50 %), les spécialistes anticipent les tensions en évaluant la [demande mondiale à terme, par secteurs industriels, vis-à-vis de l’offre anticipée. Tensions qu’ils ne manqueront pas d’exploiter…

Néanmoins, une tendance lourde et préoccupante serait que plusieurs pays émergents imitent cette stratégie chinoise, motivés par les rentes générées. Ils utiliseraient différents moyens internes et commerciaux, sur des secteurs stratégiques, afin de faire pression sur les entreprises occidentales pour qu’elles installent leurs lignes de production (batterie pour véhicules électriques, technologies solaires et éoliennes, high-tech, etc.) sur le sol national en échange d’une garantie d’accès aux matières. A l’inverse, les Occidentaux pourraient voir cette « obligation » comme un moindre mal, « rassurés » par le refrain voulant que la production, dans un monde globalisé, se réalise dans les pays à bas coûts tandis que la Recherche et Développement, synonyme de prestige et de valeur ajoutée, reste dans les pays occidentaux. Pourtant, de plus en plus de centres de R&D spécialisés sur les créneaux porteurs se développent en Chine. Et un des arguments mis en avant est le suivant : la R&D doit être au plus prêt de la production afin que le processus d’essai-erreur propre à l’innovation soit optimal. Le cas Applied Materials est ainsi très pertinent à suivre, l’entreprise développant R&D et production en Chine sur des technologies d’avenir… et au détriment des Etats-Unis.
Les défis de la gouvernance

Les questions commerciales propres aux matières premières prennent une importance grandissante. Ce n’est pas un hasard si le rapport 2010 de l’OMC traite de ce défi à venir. De plus, il met en évidence un manque de cohérence interne concernant les différentes règles du GATT (relatives aux biens) et celles du GATS (services). Celles-ci peuvent se chevaucher, induisant une confusion potentiellement dommageable, pour la bonne résolution d’un contentieux.

Ainsi, l’OMC apparaît de moins en moins comme l’organisation en charge de la promotion et l’approfondissement d’un cadre commercial libéral et multilatéral. En effet, depuis une décennie, les négociations restent bloquées (Cycle de Doha) alors même qu’il y a une intensification des querelles commerciales et une recrudescence des accords bilatéraux. La question est donc de savoir si l’OMC a la capacité, à terme, de rester le cadre pertinent dans la gouvernance des questions commerciales.

Pour finir, au niveau global, la question de la primauté des différents accords internationaux se pose. Quels accords priment sur les autres, notamment concernant les matières premières ? Ceux relatifs aux enjeux environnementaux ? Commerciaux ? Sociaux ? Stratégiques ? Il semble qu’actuellement, la méthode employée lors des négociations internationales est celle d’une focalisation sur l’urgence du moment (promouvoir l’accès à la ressource, minimiser les effets spéculatifs sur les marchés financiers, réduire les externalités négatives à la fois sociales et environnementales, etc.)… au détriment de la cohérence de l’ensemble. Or, la question des matières premières est hétérogène, c’est-à-dire financière, commerciale et stratégique, induisant, par conséquent, un accord global entre les différents Etats, consommateurs et producteurs. Ce que tente d’esquisser le rapport 2010… au risque de faire passer l’OMC pour une organisation incohérente voire désuète.

Ainsi, le défi est de faire évoluer les instances en charge de la gouvernance (commerciale, financière, politique) mondiale vers la prise en compte des intérêts des pays émergents tout en faisant en sorte que ceux-cices derniers prennent part aux coûts politico-économiques inhérents de celle-ci. Aussi, dans le cas de la Chine, ce serait lui faire comprendre – via les plaintes à l’OMC ? – qu’être un passager clandestin n’est pas spécialement bénéfique pour ses intérêts de long terme et que les actions unilatérales peuvent être le déclencheur d’un comportement non coopératif dommageable pour tous.
Sur la même thématique
Une diplomatie française déboussolée ?